Citations de Pierre Drieu La Rochelle (319)
Nous reçûmes des peintres, des musiciens, des voyageurs, des aventuriers, des aventurières, des bohèmes, des ratés. Délicieux les ratés ; ce sont eux qui peuplent la vie.
Et, ayant atteint le point abstrait et illusoire de la désintoxication, c'est-à-dire n'absorbant plus du tout de drogue, il avait achevé de prendre conscience de ce que c'était que l'intoxication. Tandis qu'il semblait physiquement séparé de la drogue, tous les effets en demeuraient dans son être. La drogue avait changé la couleur de sa vie, et alors qu'elle semblait partie, cette couleur persistait. Tout ce que la drogue lui laissait de vie maintenant était imprégné de drogue et le ramenait à la drogue. Il ne pouvait faire un geste, prononcer une parole, aller dans un endroit, rencontrer quelqu'un sans qu'une association d'idées le ramenât à la drogue. Tous ses gestes revenaient à celui de se piquer (car il prenait de l'héroïne en solution) ; le son de sa voix même ne pouvait plus faire vibrer en lui que sa fatalité. Il avait été touché par la mort, la drogue c'était la mort. il ne pouvait pas de la mort revenir à la vie. Il ne pouvait que s'enfoncer dans la mort, donc reprendre de la drogue. Tel est le sophisme que la drogue inspire pour se justifier la rechute : je suis perdu, donc je puis me redroguer.
C'était un déchaînement inattendu, épouvantable. L'homme au moment d'inventer les premières machines avait vendu son âme au diable et maintenant le diable le faisait payer. Je regarde, je n'ai rien à faire. Cela se passe entre deux usines, ces deux artilleries. L'infanterie, pauvre humanité mourante, entre l'industrie, le commerce, la science. Les hommes qui ne savent plus créer des statues, des opéras, ne sont bons qu'à découper du fer en petits morceaux. Ils se jettent des orages et des tremblements de terre à la tête, mais ils ne deviennent pas des dieux. Et ils ne sont plus des hommes.
Préférer les risques de la vie aux fausses certitudes de la mort.
Le canon qui s'était tu toute la nuit commençait à tonner à droite et à gauche. Avec mon harnais sur le dos, avec toutes ces annexes de cuir et de fer, j'étais couché dans la terre. J'étais étonné d'être ainsi cloué au sol; je pensais que ça ne durerait pas. Mais ça dura quatre ans.
«chaque jour contempler pendant un quart d'heure une paire de beaux seins». Journal 1939-1945 (il trace son programme, le 23 février 40)
Son oeil fut sur moi de plus en plus aigu tandis que sa caresse, à travers mille détours, mille ruptures de rythme, allait vers son but.
Il y avait une belle et forte idée dans ce rapprochement de l’homme et de la femme, des deux parties de la nation. Mais le Père Florida veillait. Et ce n’est jamais en vain qu’une femme est une femme du monde, comme vous dites dans votre singerie de Paris. Qu’est-ce qu’une femme du monde ? C’est la fille d’une aristocratie battue, décapitée. En cette année 1868, cela est plus vrai que jamais. Cela est vrai depuis 1792. Les aristocrates de par le monde sont des décapités qui marchent par habitude. Voilà ce que sont vos grands, Florida, voilà sur quoi s’appuie l’Église, voilà ce qu’appuie l’Église. Mais peut-être que le pape et les cardinaux sont eux-mêmes des décapités. Cela se saura un jour, dans deux ou trois siècles.
- C’est toi, Felipe, qui m’a mis tous ces mots dans la tête. Qu’étais-je, moi ? Un lieutenant de cavalerie qui sautait sur les chevaux, maniait le sabre et la carabine et se roulait dans l’amour des soldats et des filles. Tu as mis des mots en moi.
- Qu’étais-je, moi ? Un joueur de guitare, un pâle étudiant en théologie ; et soudain tu t’es dressé devant moi, tu étais la forme. La Forme. Moi qui était amant de la beauté, je me suis rué vers cette forme, qui était la beauté vivante. Soudain, la musique, la théologie étaient une seule figure qui marchait dans le monde.
Il alla à son tiroir et en tira les photos de Dorothy et de Lydia pour conjurer par des images cette solitude comme un dévot touche une icône.
Il avait découvert l'héroïne dont il avait été surpris et séduit. Au fond, il avait cru pendant quelque temps au paradis sur la terre. Maintenant cette illusion éphémère lui faisait hausser les épaules.
Dans ma section il y avait un type qui avait une orchite et qui marcha trois jours avant d'être évacué. D'ailleurs, de le voir portant ses bourses comme un saint sacrement de douleur, me faisait penser dans les hallucinations de la marche forcée, à Richard Cœur-de-Lion qui, sur un livre de mon enfance, portait des têtes de Sarrazins attachées au poitrail de son cheval.
Élevée dans le coton, elle avait appris de bonne heure à ménager sa respiration
C'était un gaillard de six pieds. Sa figure était bien française - sans doute bourguignonne - avec un nez assez avancé et charnu, des yeux bleus enchâssés dans un trait léger mais net, une bouche appréciative, un teint coloré. Sa voix sonore était amortie et prolongée par l'ironie.
Comme je le craignais, mes nerfs furent d'abord rebroussés au contact de cette humanité qui n'est jamais si laide que dans ces orgies de vanité à bon marché où des milliers d'invitations lancées au hasard rassemblent pêle-mêle les ministres et les concierges, les parvenus et les resquilleurs, les célébrités éphémères et les ratés avides de faux semblant, les légitimes et les illégitimes, les gardes municipaux, les pickpockets, les ouvreuses, tant de gens laids, mal habillés, secrètement sales, ivres de la plus fades tisane d'amour-propre.
- Moi, je m'adonne entièrement à la particularité d'une femme. Ce qui fait, d'autre part, que je ne reste longtemps avec aucune.
Quand j'avais rejoint en juin 18 mes Américains, ils venaient d'arriver dans un secteur d'entraînement à la frontière suisse. Ils méprisaient la France qu'ils venaient de traverser : des maisons petites, des tas de fumier, des hommes facilement rossés, et tant de putains sans honte. Amenés sournoisement sur un front où l'on entendait trois coups de canon par jour, ils venaient me dire : " Voilà pourquoi la guerre dure depuis quatre ans."
(La fin d'une guerre)
(...) il s'indignait qu'Alain n'ait aucune idée des puissances de la vie intérieure, ne sût pas qu'elles flambent au soleil tout aussi bien que les exploits. Il aurait voulu lui réciter quelques unes de ces prières égyptiennes gonflées de la plénitude de l'être, où la vie spirituelle, en éclatant, épanche toute la sève de la terre (....) "N'impute pas ta pauvreté à la vie".
Les amis juifs que je gardais sont mis en prison ou sont en fuite. je m'occupe d'eux et leur rend quelque service. je ne vois aucune contradiction à cela ou plutôt la contradiction des sentiments individuels et des idées générales est le principe même de toute humanité. on est humain dans la mesure ou l'on fait entorse à ses dogmes. ( p 381)
Jamais un homme ne pardonnera à sa compagne ses propres faiblesses.