Un livre bien particulier que celui-ci, qui m’a à la fois touchée tout en me laissant un sentiment d’inachevé…
Je n’avais jamais lu auparavant de livres de Santiago H. Amigorena, dont les trois titres de ses romans précédents me laissent euh… pantoise : Une enfance laconique, Une jeunesse aphone ou encore Une adolescence taciturne. Comme ça, de prime abord, on peut être tenté de se dire que le type ne va pas fort ! Après quelques recherches sur lui, j’ai appris que son thème de prédilection était le silence, ce qui se confirme avec Le ghetto intérieur qui porte incroyablement bien son titre. J’ai également appris qu’il s’agissait d’un Argentin vivant en France, scénariste et réalisateur de films (il a écrit Le péril jeune de Klapisch quand même !) et qu’en plus il est le père des enfants de Julie Gayet (j’aime les infos people).
Cet opus relate l’histoire du grand-père de l’écrivain : Vicente Rosenberg.
Vicente est un polonais juif exilé en Argentine en 1928 pour vivre sa vie, se couper de l’armée polonaise et de sa mère décrite à ce moment-là comme un poil étouffante. Arrivé en Argentine, il découvre la liberté, l’espagnol, la suavité de l’Amérique Latine. Tout roule pour lui, il se fait des amis, rencontre Rosita (une juive de l’Est également dont les parents sont aussi émigrés, mais née en Argentine), a plusieurs enfants, reprend le magasin du beau-père. Il est heureux.
Mais voilà, à partir des années 30, en Europe, fascisme et nazisme gagnent en importance. Suivant cela au début du coin de l’œil, Vicente vit un calvaire d’exilé découvrant année après année, mois après mois, que sa famille restée en Pologne vit l’horreur, d’abord enfermée dans le ghetto de Varsovie, puis en route vers les camps…
C’est évidemment un livre tragique dont on connaît la fin. Donc je ne vous apprends rien. Ce qui est très bien traité, c’est l’enfer des proches éloignés qui comprennent qu’il se passe quelque chose de très grave sans savoir quoi réellement (car le reste du monde ne savait qu’assez peu l’ampleur des évènements), et sans pouvoir avoir de nouvelles. Vicente culpabilise énormément d’être parti, de ne pas être avec sa mère, mais aussi de ne pas l’avoir fait venir en Argentine, comme l’ont fait certains de ses amis polonais émigrés avec leurs parents, parce que dans le fond il ne voulait pas vivre avec sa mère, l’avoir dans la même ville pendant ses années de bonheur. Cette culpabilité va le tuer à petit feu : d’un homme gai et joyeux, il devient prisonnier d’un silence inédit, rongé par sa culpabilité et sa peur, laissant femme et enfants complètement paumés devant cet homme qui ne répond plus à rien ni de rien.
Un livre franchement dur donc, mais qui donne à voir ce que l’on connait moins : la culpabilité de ceux qui restent, qui ont réussi à sauver leur vie, parfois au détriment de leurs proches. Mais aussi évidemment les répercussions, encore présentes, de la Shoah qui n’a jamais que 70 ans et qui continue de ruiner des générations entières survivantes, ou proches de survivants.
Mais j’ai un sentiment d’inachevé car le livre se termine sur la fin de la guerre, mais sans savoir réellement ce que vit Vincente après, une fois qu’il comprend et découvre l’horreur de la vérité. Or l’auteur a tellement invité le lecteur à suivre ce chagrin, cette déperdition, que terminer ainsi, c’est un peu nous laisser sur la touche.
Jo la Frite
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