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Citations de Pietro Citati (102)


Toute l’Odyssée a un goût de mer : des navires quittent le port, il y a des tempêtes, des ouragans, des calmes plats, des vents favorables, des vents mauvais, des navires qui arrivent au port, des vaisseaux fabuleux, des hommes abandonnés aux flots, des hommes qui meurent en mer, les rivages désolés de l’Océan, ses couleurs, son écume, les aubes et les soleils couchants, Poséidon, dont la menace pèse sur les hommes.
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Les Lettres de Marina Tsvetaïeva

La correspondance de Marina Tsvetaïeva est, avec celle de Kafka, la plus belle de notre siècle. Je ne connais pas d'autre exemple d'une concentration intellectuelle aussi sublime.Nous lisons des centaines de lettres, adressées à des amis ou à des amants: il n'y a jamais une seconde de dispersion (...)
Elle était toute en limites, toute en
" non" , en murs, en refus.

( p.148)
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Imaginer un paysage tout de mort est presque impossible : l’imagination humaine est obligée d’y infiltrer un soupçon de lumière ; mais Homère y est parvenu avec une cohérence effrayante.

Les âmes qui volettent sont asséchées, desséchées, après le bûcher funèbre. Elles ne possèdent ni humeurs ni liquide – cette eau si abondante dans l’Océan ou sur notre terre, comme source primordiale ou comme pluie. Les âmes sont comme des images reflétées dans le miroir : identiques aux personnes qu’elles ont été dans la vie, mais affaiblies, vides, insaisissables ; elles s’enfuient dès que nous voulons les étreindre. Ou elles sont comme des fantômes, des spectres, des ombres, elles aussi inconsistantes. Ou comme des songes, comme de la fumée. Toutes les analogies possibles reviennent et s’entrelacent pour rappeler la spectralité sans remède qui imprègne d’elle-même tout l’Hadès et, chez Pindare, jusqu’à l’existence. Les âmes n’ont plus d’énergie, ni de conscience vitale, ni d’intelligence, ni de passion, ni de sang, ni de mémoire : pures enveloppes vides emplies de la substance vide du brouillard. Il ne leur reste qu’une voix, résidu de la voix humaine : une stridence sinistre, un piaillement comme celui des chauves-souris ; et elles volettent dans la nuit.
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"..En décembre 1914, il (Francis Carco) se mit à écrire à Katherine Mansfield. Il lui disait qu'il l'avait aimée dès qu'elle est arrivée à Paris et qu'il aurait voulu vivre avec elle dans une cabane au bout du monde ; que, loin d'elle, il éprouvait un épouvantable sentiment de vide.. (..) Ce flux désordonné de paroles attira la petite fille sentimentale qui se cachait dans le coeur de Katherine Mansfield : elle aimait son existence chaleureuse, riche de sensations ; elle se croyait proche de lui et pensait que vivre avec lui serait plus conforme à sa "véritable nature" que les trois ans passés avec Middleton Murry ..."

Eh ben il eut de la chance ce Francis Carco, écrivain de second ordre, qu'on pensât ça de lui ! Fût-ce son quart d'heure non pas de gloire mais de fierté ?
Ca me fait penser au compositeur Erik Satie qui fut tout émoustillé pour avoir passé une nuit avec Suzanne Valodon. Il eût bien aimé vivre avec elle plus que la durée d'une nuit ce cher musicien, il eût bien décoché les meilleures notes pour elle et cette séparation soudaine fut plutôt un crève coeur pour lui.. Il ne s'en remit pas tout de suite !
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[sur Alexandre Dumas père]

Il avait une santé animale. Il dormait quand il voulait. Il mangeait comme Gargantua. Il restait douze heures ou deux nuits à sa table de travail, puis courait au restaurant faire la fête avec ses amis. Comme d’Artagnan, il avait un côté à la Figaro d’intrigant pratique et malin. Il était vain, frivole, vaniteux, mais d’une vanité candide et charmante. (…) Expliquer Dumas est probablement aussi inutile qu’expliquer la mer, les arbres et le crépuscule. D’un côté, qui fut plus romantique que lui ? Il aimait l’illimité, la totalité, l’énorme, les spatulées de couleurs rapides et violentes, les fresques peintes avec fougue en l’espace d’une nuit. D’autre part, quelles simplifications charmantes, quel bon sens admirable, quelle légèreté jamais démentie, quelle mesure naturelle !
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Aucun autre texte, peut-être, de la poésie universelle ne nous révèle, autant que le Paradis, une immense force de dilatation : une euphorie, une joie, une sorte d'ivresse impressionnante et extraordinairement lucide, qui dépasse toute sensation, comme celle des anges-abeilles dans l'Empyrée, « enivrés d'odeurs ». Dante usa de tous les langages, élaborant dans l'espace de la parole, comme le disait Mandelstam, « un orgue d'une puissance infinie, jouissant de tous les registres imagi nables, gonflant pleinement ses poumons, chantant de tous ses tuyaux », Il usa du latin, de la terminologie philosophique, de la langue chiffrée des énigmes. Il construisit de monstrueuses périphrases géographiques, conduisant la rhétorique là où elle n'était jamais parvenue. Il accumula dans les mêmes vers un impressionnant matériel métaphorique, venu de toute la rose des vents des images. II éloigna les uns des autres les deux termes de la comparaison, de façon que les choses comparées parussent étrangères, et d'un coup de sa main nerveuse, il les fit coïncider, comme si elles étaient une, Qu'importait que sa langue ne fut pas destinée à durer, comme ne sont jamais destinées à durer les paroles humaines ? Usant et entrelaçant les langages qui meurent et se fanent, il outrepassa tous les langages existants, et sa langue, et la langue.
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Le bonheur survient quand, dans la profondeur des yeux, s'ouvrent des "cavernes éclairées" qui illuminent jusqu'aux tristes wagons du métro. Et la littérature est une "caverne éclairée" par une lumière venue à la fois de l'extérieur et de l'intérieur. Comme le dit un très beau passage de Mrs Dalloway, Virginia Woolf avait appris l'art le plus ardu. Elle tenait l'expérience, toute son expérience, même la plus terrible et la plus désolée, entre ses mains; elle la possédait; et elle "la tournait, avec une lente rotation, du côté de la lumière"
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Brève vie de Katherine Mansfield

Elle n'était heureuse que la plume à la main: voir l'encre couler sur la feuille de papier était, pour elle, comme sentir le sang couler dans ses veines. Quelqu'un lui avait assigné une tâche, et elle devait s'en acquitter jusqu'au bout-sans anxiété, sans hâte, en lui conférant toute la beauté possible. C'est ainsi devint une religion, cependant que la maladie l'emprisonnait toujours davantage. "Serai-je capable d'exprimer un jour tout mon amour pour mon travail- mon désir de devenir un meilleur écrivain, le voeu fervent d'un travail plus consciencieux ? de dire la passion que j'éprouve ? Elle me tient lieu de religion, car elle est ma religion; elle remplace la compagnie des autres, car elle me crée des compagnons, et la vie même, parce qu'elle est la vie. (...) " (p.331)
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L'Iguane d'Anna Maria Ortese

Beaucoup d'oeuvres littéraires naissent de la solitude. Mais j'ai rarement vu une solitude aussi profonde, aussi désespérée, aussi absolue que celle qui détruit et protège Anne Maria Ortese. Ce n'est pas la solitude d'un être humain, mais la solitude sans geste et sans parole de l'animal condamné, qui s'enferme dans sa tanière et voudrait ne plus en sortir: la solitude de Kafka. Dieu sait quels rêves infinis, quelles pensées informes, quelles sensations vertigineuses, que l'homme n'oserait jamais concevoir, emplissent l'esprit de l'écrivain-animal. Il est là, enfermé, et il écrit. (p. 181)
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Imaginons comment un écrivain moderne aurait représenté ces expériences qui vont et viennent. Cette mémoire intermittente, ces erreurs de l'écriture, cette tentative dramatique, constamment vaine et victorieuse, de se souvenir. Le livre se serait dissous dans un frémissement de lueurs obscures et lumineuses. Alors que, chez Dante, l'expérience mystique est au faîte de sa puissance. Les absences, les renoncements, les trous dans la grande toile sont les sommets douloureux de la béatitude; jamais comme alors, défaillant, égaré, sur le point d'être détruit, Dante ne connaît ce qu'il ne devrait pas avoir la force de connaître.
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Lou Salomé et Nietzsche

Il haïssait, de toutes les forces de cette rancoeur ignoble qu'il voua toujours aux personnes qu'il avait le plus aimées. C'était la haine du faible, de l'être blessé, souffrant, vulnérable.

( p.79)
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Nous sommes parvenus ici, vers la fin du temps retrouvé; nous avons lu des milliers de pages, sans comprendre les signes, les indices, les avertissements, les révélations inachevées, les clartés dans l’ombre; des épisodes entiers reçoivent maintenant leur signification : nous n’avions même pas compris les premières pages ; il nous faut maintenant revenir en arrière, déchiffrer Longtemps je me suis couché de bonne heure , puis relire tout le livre, tandis que Marcel commence à écrire le sien.
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Le signe de notre noblesse, c'est le manque : la faim qui nous torture, la bonté dont nous sommes dépourvus, la vérité que nous ne connaissons pas, la beauté à laquelle nous aspirons, le silence qui nous dissimule, les ténèbres qui nous enveloppent.
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Tous les poètes, jusqu’aux temps modernes, ont su cela : écrire de la poésie, c’est faire l’expérience de la liquidité ; et Pindare buvait de l’eau – l’eau d’une source, l’eau de l’Océan – avant de composer des vers. La poésie, chez Hésiode et Pindare, est un « nectar distillé », un ruissellement continu ; les Muses versent sur la langue du roi-poète « une douce rosée », de sa bouche s’écoulent « de douces paroles », de la bouche du bien-aimé des Muses « la voix coule doucement ». Dans cette eau jamais immobile, il n’y a rien d’éphémère : au contraire, c’est justement le flux incessant de la substance océanique qui rend les vers éternels, et aussi ceux qui les composent.
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Fitzgerald, lorsqu'il raconte, se glisse dans les interstices entre les choses : il est mouvant, ondoyant, fluctuant. Tout est précis à l'extrême, et indéterminé. Aussi la réalité perd-elle toute sa pesanteur, elle devient légère et transparente même si surviennent des évènements très douloureux : les faits se perdent dans l'atmosphère, ils se font air - et les mots, qui peuvent infliger la mort, sont des bulles de savon colorées.
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Dans l'une de ses dernières nouvelles, La décennie perdue, quelqu'un demande à un écrivain : "Qu'est-ce qui vous intéresse par dessus tout ? - Eh bien, répond l'écrivain, la nuque des gens. Leur cou - la façon dont leur tête s'unit à leur corps. J'aimerais entendre ce que ces deux fillettes disent à leur père. Non pas exactement ce qu'elles disent, mais si les mots flottent ou sombrent, la façon dont leur bouche se ferme quand elles ont fini de parler. C'est seulement une question de rythme... Le poids des petites cuillères, si légères. Une coupelle avec un bâtonnet. Le regard dans l'oeil de ce serveur... Je veux simplement voir comment les gens marchent et de quoi sont faits leurs vêtements, leurs chaussures et leurs chapeaux. Et leurs yeux et leurs mains. Cette poussière de choses et de sensations forme le moment.
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(p. 228-229)

Et puis – aimée, haïe, désirée, redoutée – la mort vint. (…) Il refusa tous les traitements des médecins, et pratiquement toute alimentation. Il ne cherchait pas à se suicider, comme l’en ont soupçonné certains. Il voulait vaincre la mort tout seul, avec les forces immenses de son livre et celle que, de loin, sa mère lui prêtait: sans prier, sans pleurer, sans gémir, sans parler, sans appeler à l’aide. Ce fut une folie. Il aurait suffi d’un traitement médical pour lui permettre de vivre et de terminer la Recherche, encore si pleine de vides, de discordances, d’arcs ouverts sur les abîmes, de clochers à demi dressés. Ce fut une folie: la dernière, simplement, d’un homme qui, toute sa vie, fut dévoré du désir de l’impossible, de l’immense et de l’extrême.
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(p. 48)

A Paris, Reynaldo Hahn et Proust allèrent un jour au Jardin d’Acclimatation, où il y avait un groupe de colombes poignardées – ces colombes qui portent à la poitrine une tache rouge pareille à une blessure ensanglantée. (…) Reynaldo fit remarquer qu’« avec leur blessure rouge et comme encore chaude », les colombes poignardées ressemblent à des nymphes qui se sont suicidées par amour et qu’un dieu a changées en oiseau ». Ce jour-là, Proust les contempla longuement, et il les aima de plus en plus profondément.
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Vers la fin de juillet, La flûte enchantée était presque achevée. Malgré sa solitude et sa neurasthénie, Mozart n'avait jamais cessé, pendant qu'il composait son opéra, de cultiver cet esprit bouffon qui l'aidait à relâcher la trop forte tension de ses esprits vitaux. Lorsqu'il était au piano, il s'abandonnait volontiers à son extraordinaire naire talent parodique. Il traitait un thème tantôt de façon grave, tantôt de façon burlesque; tantôt il courait à perdre haleine sur le clavier, tantôt il traînait, suppliant et misérable, parmi la foule mendiante des sons. Si le champagne excitait encore davantage son ardeur, Mozart commençait à exécuter une scène d'opéra à l'italienne.
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[sur "Les démons"]

Ne sous-estimons pas Piotr Verkhovenski. Stavroguine le méprise; le narrateur ne le comprend pas; mais Dostoïevski avait compris que seul un démon mesquin pouvait devenir, dans les temps modernes, le vrai génie de la destruction et de la dégradation. Verkhovenski devine que, dans un Etat moderne, la révolution est un spectacle théâtral; et que le vent dérisoire des mots, s'il est dirigé par un habile metteur en scène, est plus fort que les Etats, les armées, la bureaucratie et les Eglises. Aussi, avec l'aide de quelques camarades, répand-il ses incendies de paroles.
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