Lecture par l'autrice & Tania Saleh, accompagnées de Pierre Millet
Publié en 1923 puis traduit en 40 langues, le Prophète de Khalil Gibran est universel et intemporel. Ce conte philosophique puise dans les enseignements des trois cultes monothéistes, des religions de l'Inde mais aussi aux sources d'oeuvres révolutionnaires, tels que les écrits de William Blake, de Nietzsche et de Jung. Zeina Abirached offre ici la première version entièrement dessinée de ce chef-d'oeuvre. Dans une chorégraphie d'ombres et de lumières, elle nous invite à rejoindre les habitants d'Orphalèse réunis pour questionner le jeune Almustafa sur les grandes orientations de la vie. Enfant du Liban et de l'exil, comme Khalil Gibran avant elle, Zeina Abirached nous propose de découvrir autrement ce texte magistral dont la force et la portée n'ont pas fini de nous surprendre.
« C'est dans la rosée des petites choses que le coeur trouve son matin et se rafraîchit. »
Khalil Gibran, le prophète
À lire Zeina Abirached & Khalil Gibran, le Prophète, trad. par Didier Sénécal, éd. Seghers, 2023.
Son : Alain Garceau
Lumière : Patrick Clitus
Direction technique : Guillaume Parra
Captation : Marilyn Mugot
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Avoir l'accent, enfin, c'est, chaque fois qu'on cause, parler de son pays en parlant d'autre chose...
Il aurait voulu plonger dans ses livres. Être traversé par leurs lettres et nager dans un océan sans ponctuation.
Khaled racontait qu'il était né au Texas. Pour les beaux yeux de Linda, disait-il, il avait consenti à vivre ici.
Il racontait que là bas, il y avait un très beau phare,
une grande roue, une corniche de bord de mer, des restaurants, des magasins illuminés
des marchands ambulants, des cafés trottoirs
et surtout, les meilleurs "merry creams" du monde.
" ...et la Méditerranée à perte de vue! "
Le Texas ...C'était ce que Khaled avait trouvé de plus éloigné pour désigner le quartier de Beyrouth-ouest où il avait vécu et dont la guerre l'avait privé.
Un jour elle en a eu assez
Elle a décidé de m emmener chez le coiffeur (…)
Je croyais que le coiffeur avait le pouvoir d’ allonger les cheveux (…)
Il m’a laissé avec un gros chagrin
et une tête de mouton !
Héberger un mouton sur ma tête n’est pas toujours commode.
J’ai tout fait pour me débarrasser de lui !
Je me souviens de juillet 2006.
Je suis à Paris, ils sont tous là-bas.
Il y a vingt ans déjà, ma plus grande angoisse était de les perdre.
Je me souviens que ma mère m'envoyait plusieurs textos par jour...
...pour me rassurer.
Mais je sais que ce qu'ils ont vécu est dans tous les textos qu'elle ne m'a pas envoyés.
S'il existait un métronome pour le cœur des hommes, il aurait indiqué qu'Abdallah était tout allegro, avec de soudaines pointes presto...
Et cela ne facilitait pas la vie à Victor qui affichait, lui, l'imperturbable adagio
des personnes habituées aux voyages.
Victor Challita était le premier grand copain d'Abdallah.
Autant dire que ça faisait un bail qu'ils s'accordaient.
Je me suis rendu compte que le français
et l'arabe sont intimement liés en moi
inextricables, le français
et l'arabe sont ma langue.
Je tricote depuis l'enfance une langue faite de deux fils fragiles et précieux.
Il y a deux jeux de mikados renversés en vrac dans ma tête.
C'est l'ADN de ma langue maternelle.
Ernest, qui était bien trop timide pour regarder les clientes,
soulignait des passages entiers de texte... Et son crayon bien taillé faisait un joli bruit sur le papier un peu grêlé de ses livres en français dont il découpait une à une les pages avec le coupe-papier [...].
Il aurait voulu plonger dans ses livres
être traversé par leurs lettres.
Pour éviter le franc-tireur, les habitants du quartier avaient mis au point un système de circulation entre les immeubles. Pour traverser les quelques rues qui nous séparaient, il fallait respecter une chorégraphie complexe et périlleuse
Abdallah n'aimait pas beaucoup les grands magasins
il aimait
repérer un article,
lui tourner autour,
l'essayer,
réfléchir,
réfléchir,
réfléchir encore...
Et revenir plus tard pour l'acheter enfin.