Citations de René Guy Cadou (222)
Il gelait à cœur fendre
Il gelait à cœur fendre
Aux terrasses délaissées de l’amour
Des caillots de neige
Fermaient les fleurs comme des voix
Et les Sœur-Anne dans les branches
Attendaient en vain un retour.
L'ALLÉE DU CALVAIRE
extrait 5
On pousse une petite grille qui grince atrocement dans l'épais silence des quatre heures, et là, il y a toutes sortes de plantes à foin et de grands arbres. Les allées sont sablées, on fait le tour de la chapelle. Mais par la porte entrebâillée, quelle fraîcheur ! L'ombre après le grand soleil. L'autel est recouvert d'une nappe de dentelle avec des vases toujours garnis de fleurs. Je ne crois même pas qu'il y ait autre chose que des fleurs dans cette petite chapelle ; les lis et les asters ont mangé les statues, et c'est pour eux seulement qu'on vient là, qu'on reste agenouillé de longs instants sur un tabouret de paille. On n'entre point là pour prier, mais comme dans une auberge perdue de montagne pour y trouver fraîcheur et repos.
…
Bonjour Federico
Federico je n'ai vu qu'une fois ton visage
Dans un journal à trente centimes d'avant la guerre
De celui-là je ne me souviens guère
Mais ta race éternelle est partout chez moi
Dans le geste obstiné de l'homme qui regarde
Sans cesse vers la mer le même galop blanc
Et sourit en voyant les portes de Grenade
S'ouvrir sur les haillons lumineux d'un enfant
Dans l'éventail de fleurs qui cache dans ses rides
La route et la misère bleue des posadas
Dans les bobines des chemins qui se dévident
Pour tromper la fatigue et la faim du soldat
Dans le ciel mesuré par un chant d'alouette
Dans l'herbe encore humide où demeure le cri
Du premier voyageur du triste véhicule
Qui roule vers le soir sa grossesse d'ennui
Dans l'homme abandonné de l'homme par la crainte
Quand douze fois honteux l'oeil mauvais l'étoila
Dans la grande étendue de plaines et de plaintes
Bonjour Federico Garcia Lorca
Mon amour tu es là comme une herbe qui penche
Sa longue écriture douce sur la page
Et je lis dans tes yeux et tu peux bien baisser
Ta paupière pareille à du genêt mouillé
J'épelle à haute voix comme un enfant qui dort
La chaude et mesurée syllabe de ton corps.
Hélène
Je t’atteindrai Hélène
À travers les prairies
À travers les matins de gel et de lumière
Sous la peau des vergers
Dans la cage de pierre
Où ton épaule fait son nid
Tu es de tous les jours
L’inquiète la dormante.
Sur mes yeux
Tes deux mains sont des barques errantes
À ce front transparent
On reconnaît l’été
Et lorsqu’il me suffit de savoir ton passé
Les herbes les gibiers les fleuves me répondent
Sans t’avoir jamais vue
Je t’appelais déjà
Chaque feuille en tombant
Me rappelait ton pas
La vague qui s’ouvrait
Recréait ton visage
Et tu étais l’auberge
Aux portes des villages
Comme un oiseau dans la tête
Le sang s'est mis à chanter
Des fleurs naissent, c'est peut-être
Que mon corps est enchanté
Que je suis lumière et feuilles
Le dormeur des porches bleus
L'églantine que l'on cueille
Les soirs de juin quand il pleut
Dans la chambre un ruisseau coule
Horloge au caillou d'argent
On entend le blé qui roule
Vers les meules du couchant
L'air est plein de pailles fraîches
De houblons et de sommeils
Dans le ciel un enfant pêche
Les ablettes du soleil
C'est le toit qui se soulève
Semant d'astres la maison
Je me penche sur tes lèvres
Premiers fruits de la saison.
- Pourquoi ne viens-tu pas à Paris?
- Mais, l'odeur des lys, mais l'odeur des lys!
Nous mettons tout en commun…
Nous mettons tout en commun
Sous la lampe
Tout ce que contiennent nos mains notre regard
Un ciel cent fois partagé
Un amour limité à sa forme la plus simple
Il ne faut plus parler de ce que tu dois
Tu es là
Et tu payes de ta présence
Tu peux compter sur moi
Puisque tu es la plus belle.
AVEC L’AMOUR
N’entrez pas en ce moment
Ne venez pas me rejoindre à ce tournant
De ma vie
Laissez plutôt les chiens hurler sous la fenêtre
Et le vent s’approcher des murs
Je commence un poème qui ne doit pas s’achever
Il est parti du monde avec les feuilles
Il a tourné dans le soleil et dans ma main
Il est monté avec l’oiseau jusqu’à mes lèvres
Mais la beauté ne suffit plus
Laissez-moi seul avec l’amour
Je n’ai besoin pour vous aimer
Que d’un bruit de pas dans la rue
Et loin de vous je puis écrire
J’aime tous ceux qui font l’amour
Car je suis capable d’aller
De vous à moi
Sans déranger
La solitude et la parole.
Chambre de la douleur
Extrait 1
La porte est bien fermée
Une goutte de sang reste encor sur la clé
Tu n'es plus là mon père
Tu n'es pas revenu de ce côté-ci de la terre
Depuis quatre ans
Et dans la chambre je t'attends
Pour remailler les filets bleus de la lumière
La première année j'eus bien froid
Bien du mal à porter la croix
Et j'usai mes belles mains blanches
À raboter mes propres planches
Déjà prêt à partir sans toi
…
Retour de flamme
Les oiseaux ont emporté les arbres
Le vent debout arrête ce qui part
Il y a quelque part
La mèche vendue du soleil
Mais l'oreille est pleine d'abeilles
Et la tête tourne
Je n'ai plus rien à moi
Que ma vie sur les bras
Un cœur qui n'a pas son pareil
Forges du vent
Extrait 2
Ainsi la part est faite
Je te laisse les hommes
Des visages défaits
Aux croisées de l'amour
Moi je garde la mer
Et mes châteaux de sable
Et mes larmes du premier jour
Pleine poitrine
LES FUSILLÉS DE CHATEAUBRIANT
Extrait 2
Ils ne sont déjà plus du pays dont ils rêvent
Ils sont bien au-dessus de ces hommes
Qui les regardent mourir
Il y a entre eux la différence du martyre
Parce que le vent est passé là ils chantent
Et leur seul regret est que ceux
Qui vont les tuer n’entendent pas
Le bruit énorme des paroles
Ils sont exacts au rendez-vous
Ils sont même en avance sur les autres
Pourtant ils disent qu’ils ne sont pas des apôtres
Et que tout est simple
Et que la mort surtout est une chose simple
Puisque toute liberté se survit
Pleine poitrine
LES FUSILLÉS DE CHATEAUBRIANT
Extrait 1
Ils sont appuyés contre le ciel
Ils sont une trentaine appuyés contre le ciel
Avec toute la vie derrière eux
Ils sont pleins d’étonnement pour leur épaule
Qui est un monument d’amour
Ils n’ont pas de recommandations à se faire
Parce qu’ils ne se quitteront jamais plus
L’un d’eux pense à un petit village
Où il allait à l’école
Un autre est assis à sa table
Et ses amis tiennent ses mains
…
17 juin 43
Tu étais la présence enfantine des rêves
Tes blanches mains venaient s'épanouir sur mon front
Parfois dans la mansarde où je vivais alors
Une aile brusquement refermait la lumière
J'appelais je disais que vienne enfin la grande
La belle la toujours désirable et comblée
Et j'allais regarder souvent à la fenêtre
Comme si le bonheur devait entrer par là (...)
Destin du poète
Le soir qui bouge son oreille
Comme un vieil âne abandonné
Le dernier corset d'une abeille
Oublié sur la cheminée
La cloche triste de l'asile
Et le pas qui répond au pas
Dans la mesure où ce qui veille
Encourage ce qui n'est pas
L'oiseau qui tombe sur la pierre
Le sang qui tombe sur le cœur
La bonne pluie des réverbères
Qui donne à boire au malfaiteur
Le trou d'aiguille par où passe
Le fil ténu de la clarté
La bobine du temps qui roule
Sous les lauriers sous les sommiers
Mais se savoir parmi les hommes
En un présent aventureux
Une petite lampe à huile
Qui peut encor mettre le feu.
J'aimerais assez cette critique de la poésie : la poésie est inutile comme la pluie.
Credo
Je ne crois pas en les miracles de Lourdes
Je crois dans une belle journée
Avec des ramasseuses de colchiques
Et des jeunes gens égayés
Car Dieu sur la montagne est bien près de me plaire
Qui dans la double écuelle de ses mains
Assaisonne la soupe noire de la terre
D'un peu de sel puisé dans les yeux du matin.
30 MAI 1932
Il n'y a plus que toi et moi dans la mansarde
Mon père
Les murs sont écroulés
La chair s'est écroulée
Des gravats de ciel bleu tombent de tous côtés
Je vois mieux ton visage
Tu pleures
Et cette nuit nous avons le même âge
Au bord des mains qu'elle a laissées
Dix heures
La pendule qui sonne
Et le sang qui recule
Il n'y a plus personne
Maison fermée
Le vent qui pousse au loin une étoile avancée
Il n'y a plus personne
Et tu es là
Mon père
Et comme un liseron
Mon bras grimpe à ton bras
Tu effaces mes larmes
En te brûlant les doigts.
Et je cherche à travers ton corps la transparence
La fleur de neige au bord des vallées de silence
Tes blanches mains crispées sur les harpes du vent
Quand je baisse les yeux le fleuve recommence
A rouler dans tes yeux les sables ignorants