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Citations de Nicolas Bouvier (737)


Bavardage inutile ou « information » superflue. Et d’ailleurs quel besoin si urgent a-t-on d’être informé ? Pour ce qu’on en fait, de l’information qu’on possède ! Mieux vaut connaître dix choses et leurs rapports que dix mille choses éparses. A force d’information l’esprit perd sa structure ; on n’a plus le temps de mettre un peu d’ordre là-dedans, ni même de savoir si l’on aime et si l’estomac supporte (…) deux interlocuteurs ne peuvent absolument rien faire de cette poussière d’informations qu’ils possèdent l’un et l’autre, sinon en échanger quelques miettes, comme des enfants qui jouent aux billes : celle-ci me manque, celle-là je l’ai deux fois. Cela va pour un moment, puis quand le silence commence à peser, chacun va trouver son psychanalyste pour qu’il lui explique la raison de ce mystère.
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J'ai pu aussi constater, au fil des années, que certains sujets fournissaient des images plus belles, surprenantes, chargées que d'autres où l'iconographie est plus technique est plus plate. Je pense ici à l'art militaire, à l'Invention du Monde, à la zoologie, à la médecine. Tuer, découvrir, observer, guérir sont les pulsions majeures qui nous gouvernent. À quoi il faudrait ajouter l'Éros mais, jusqu'à la fin du XIXème, les veuves des artistes allumaient le poêle avec les érotiques de leurs époux.
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- N'allez pas voir le pope, m'a dit l'hôtelier, il n'est pas intelligent.
Ce n'est pas son intelligence qui m'intéresse, mais sa fonction. Il représente du sacré, et le sacré -tout comme la liberté- il faut qu'on le sente menacé pour qu'on s'en préoccupe. En outre, le pope fait un commerce de cierges dont la flamme tremblante s'associe aisément à tout ce qu'on souhaite, et détient les clés d'une église de bois qui n'est que pénombre et silence. Pour l'ouvrir, il tarabuste longuement une serrure sonore de la taille d'un fourneau, vous soulage d'un peu de monnaie puis vous abandonne dans l'azur, l'or sombre et l'argent. Quand l'oeil s'est fait à la nuit, il distingue, au dessus de l'autel, un coq de bois, gonflé et pathétique, les ailes étendues et le bec ouvert pour chanter la trahison de Saint Pierre. Quelque chose de chaud et de vaincu : comme si le péché, l'enfance et la faiblesse humaines constituaient un capital dont Dieu, par le pardon, touche les intérêts.
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leçon de choses

La nuit bouge
elle bat des ailes au fond du pré
dans le vert qui vire
une corneille brille comme anthracite
Encore une goutte de lumière
pour chaque noix aux noyers
pour le chapeau clair des coprins
éclos dans la nuit
leur invraisemblable candeur
contre tout ce noir qui se prend
et tire à lui les couleurs

Bascule de l'ombre
Instant fragile, menace de cet automne
où nous pourrions bien quitter sans crier gare
ce logis piteux et mal aimé du corps
le laissant seul à négocier nos redditions
face à l'inexorable gravité de l'existence
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L'unique objet de ces quelques lignes est de payer une dette. Une dette très ancienne. J'avais vingt-deux ans lorsque je suis tombé, dans un supplément littéraire du Journal de Genève, sur un texte de Holan, traduit par le journaliste et philologue Armand Gaspard. C'était le magnifique poème "Il y a " :
"Il y a le destin , et tout ce qui ne tremble pas en lui n’est pas solide. »
Inutile de dire que la vie n’étant que tremblement, de terreur ou de plaisir, ce qui ne tremble pas ne m’intéresse pas le moins du monde. (p. 883)
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C'est la contemplation silencieuse des Atlas, à plat ventre sur le tapis, entre dix et treize ans, qui donne l'envie de tout planter là...
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Nicolas Bouvier
Entre la mort et toi l’été aura brûlé
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Nicolas Bouvier
Du coin de l’œil on se voit disparaître
Jusqu’à ce que l’œil lui-même ait disparu
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Nicolas Bouvier
Car nous ne savions pas
Que nous étions déjà tombés dans la vie
Tombés dans cette vie
Si douce et si tuante
Que personne jamais
N’en reviendra vivant
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Nicolas Bouvier
A qui sont ces pas, ces plumages
Ces yeux qui battent sans s’ouvrir ?
A qui l’eau noire de ce visage
Où je me vois mourir ?
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J’aurai longtemps vécu sans savoir grand-chose de la haine. Aujourd’hui j’ai la haine des mouches. Y penser seulement me met les larmes aux yeux. Une vie entièrement consacrée à leur nuire m’apparaîtrait comme un très beau destin. Aux mouches d’Asie s’entend, car, qui n’a pas quitté l’Europe n’a pas voix au chapitre. La mouche d’Europe s’en tient aux vitres, au sirop, à l’ombre des corridors. Parfois même elle s’égare sur une fleur. Elle n’est plus que l’ombre d’elle-même, exorcisée, autant dire innocente. Celle d’Asie, gâtée par l’abondance de ce qui meurt et l’abandon de ce qui vit, est d’une impudence sinistre. Endurante, acharnée, escarbille d’un affreux matériau, elle se lève matines et le monde est à elle. Le jour venu, plus de sommeil possible. Au moindre instant de repos, elle vous prend pour un cheval crevé, elle attaque ses morceaux favoris : commissures des lèvres, conjonctives, tympan. Vous trouve-t-elle endormi? elle s’aventure, s’affole et va finir par exploser d’une manière bien à elle dans les muqueuses les plus sensibles des naseaux, vous jetant sur vos pieds au bord de la nausée. Mais s’il y a plaie, ulcère, boutonnière de chair mal fermée, peut-être pourrez-vous tout de même vous assoupir un peu, car elle ira là, au plus pressé, et il faut voir quelle immobilité grisée remplace son odieuse agitation. On peut alors l’observer à son aise : aucune allure évidemment, mal carénée, et mieux vaut passer sous silence son vol rompu, erratique, absurde, bien fait pour tourmenter les nerfs – le moustique, dont on se passerait volontiers, est un artiste en comparaison.

Cafards, rats, corbeaux, vautours de quinze kilos qui n’auraient pas le cran de tuer une caille; il existe un entre-monde charognard, tout dans les gris, les bruns mâchés, besogneux au couleurs minables, aux livrées subalternes, toujours prêts à aider au passage. Ces domestiques ont pourtant leurs points faibles – le rat craint la lumière, le cafard est timoré, le vautour ne tiendrait pas dans le creux de la main – et c’est sans peine que la mouche en remontre à cette piétaille. Rien ne l’arrête, et je suis persuadé qu’en passant l’Ether au tamis on y trouverait encore quelques mouches.

Partout où la vie cède, reflue, la voilà qui s’affaire en orbes mesquines, prêchant le Moins – finissons-en…renonçons à ces palpitations dérisoires, laissons faire le gros soleil – avec son dévouement d’infirmière et ses maudites toilettes de pattes.

L’homme est trop exigeant: il rêve d’une mort élue, achevée, personnelle, profil complémentaire du profil de sa vie. Il y a travaille et parfois il l’obtient. La mouche d’Asie n’entre pas dans ces distinctions-là. Pour cette salope, mort ou vivant c’est bien pareil et il suffit de voir le sommeil des enfants du Bazar (sommeil de massacrés sous les essaims noirs et tranquilles) pour comprendre qu’elle confond tout à plaisir, en parfaite servante de l’informe.

Les anciens, qui y voyaient clair, l’ont toujours considérée comme engendrée par le Malin. Elle en a tous les attributs : la trompeuse insignifiance, l’ubiquité, la prolifération foudroyante, et plus de fidélité qu’un dogue (beaucoup vous auront lâché qu’elle sera encore là).

Les mouches avaient leurs dieux : Baal-Zeboub (Belzébuth) en Syrie, Melkart en Phénicie, Zeus Apomyios d’Elide, auxquels on sacrifiait, en les priant bien fort d’aller paître plus loin leurs infects troupeaux. Le Moyen-Age les croyait nées de la crotte, ressuscitées de la cendre, et les voyait sortir de la bouche du pécheur. Du haut de sa chaire, saint Bernard de Clairvaux les foudroyait par grappes avant de célébrer l’office. Luther lui-même assure, dans une de ses lettres, que le Diable lui envoie ses mouches qui « conchient son papier ».

Aux grandes époques de l’empire chinois, on a légiféré contre les mouches, et je suis bien certain que tous les Etats vigoureux se sont, d’une manière et de l’autre, occupés de cet ennemi. On se moque à bon droit – et aussi parce que c’est la mode – de l’hygiène maladive des Américains. N’empêche que, le jour où avec une escadrille lestée de bombes DDT ils ont occis d’un seul coup les mouches de la ville d’Athènes, leurs avions naviguaient exactement dans les sillage de saint Georges.
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Journée de merde.
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Si à tous ceux qui vieillissent on interdisait cette petite phrase « Vous souvenez-vous? », il n’y aurait plus de conversation du tout : nous pourrions tous, et tout de suite, nous trancher paisiblement la gorge.
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Je m’en souviens comme d’hier : chaude pluie de juin, de hautes frondaisons vert pâle bougeaient contre un ciel lumineux et gris. Ces mêmes arbres aujourd’hui dessinés par la neige. Dans l’intervalle qui sépare ces deux trajets j’ai l’impression d’avoir été d’une certaine façon absent de ma vie. Je suis curieux de voir qui du pays ou de moi aura le plus changé.
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Relisez Maupassant dont Akutagawa s’est tant inspiré, dont les Japonais en général sont si férus. Maupassant : un grand fond de solitude et de glace, une révolte qui n’aboutit pas, quelque chose de forcené, la tête contre les murs, l’écrasement des personnages. On retrouve tout cela, et pour de bonnes raisons, dans la littérature japonaise d’après la restauration, tempéré seulement par de l’esthétisme. (L’histoire peut être lamentable, les personnages lentement anéantis, mais il n’y aura pas de pâtés sur la page).
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Hommage à la géographie ancienne

Cartulaire de mon cœur
paroles du monde ancien
vieux mots usés et sages
qui pour un temps m’aviez fait compagnie
et si souvent porté secours
d’où me revenez-vous ce soir ?
bourdonnants, suspendus à mon cou
flammèches ou abeilles
sur l’étole du prélat défroqué

Mots du secret, du souci et de l’ombre
murmures, portée de rats, fourrure du souvenir
frileusement nichés sur mes genoux
que d’anxiété dans ces brillantes prunelles
qu’attendez-vous encore de moi ?
voilà si longtemps que nous nous sommes quittés

Il fait noir dans la cuisine
un peu d’alcool brille au fond du verre
tu te tais alors qu’il faudrait que tu hurles
Judas des mots
et tu n’as pas fini de payer ton silence

Genève, hiver 1977
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Réflexions d'un juré de la Triennale 78

Il m'est difficile de repenser aux quelques cinq mille photos que nous avons vu défiler sous nos yeux en décembre dernier sans tomber dans la réflexion historique, sans remonter à l'époque où Delacroix ayant vu les clichés de Nadar écrivait dans son journal (je cite de mémoire) "C'en est fait de nous autres". il voulait dire par là que ce nouveau procédé qui fixait, de façon encore bien imparfaite, la lumière, le visage et l'instant allait priver les peintres de l'essentiel de leur clientèle. Il se trompait. En fait, loin de supplanter la peinture, la photo en fut très longtemps l'humble écolière, retouchant à la gouache les yeux, les modestes bijoux, le pli des pantalons, utilisant des fonds et composant des natures mortes, véritable peinture du pauvre, avant de s'apercevoir qu'elle avait une autre vocation qui était d'arrêter le temps (...) (p.67)
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Carnets noirs

Les photos d'Alain Humerose sont pour moi "littéraires". au meilleur sens du terme. Je veux dire que ses "carnets"- variations sur des thèmes insolites ou quotidiens- me font penser à des nouvelles, à Mansfield ou à Buzzati. Chacun d'eux pose une question, propose une énigme et fournit les éléments d'une réponse, l'ébauche d'une solution. On est intrigué, on voudrait en savoir plus.
(...) La fiction du noir et blanc, si ancienne et coutumière qu'on l'oublie, accentue le caractère énigmatique et "romanesque" des images(p.119)
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On la découvre alors ridée comme une patate, couverte de sommets enneigés, de pics "sourcilleux", de vallées, de précipices.
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On croit qu’on va faire un voyage mais bientôt c’est le voyage qui vous fait ou vous défait.
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