Philip Roth

Je n'avais jamais aussi bien compris à quel point la vanité éhontée des imbéciles peut faire le malheur d'autrui.

C'est si déchirant, la violence, dans une maison; c'est comme de voir des vêtements accrochés dans les arbres après une explosion. On peut se préparer à l'image de la mort, mais pas à celle des vêtements dans l'arbre.

Il sourit, l’une des rares fois au cours de nos conversations, un sourire qui ressemblait plutôt à une moue, montrant plus de lassitude que de bonne humeur. Il n’avait pas de légèreté. Elle lui faisait défaut, comme l’énergie et l’ardeur qui étaient autrefois au centre de sa personnalité.

Il avait appris la chose la plus terrible leçon de la vie, à savoir qu’elle n’a pas de sens. Et lorsque cela arrive, le bonheur n’est plus jamais spontané. Il devient artificiel et, même tel quel, s’achète au prix d’une aliénation opiniâtre de soi et de sa propre histoire.

C'est même comme ça qu'on sait qu'on est vivant : on se trompe. Peut-être que le mieux serait de renoncer à avoir tort ou raison sur autrui et continuer rien que pour la balade.

Qu’on me cite une seule bonne raison de perdre. Impossible. Perdre, c’est fatigant. Perdre, c’est lassant. Perdre, c’est inintéressant. Perdre, c’est déprimant. Perdre, c’est ennuyant. Perdre, c’est débilitant. Perdre, c’est compromettant. Perdre, c’est honteux. Perdre, c’est humiliant. Perdre, c’est irritant. Perdre, c’est décevant. Perdre, c’est incompréhensible. Perdre, ça vous donne des migraines, des spasmes musculaires, des éruptions cutanées, des ulcères, de l’indigestion et des troubles mentaux de tous ordres. Perdre, c’est mauvais pour sa confiance en soi, sa fierté, ses affaires, sa tranquillité d’esprit, l’harmonie familiale, l’amour, l’activité sexuelle, la concentration et bien d’autres choses encore. Perdre, c’est désastreux pour les gens de tous les âges, de toutes les races et de toutes les religions ; c’est aussi nocif aux petits enfants qu’aux gens âgés, aux femmes qu’aux hommes. Perdre pousse les gens à pleurer, crier, hurler, se cacher, mentir, bouillir, envier, détester et abandonner. Perdre est sans doute la raison au monde qui pousse le plus grand nombre de gens au suicide et au meurtre. Perdre rend les bons méchants, les généreux radins, les courageux peureux, les sains malades, et les affables amers. Perdre est universellement méprisé et c’est bien ainsi que ça doit être. Plus tôt on se débarrassera de la défaite et plus les gens seront heureux.

Les gens faibles ne sont pas inoffensifs. Leur faiblesse peut justement être leur force.

Une nouvelle vie commençait pour moi. J'avais vu mon père s'effondrer, je ne pourrais plus jamais revenir à la même enfance. ma mère au foyer passait désormais ses journées à travailler chez Hahne, mon frère partait en service commandé travailler pour Lindbergh après l'école, et mon père, qui n'avait pas hésité à sermonner les apprentis antisémites de bistrot à Washington, pleurait la bouche grande ouverte, comme un bébé qu'on abandonne, comme un adulte qu'on torture, parce qu'il n'avait pas le pouvoir de faire échec à l'imprévu.

Penche-toi sur ton passé, répare ce que tu peux réparer, et tâche de profiter de ce qui te reste.

Comme si quelqu'un qui a dépassé l'âge de dix ans pouvait croire qu'on peut subjuguer d'un sourire (si gentil et si chaleureux fût-il) toutes les agressions de l'existence, tout maîtriser quand le bras puissant de l'imprévu vient s'abattre sur vous.

« Sais-tu ce que j’ai lu dans Cosmopolitan ? » dit ma mère à mon père, « il y a des femmes qui sont homosexuelles. » « Allons, voyons », grommelle Papa Gros Ours, « qu’est-ce que c’est que ces foutaises, qu’est-ce que c’est que ces conneries ? » « Jack, je t’en prie, je n’invente rien, je l’ai lu dans Cosmo ! Je te montrerai l’article ! » « Allons donc, ils impriment ça pour augmenter le tirage. »

Il découvrit qu'en allant voir le docteur Wan , alors qu'il croyait avoir pris ses précautions pour éviter d'agir de façon irréfléchie , il s'était enfoncé encore un peu plus dans un monde irréel ;

Je reconnais qu'à tout âge de la vie les gens ont leur part de mystère , et l'attachement à leurs parents peut faire partie de ce mystère .

"Le suicide, leur dit-il, c'est le rôle que vous écrivez vous même. Vous l'habitez et vous le jouez.Tout est mis en scène avec soin-où on vous trouvera et comment on vous trouvera"Puis, il ajouta "Mais il n'y aura qu'une seule représentation."

Tout attachement est ruineux, il faut y voir un ennemi.Joseph Conrad l'a dit:celui qui s'attache est perdu.

On se joue une comédie. Une comédie qui consiste à fabriquer un lien factice,et tristement inférieur à celui que crée sans le moindre artifice le désir érotique.

Parce que c'est seulement quand tu baises que tu prends ta revanche, ne serait-ce qu'un instant, sur tout ce que tu détestes et qui te tient en échec dans la vie. C'est là que tu es le plus purement vivant, le plus purement toi-même.

Le problème avec la vie, c'est que l'on ne sait pas vraiment si c'est un processus de dégradation. Le problème avec la vie, c'est que l'on ne sait vraiment pas du tout ce qui se passe.

…, et je vis que l’amertume aveugle l’homme et l’avilit. (p. 427).

KUNDERA : (…) Quand une grande puissance veut priver un petit pays de sa conscience nationale, elle recourt à l’oubli organisé. C’est ce qui est en train de se passer en Bohême. La littérature contemporaine tchèque, pour autant qu’elle ait une valeur, n’est plus imprimée depuis douze ans ; deux cents écrivains tchèques ont été interdits, dont le défunt Kafka ; cent quarante-cinq historiens tchèques ont été démis de leurs postes, l’histoire a été réécrite, des monuments démolis. Une nation qui perd le sens de son passé finit petit à petit par perdre son être.

(in "Parlons travail", entretien avec Milan Kundera en 1980, p. 365-366)