Citations de Nicolas Bouvier (737)
Écrire le voyage, p. 364 :
Existe-t-il une façon ordonnée, hiérarchique, de dire ce que l'on sait sur un lieu pareil ? Certainement. J'ai beau faire, elle ne me vient pas. J'ai pourtant bien rempli vingt pages de considérations sur le métier, de dates, sur ces feuilles de papier pelure jaune que j'emploie pour les textes dont je ne suis pas sûr. D'ailleurs, à mesure que les années passent, je le suis de moins en moins, sûr. Pourquoi ajouter des mots qui ont traîné partout à ces choses fraîches qui s'en passaient si bien ? Et comme c'est boutiquier, ce désir de tirer parti de tout, de ne rien laisser perdre… et malgré qu'on le sache, cette peine qu'on prend, ce travail de persuasion, cette lutte contre le refroidissement considérable et si insistant de la vie.
Le passe-partout de l'humeur hilare, p. 218 :
Je n'oubliais pas que c'était sur un éclat de rire que le vent avait tourné pour nous. Depuis, j'ai toujours en réserve quelque chose de cocasse à me murmurer intérieurement quand les affaires tournent mal ; par exemple, des douaniers, penchés sur votre passeport périmé, décident de votre sort dans une langue incompréhensible, et qu'après quelques interventions mal accueillies, vous osez à peine lever les yeux de vos chaussures. Alors, un calembour absurde, ou le souvenir de circonstances dont la drôlerie ne s'use pas, seul dans votre coin, et les uniformes – c'est leur tour de ne plus comprendre – vous considèrent avec perplexité, s'interrogent du regard, vérifient leur braguette et se composent un visage… jusqu'au moment où ils retirent, on ne sait pourquoi, les bâtons qu'ils mettaient dans vos roues.
L'échec d'un projet américain en Iran, p. 194 :
Mais les villageois ? Ce sont des paysans assez misérables, soumis depuis des générations à un dur régime de fermage féodal. D'aussi longtemps qu'ils se souvenaient, on ne leur avait jamais fait pareil cadeau. Cela leur paraît d'autant plus suspect que, dans les campagnes iraniennes, l'Occidental a toujours eu réputation de sottise et de cupidité. Rien ne les a préparés à croire au Père Noël. Avant tout ils se méfient, flairent une attrape, soupçonnent ces étrangers, qui veulent faire travailler chacun, de poursuivre un but caché. La misère les a rendus rusés, et ils pensent qu'en sabotant les instructions qu'on leur donne, ils déjoueront peut-être ces desseins qu'ils n'ont pu deviner.
Une simple maison de thé, p. 155
Pour traverser l'hiver il faut aussi des habitudes.
J'avais pris les miennes au coin du quartier arménien, à la gargote des portefaix. Avec les mendiants, ils formaient bien la bande la plus dépossédée de la ville. C'est pourquoi ils occupaient cette tchâikhane où, à l'exception d'un flic qui buvait son thé au comptoir, ils étaient certains d'être entre eux. La première fois que je m'y fourvoyai, il se fit aussitôt un silence tellement tendu et complet – comme si la bâtisse allait s'écrouler sur mon crâne – que je rentrai la tête dans les épaules et ne parvins pas à écrire une ligne. Moi qui croyais vivre frugalement, j'avais l'impression que mon bonnet miteux, ma veste râpée, mes bottes beuglaient l'aisance et le ventre plein. J'enfonçai la main dans ma poche pour faire taire quelques sous qui tintaient. J'avais peur, et j'avais bien tort : c'était la tanière la plus paisible de la ville.
Aux alentours de midi, ils arrivaient par petits groupes grelottants et ployés, leur corde enroulée sur l'épaule. Ils s'installaient aux tables en bois dans un grommellement de bien-être, la vapeur montait des haillons, et les visages sans âge, tellement nus, patinés, usés qu'ils laissaient passer la lumière, se mettaient à briller comme des vieux chaudrons. Ils jouaient au tric-trac, lapaient leur thé dans la soucoupe avec de longs soupirs, ou formaient cercle autour d'une bassine d'eau tiède pour y tremper leurs pieds blessés.
Chaque âge a d'ailleurs sa forme de sottise mais, malgré la leur, les enfants ne tardent pas à percer celle des adultes. (p. 16)
La mobilité sociale du voyageur lui rend l’objectivité plus facile (...) La vertu d’un voyage, c’est purger la vie avant de la garnir.
Un monde de bon goût, souvent de bon vouloir, mais, essentiellement consommateur où les vertus du coeur étaient certes entretenues mais comme une argenterie de famille qu'on réserve aux grandes occasions.
On ne va pas au travail pour en baver mais pour contribuer à la société
Finalement, ce qui constitue l'ossature de l'existence, ce n'est ni la famille, ni la carrière, ni ce que d'autres diront ou penseront de vous, mais quelques instants de cette nature, soulevés par une lévitation plus sereine encore que celle de l'amour, et que la vie nous distribue avec une parcimonie à la mesure de notre faible cœur. (123)
L'agrément qu'il y a à dormir sur le tatami, c'est d'avoir ainsi le dos collé au sol, de faire corps avec la terre et – quand le calme et le silence de la nuit le permettent – de se sentir et de partager la vaste rotation dans laquelle elle vous entraîne. Les couvertures tirées jusqu'au menton, les mains à plat le long du corps on fend l'espace comme un boulet chauffé au rouge. On pense aux autres corps céleste, aux orbites qui s'infléchissent et qui divergent, aux attractions, aux répulsions, aux lentes figures qui se tracent à des vitesses inconcevables. Dans cette salle de bal obscur qu'est devenue la nuit, la natte, la maison, le quartier et les douze millions de dormeurs qui l'entourent pivotent avec un ensemble admirable pendant que je me pose la question de ma place à moi là-dedans, qui reste à débattre. Le sommeil vient avant la réponse.
Il est temps que je reprenne mon sac pour aller vivre ailleurs
Pourquoi ne pas avoir représenté d’humains, de poissons, de scènes de chasse, ni de paysages ?
Peuple rapide, lyrique, jongleur, émotif et qu'un rien fait craquer.Puis qui se reprend tout de suite :les larmes sont à peine séchées qu'ils repartent à fond de train. Qui vient du japon doit ce faire à cette mobilité dont les Coréens n'ont d'ailleurs nulle vergogne.
En apparence , il n'y avait que l'empereur , le drapeau, les tournois de sumo et l'odeur des watères qui n'avaient pas changé. Du Tokyo inquiet, désordonné et chaud qui m'avait séduit , plus trace.
J'ai donc passé des heures de félicité absolue, à découvrir cet immense archipel de images qui m'a autant cultivé que les études ou que les voyages que j'ai pu faire ou ferai peut-être encore.
Puis la glaise et la boue s'allument de mille feux et le soleil d'automne se lève sur les six horizons qui nous séparent encore de la mer. Tous les chemins autour de la ville sont tapissés de feuilles de saule que les attelages écrasent en silence et qui sentent bon. Ces grandes terres, ces odeurs, remuantes, le sentiment d'avoir encore devant soi ses meilleures années multiplient le plaisir de vivre comme le fait l'amour."
L’univers de la préhistoire m’est assez étranger, alors travailler à Lascaux me permettra de découvrir notre passé: comprendre d’où nous venons, où nous allons, les soubresauts de l’Histoire, de la préhistoire, toutes les péripéties de nos ancêtres, en essayant de répondre aux questions » Pourquoi?, Comment?, Qui?, Où?. »
A défaut de clients, les amis sortaient de terre sous nos pieds. Il y a en Serbie des trésors de générosité personnelle, et malgré tout ce qui y manque encore, il y fait chaud.
La vérité, c’est que le sérieux est la denrée préférée des démocraties populaires.
I shall be gone and live
Or stay and die
Shakespeare