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Critiques de Émile Zola (4487)
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Les Rougon-Macquart, tome 7 : L'Assommoir

Définition du Petit Larousse 2051 :

Assommoir (nom masc.) : livre percutant, machine à donner des coups de poing en pleine face au lecteur. Ex : " Tiens, j'ai découvert un livre incroyable, c'est un vrai assommoir. " " Oh, là, là ! Je viens de lire les Cinquante Nuances de Grey ! Pfff ! C'était pas de l'assommoir ! "



Aujourd'hui, je vais choisir un parti pris peut-être osé, pas trop assommant, je l'espère : je vais prétexter qu'Émile Zola n'est pas un écrivain talentueux. Je sens déjà gronder la meute alors il me faut de suite préciser ce que j'entends par talentueux.



Selon moi, Émile Zola n'est pas le type de l'écrivain foncièrement doué dès le départ, qui a un sens inné de la formule juste, qui, quoi qu'il touche, aura toujours une plume séduisante, ce n'est pas un Beaumarchais , un Voltaire ou un Hugo qui pourrait presque se permettre de laisser courir sur le papier le flot continu de sa pensée sans jamais que cela soit pénible à lire.



Non, Zola, à mon avis, c'est l'inverse de cela. C'est un écrivain laborieux, tenace, obstiné, travailleur jusqu'au stakhanovisme, qui remet cent fois l'ouvrage sur le métier, qui se fixe un point et qui s'y tient, qui creuse, qui creuse, qui creuse son sillon, patiemment, motte après motte, comme un boeuf écumant jusqu'à ce que le champ soit entièrement labouré. Alors seulement, il s'autorise une petite pause, prend son mouchoir, essuie son front et ses lunettes, arbore un petit sourire de satisfaction en regardant sa parcelle retournée, puis retrousse à nouveau ses manches et repart pour une nouvelle besogne.



Jacques Brel disait : " le talent, c'est d'avoir la volonté de faire quelque chose. " et c'est en ce sens-là qu'Émile Zola est talentueux selon moi. Si vous avez un jour la curiosité de lire les Rougon-Macquart dans l'ordre, vous vous apercevrez qu'il lui aura fallu attendre le treizième volume pour atteindre ce qu'une large majorité considère comme sa quintessence, avec Germinal. Treize romans avant le Nirvana, ce n'est pas rien tout de même.



Vous vous apercevrez, ce qui pour moi est toujours assez émouvant, que c'est vraiment à force de travail qu'Émile Zola a acquis son art. le projet est très comparable dans le Ventre de Paris ou dans Au Bonheur Des Dames : on décrit les Halles dans l'un et les grands magasins dans l'autre. le but est clairement descriptif et documentaire, or, ce travail qui pouvait s'avérer lourd, redondant et pléthorique dans le Ventre de Paris, numéro 3 du cycle, passe comme une lettre à la poste dans Au Bonheur Des Dames, le numéro 11. Il a progressé, il s'est amélioré, il s'est affiné il maîtrise mieux non pas son sujet, mais son art, l'art de la plume de l'écrivain naturaliste.



Et ici, avec L'Assommoir, c'est absolument flagrant. C'est tellement beau, c'est tellement fort, c'est tellement émouvant de le voir sous nos yeux apprendre à maîtriser l'art du dérapage sur piste glissante, de le voir s'en tirer à chaque fois mieux, commençant au correct et terminant au sublime.



Car dans le fond, pourquoi ce septième roman des Rongon-Macquart a-t-il connu plus de succès que tous ceux qui ont précédé et jouit-il d'une plus grande notoriété ? A priori, il n'est pas fondamentalement différent des autres. La recette de Zola semble toujours un peu la même, le couple subissant une lente agonie et une spirale descendante a déjà été dépeint dans La Conquête de Plassans.



Cette fois, c'est la cousine des Mouret, la célèbre Gervaise Macquart, devenue Coupeau qui est sur le gril. Zola nous embarque dans les arcanes du monde des ouvriers et des petits commerçants de Paris, et comme dans les ouvrages précédents, la part faite à la description est grande. Vous découvrirez les lavoirs, les blanchisseries, l'atelier miteux du chaîniste de la Goutte d'Or, les toits de Paris couverts de zinc, la forge, qui ressemble à celle de Vulcain, les fleuristes, et même l'auteur nous emmène au Louvre, puis bien évidemment, dans l'antre fétide et maléfique des débits de boisson où les ouvriers viennent s'abîmer.



Qu'est-ce qui est si différent ici des autres romans ? Sur le fond, probablement rien. Zola continue d'y creuser son sillon, de dérouler son oeuvre sociale sur un nouveau pan de la société, en l'occurrence les classes ouvrières qu'il avait déjà un peu visité dans le Ventre de Paris. Gervaise n'est pas si loin de réussir dans la blanchisserie comme sa soeur Lisa dans la charcuterie.



Ici, à mon avis, la grande différence, ce qui est vraiment magique avec ce roman, provient du style qu'Émile Zola va employer et faire éclore, sous nos yeux, à force de travail, sans presque l'avoir fait exprès. À force de s'accoquiner au phrasé et à l'argot le plu cru de l'époque (pour faire plus vrai), la prose de Zola s'est révélée, s'est transfigurée page après page, par ce mélange de langue érudite et de langue fangeuse. Pour moi, c'est ça qui explique le succès phénoménal de L'Assommoir.



Regardez, observez, soyez attentifs, suivez l'évolution du style au sein du livre et découvrez au chapitre 10 notamment, cette espèce de mélange de lyrisme et de miasmes absolument nouveau, même pour Zola et d'une fluidité, d'une force absolument prodigieuse, qui deviendront la " marque de fabrique " de l'auteur, qui annonce le style du grand, de l'inénarrable Céline. Un style qui a éclos ici, presque fortuitement à l'écriture forcenée de L'Assommoir par un Zola plus laborieux et travailleur que jamais.



Ainsi, à baigner dans le jus de l'argot, la prose du naturaliste a acquis une dimension supplémentaire, Émile Zola a fait évoluer son style pour coller à la violence, à la médisance et à l'indigence qu'il décrit. Et c'est, volontairement ou non, qu'il atteint l'excellence, car on le sentait certes en germe dans les ouvrages précédents (il avait un peu raté le coche dans le Ventre de Paris), mais jamais encore il n'avait pleinement épanoui une telle verdeur de style, une certaine révolution, qui fait qu'aujourd'hui Zola est Zola.



Bref, on a le sentiment qu'à décrire la lente et inéluctable descente aux enfers de Gervaise dans la puanteur et le désespoir, l'auteur s'est trouvé lui-même et a franchi le seuil de son identité littéraire. Il y aura un " avant " et un " après " L'Assommoir. La scène du fouet chez le père Bijard au chapitre 10 est l'une des plus dures qu'on puisse imaginer, rappelant les pires déboires de Fantine et Cosette réunies dans Les Misérables.



On sent Gervaise fragile psychologiquement, jamais très loin de s'en sortir, mais effectuant toujours le mauvais choix quand s'offre une alternative tant avec Lantier (admirable en sa qualité de " ver dans le fruit "), que Coupeau suite à sa chute, que Goujet qu'elle n'ose pas rejoindre alors que lui seul semblait pouvoir lui assurer un certain salut.



Finalement, ce qui est touchant chez Gervaise (un peu comme chez Nana sa fille plus tard), c'est cette dénégation de la vie, cette abnégation à affronter la chute sans craindre la mort tellement l'existence a peu de prix pour elle. La scène d'apocalypse finale que subit Coupeau en proie au pire des delirium tremens est une sorte de synthèse, où tout le mal accumulé dans les chairs et dans l'esprit dans cette descente ressort en un torrent de douleurs et de démence indescriptibles. Ce roman est aussi le germe, l'éclosion de deux personnages important des romans à venir, en la personne de Nana dans le roman éponyme et d'Étienne dans Germinal.



Enfin, comme les Halles dans le Ventre de Paris et plus tard, la locomotive de la bête humaine, l'alambic de L'Assommoir du père Colombe est élevé au rang de personnage effectif, démon maléfique et vénéneux au pouvoir quasi mystique digne des sortilèges de l'Odyssée.



Lisez et relisez ce premier (et pas dernier) grand coup de poing en pleine face que nous assène Émile Zola dans les Rougon-Macquart. Or, bien entendu, ce que vous venez de lire n'est qu'un avis, alambiqué et assommant, c'est-à-dire, pas grand-chose.
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Les Rougon-Macquart, tome 11 : Au bonheur d..

Revoilà, en 1883, le Zola magique et visionnaire, qui signe chronologiquement son deuxième grand chef-d’œuvre du cycle des Rougon-Macquart après l’Assommoir paru en 1877.

Au Bonheur Des Dames est une réussite totale selon moi pour au moins cinq raisons que je vais tenter d’égrener ci-dessous :

1°) Premièrement, ce roman répond pleinement à l’un des objectifs du cycle littéraire des Rougon-Macquart qui se propose de dresser une histoire naturelle et sociale sous le Second Empire. Ici, on est en plein dedans. Quoi de plus marquant en effet que l’émergence du nouveau commerce, qui se matérialise par le fleurissement de ce que l’on nommera désormais « Les Grands Magasins » dans le Paris de la seconde moitié du XIXème siècle ? Ce n’est pas tout à fait nouveau et le grand maître et inspirateur d’Émile Zola en la personne de Balzac l’avait bien senti dans son César Birotteau dès 1837, mais c’est bien Zola qui se fait le meilleur porte-parole, rapporteur, clinicien et documentaliste de cette grande évolution sociale du commerce dont nous sommes encore, et pour probablement de longues décennies à venir, les dociles rouages.

À cet égard, Au Bonheur Des Dames se situe sur la même ligne documentaire, qui relève les évolutions sociétales de l’époque, que Le Ventre De Paris, qui traitait de l’émergence des Halles centrales ou que son futur autre grand roman, L’Argent, qui présentera quant à lui les ficelles de la mécanique boursière.

2°) En revanche, et c’est ma transition, l’exercice est beaucoup mieux maîtrisé dans Au Bonheur Des Dames que dans Le Ventre De Paris. Autant le lecteur croulait sous les éboulis de légumes, les amas de viandes et de gibier ou encore l’indigestion des fruits de saison, autant ici l’auteur sait nous faire le portrait de ce grand déballage de marchandise sans nous étouffer sous des descriptions pléthoriques, sauf peut-être au quatorzième et dernier chapitre où la débauche de linges divers peut devenir fatigante à la longue comme ce l’était dans les grouillantes et débordantes Halles Baltard. Hormis ce petit bémol, on peut dire que Zola parvient à tout nous montrer, sans rien oublier des coulisses et des dédales du magasin sans jamais nous gaver sous l’opulence nécessaire ou l’exubérance obligée des descriptions.

Ça n’a l’air de rien, mais c’est un exercice littéraire très difficile à réaliser. Ce numéro d’équilibriste mérite un sacré coup de chapeau, que je n’hésite pas à donner ici pour la science de la description mise en œuvre, de la documentation savamment travaillée et entrecoupée de dialogues ou d’actions pour éviter l’écœurement ou l’overdose du lecteur, histoire de faire « comme si », « en passant », « au hasard », vous en appreniez sur le fonctionnement et la réalité historique du magasin, « sans en avoir l’air ». Un véritable art du roman au service d’une cause plutôt journalistique et/ou documentaire.

3°) On peut aussi remercier Émile Zola de nous faire vivre avec autant d’acuité la réalité des rapports sociaux au sein de cette grande entreprise naissante. Il est fréquent dans ses autres romans que l’auteur charge un peu la mule sur le côté dépravé, qu’il se complaise à vouloir peindre une humanité viciée et irrécupérable, fondamentalement mauvaise. Ici, par un miracle de grâce, il sait jouer la note juste, et rien que la note, (comme aurait pu remarquer un Miles Davis des grands soirs), pas de surenchère.

Il montre des gens à l’œuvre, avec leurs qualités, leurs défauts, mais avec une certaine neutralité de ton. Il met sur le dos de la lutte pour l’existence les principales déviances du personnel. Les langues de vipère sont odieuses, certes, dignes des pires ordures qu’il nous avait déjà décrites ici ou là, mais dans le seul but d’améliorer leur quotidien, notamment en piquant la place d’un autre ce qui aura pour effet supposé et conséquence attendue d’augmenter leur rétribution à la fin du mois. Ce n’est pas souvent de la méchanceté gratuite, c’est le sous-produit d’une frustration ou d’une vexation. Il y a aussi, ce qui n’est pas si fréquent chez Zola, des personnages résolument probes et positifs, qui font office de petits lumignons, des manières de rayons de soleil, qui parcourent les autres rayons, ceux où en plus des marchandises sont entassées des motivations troubles.

4°) On peut percevoir aussi Au Bonheur Des Dames comme un indispensable liant au sein du cycle littéraire, le carrefour obligé où convergent de nombreuses lignes tendues entre différents romans des Rougon-Macquart. Du percement des artères nouvelles de Paris dans La Curée au fonctionnement des grosses fortunes dans L’Argent ; du mode de vie bourgeois dans Pot-Bouille aux errements mondains dans Nana ; en passant par l’émergence d’une société de consommation dont Au Bonheur Des Dames remplit le volet fantaisie et Le Ventre De Paris le pendant alimentaire. Le monde nouveau apparu au XIXème siècle se cristallise avec vigueur dans ce roman et dont le XXème et maintenant le XXIème siècle sont des avatars.

Le rapport qu’entretient Au Bonheur Des Dames avec les autres romans-clés du cycle est un véritable élément structurant, qui apporte un surcroît de cohérence et de pertinence à l’ensemble de l’édifice à tiroirs que sont Les Rougon-Macquart.

5°) Enfin, c’est mon cinquième point, mais je pourrais en développer encore une demi-douzaine d’autres non moins importants à mes yeux, c’est cette fabuleuse description d’une lutte perdue d’avance, sur le « progrès » ou, à tout le moins, sur l’histoire en marche.

Personnellement, entre mon enfance et maintenant, j’ai assisté à deux de ces mutations irrésistibles, qui balayent tout devant elles, mieux que les vagues d’un tsunami, à savoir la disparition quasi-complète des stations-service indépendantes dévolues au seul débit de carburant et à la fin de la profession de pompiste. J’ai connu cette vague sourde et pourtant formidable qui pulvérisa tout sur son passage en délivrant dans les supermarchés des carburants à prix coûtant, exactement comme Octave Mouret tue sa concurrence avec un produit d’appel, qui est dans le roman la soie « Paris-Bonheur ». C’est exactement ça, rien n’a changé.

J’ai également assisté au remplacement quasi intégral des petits magasins de nos centres villes de province ou d’ailleurs par des mêmes chaînes d’enseignes qui font que désormais, quelle que soit la ville où vous vous arrêtez en France, du Nord au Sud et d’Est en Ouest, vous rencontrez exactement les mêmes magasins, et ceci est valable maintenant dans à peu près toutes les villes d’Europe et bientôt, du monde.

Pour les personnes un peu plus jeunes que moi, cette lutte inégale et perdue d’avance, dans les quelques années récentes pourrait également être illustrée tant par l’arrivée du numérique face à l’argentique en photographie, que par le e-commerce face aux enseignes historiques. Voir capoter Virgin et se figurer la Fnac en train de battre de l’aile était tout bonnement inimaginable avant l’émergence d’Amazon et des téléchargements gratuits sur internet.

De même, il n’y a pas si longtemps, le marché des cartes téléphoniques avait pignon sur rue, désormais, c’est tout juste si l’on peut encore trouver une cabine. Quand je passe devant une de ces survivantes sub-claquantes cabines, je ressens quelque chose de très semblable au déclin du Vieil Elbeuf de l’oncle Baudu décrit dans le roman. Même chose, même constat. Finement observé Émile.



Il en va de même (cela pourrait faire l’objet d’un sixième point, mais j’ai parlé de cinq donc je n’abuserai pas de votre patience) pour les techniques commerciales. On pourrait croire, vu de notre début de XXIème siècle que toutes les techniques agressives et impitoyables du commerce actuel nous proviennent des États-Unis. Non, non, non, messieurs, dames. C’est nous qui les avons inventées ces belles saloperies, et presque toutes, même ! Voilà un beau cadeau de la France à l’humanité, presque aussi grand que la déclaration des droits de l’homme, ce qui n’est pas peu dire.

Oui, honte à nous, tout ce qu’il y a de plus vil et inhumain dans le commerce fut testé grandeur nature dans les grands magasins d’alors et victorieusement importés partout où des gens ont eu envie de bâtir des fortunes en déniant l’humain qu’il y a derrière, c’est-à-dire, partout dans le monde, quelles que soient la couleur de la peau, la religion ou les habitudes culinaires… Les hommes naissent tous égaux en cupidité, égoïsme et appât du gain. Amen.

Un autre point fort intéressant (cela pourrait être un septième point, mais vous connaissez ma position) est celui de l’évolution des comportements suscités par le style même de ces grands magasins. Je pense notamment aux incoercibles kleptomanies qui ont été bien documentées à l’époque, et qui touchent toutes les franges de la population, indépendamment du revenu net des personnes qui s’y adonnent. Émile Zola ne se prive pas pour montrer à l’œuvre une femme de l’aristocratie, incapable de juguler sa frénésie pour les dentelles de luxe (Mme de Boves).

Autre élément hyper intéressant du roman (éventuel huitième point), le statut des femmes au travail, encore très marginal pour l’époque. Une femme qui s’assumait seule hors mariage, telle que peut l’être l’héroïne Denise, était considérée en ce temps-là être une femme de mauvaise vie (entendez mauvaises mœurs). Le fait donc que des femmes, en quantité, puissent accéder à un emploi reconnu honnête, qu’elles puissent même gagner plus d’argent que leur mari (c’est le cas d’Aurélie Lhomme, la première des confections) est une véritable révolution sociale et sociétale dans le couple introduite, entre autres, par ces grands magasins et Zola ne rate pas le coche. Une fois encore, c’est bien observé.

Mes neuvième, dixième et onzième points hypothétiques pourraient être constitués par : l’avènement de la publicité qui explose à l’époque (c’est même pour réfréner cette pullulation que seront créées les colonnes Morris) ; la naissance progressive de la vente par correspondance et le rôle tenu par les grands magasins dans la réduction des marges qui étranglent les fabricants, prélude aux tristement célèbres délocalisations dont nous pouvons constater les effets chaque jour.

Évidemment, cette estimation d’une demi-douzaine d’autres points est une fourchette basse car on pourrait encore parler de nombreux autres éléments nouveaux et épinglés par l’auteur. Si vous voulez des exemples, je m’abaisse encore à vous citer le cas de la concurrence déloyale et quelque peu inattendue, pour un secteur spécialisé du commerce, lorsqu’il voit débarquer une grosse structure généraliste drainant une clientèle monstrueuse, qui se met à exploiter son propre pan d’activité, sa propre niche écologique commerciale, si j’ose dire. Ou bien encore, ce phénomène nouveau pour l’époque, des femmes de province n’hésitant plus à risquer de longues heures de train pour venir faire leurs emplettes au loin dans la capitale et seules (imaginez l'émoi suscité chez les braves maris patriarches provinciaux) dans ces grandes enseignes parisiennes qu’étaient Au Bon Marché, Les Grands Magasins du Louvre, À la Belle Jardinière, Le Printemps, La Samaritaine et (postérieurement au roman de Zola) Les Galeries Lafayette.



Bref, je ne vais pas m’étendre plus longuement sachant que nombreux sont ceux qui ont déjà exprimés brillamment les qualités et les défauts de ce roman. Un authentique coup de cœur pour moi, un opus consistant et documentaire, plus distancié et impartial qu’à l’habitude, révélant un vrai pan de l’évolution sociétale du Second Empire et, même si l’on peut reprocher un tout petit peu le statut de quasi sainte vierge de Denise dans cette frénésie d’achat et de vente, on ne va pas se plaindre qu’Émile Zola, pour une fois, ait décidé de faire une manière de fin heureuse et de laisser poindre l’espoir derrière le fatal effondrement des anciennes bâtisses du commerce.

Un très grand cru donc, que je vous conseille sans modération, mais ce n’est, bien évidemment, que mon avis, j’allais dire, bon marché, c’est-à-dire, très peu de chose.
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Les Rougon-Macquart, tome 1 : La fortune de..

Voici le roman qui inaugure le célébrissime cycle littéraire des Rougon-Macquart. En nous livrant quelques-uns des secrets du " livret de famille ", Émile Zola nous fait constater, en le feuilletant, que toutes les perversions sont en germe, inscrites ici ou là dans les gènes des différents membres du clan : ambition démesurée, avidité, cupidité, cruauté, orgueil, couardise, jalousie, folie, etc.



Le thème en est le coup d'état de Louis-Napoléon Bonaparte en 1852, alors président de la république, qui va sonner le glas de cette seconde république pour y installer son propre trône d'empereur...

...et les dérives qui iront avec.



Cependant, derrière les coeurs amers ou défaillants de la famille, on voit tout de même poindre quelques lueurs d'humanité, chez l'infortuné Silvère Mouret par exemple, porte drapeau d'une jeunesse qui veut croire en un idéal ou chez Pascal Rougon, le fameux Docteur Pascal (l'opus 20 de la série et qui la clôt).



Pour l'heure, le rôle principal est tenu par Pierre Rougon et sa merveilleuse épouse (je vous la conseille, elle est vraiment aux petits oignons), prêts à vendre n'importe qui ou n'importe quoi pour arriver à la fortune, et qui utiliseront les troubles du coup d'état pour se poser en sauveurs de Plassans (alias Aix en Provence, dont l'auteur est originaire).



Même si ce roman, n'est pas, à mon sens, le meilleur, loin s'en faut, du grand cycle de Zola, il est cependant tout à la fois plaisant et indispensable, car il permet de bien comprendre les origines, et du coup d'état, et de la famille qui va nous intéresser pendant encore dix-neuf romans. Il est, de plus, intéressant (et tout à l'honneur de son auteur) de noter que ce roman réaliste ultra critique vis-à-vis de l'empire fut écrit alors que celui-ci n'avait pas encore expiré à Sedan.



C'est donc avec toute mon humble considération et grand plaisir que j'accorde à Émile Zola un satisfecit pour cette première pierre à l'édifice majeur de sa carrière littéraire. N'oubliez pas néanmoins que toutes ces menues considérations ne sont que mon avis, rien de plus qu'un coup de feu au loin, c'est-à-dire, pas grand-chose.



P. S. : je remercie la personne (Johnny ou Ginette) qui a gentiment supprimé la critique que j'avais écrite il y a environ dix ans, sans m'avertir, évidemment, et surtout sans vérifier que les fusions abusives n'étaient pas de mon fait. La mécanique est toujours la même : acte 1, Kiki-la-fusion fusionne — ça c'est son rôle — des éditions qui n'ont rien à voir — ça normalement ce n'est pas son rôle — et, fatalement, des doublons apparaissent. Acte 2, Johnny-le-nettoyeur ou Ginette-la-soufflette viennent faire le ménage dans les doublons et tranchent là-dedans à grands coups de machette, sans demander conseil et avec un discernement digne d'éloges : moralité, mes critiques s'envolent périodiquement dans les oubliettes de Babelio. Alors merci Kiki-la-fusion, sans oublier Johnny ou Ginette.
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Les Rougon-Macquart, tome 15 : La Terre

Et PAN ! Encore un uppercut en plein groin : du Zola en très grande forme. Selon moi un véritable chef-d’œuvre sorti de Terre, ou, du moins, celui qui me parle le plus parmi les Rougon-Macquart !



Comme toujours, le vieil Émile s'est bien documenté et l'on a presque l'impression de sentir la terre de la Beauce sous notre nez. Voici un bon roman tonique et documentaire comme était l'intention de l'auteur en écrivant le cycle des Rongon-Macquart. C'est à mon sens l'un des quatre ou cinq meilleurs du cycle, voire un peu mieux, ce qui n'est pas peu dire.



Ici, Jean Macquart (le frère de Gervaise dans l'Assommoir) est embauché chez le gros exploitant du coin et maire du village, Hourdequin, qui essaye désespérément d'introduire des techniques agricoles nouvelles et se heurte à sa main d'œuvre réfractaire. C'est l'exact pendant français du Levine russe d'Anna Karénine.



La famille Fouan est l'autre grand pôle du livre. Elle rappelle beaucoup la famille Rongon-Macquart des origines (voir La Fortune des Rougon) avec ses multiples tares et vices. Tout d'abord l'héritage du vieux Fouan, où l'on ne sait qui est le plus radin et le plus prêt à saigner sa famille, entre le père et les enfants. Son jeune fils, Buteau est un parangon d'avarice, d'avidité, de brutalité et de dureté (bon, c'est vrai, il ne faut pas trop chercher la nuance ici chez Zola).



Malgré le tour résolument polémique que Zola imprime à sa fresque rurale, j'ai retrouvé tous les travers et la mentalité du monde paysan qu'on m'a raconté de mes aïeux bretons du début du XXe siècle. Aucune bassesse de ce monde ne vous sera épargnée mais n'est-elle pas une vision, certes désabusée, certes un peu caricaturée, grossie ou condensée mais essentiellement juste, pertinente, de l'humain au sens large ?



Émile Zola nous montre notre espèce dépouillée de sa frêle coquille de " bonnes manières ", de ce vernis de civilisation, il nous montre bruts, brutes, bourrus, mais sans chichi, un peu comme si vous aviez directement accès à ce que pensent ceux qui vous font des sourires en surface. Je vous laisse le soin de lire et de déterrer les bulbes pourris dont nous sommes tous un peu faits...



J'attribue une Mention Spéciale pour le personnage de " la grande ", sœur du vieux Fouan, assurément un modèle pour la fameuse Tatie Danielle du cinéma, une véritable vieille méchante femme qui prend plaisir à semer la zizanie (le personnage de " la vieille femme nuisible " est un classique chez Zola et revient dans pas mal de ses romans, aurait-il des comptes à régler de ce côté-là ?) et la discorde au sein de sa propre famille tout en étant aussi aimante qu'une grosse pierre sèche.



Autre Mention Spéciale pour le personnage de " Jésus-Christ ", Fils aîné du vieux Fouan, alcoolique invétéré et résolu à ne jamais travailler, pétomane hors-pair qui offre à l'auteur l'occasion de signer un chapitre hilarant (quatrième partie, chapitre 3).



La préface d'Emmanuel Le Roy Ladurie dans la collection folio n'est pas toujours tendre pour Zola, mais il faut le comprendre, lui qui a tant étudié les " vrais " paysans sur plus d'un millénaire, voir un portrait au vitriol de la main d'un novice mi-parisien, mi-aixois (enfin tout sauf quelqu'un de la terre) ça le démange un peu.



Il souligne le caractère excessivement bestial et caricatural qu'imprime l'auteur à l'avidité et au manque de sensibilité ou de sentiments de ses personnages. Point sur lequel je suis entièrement d'accord car il est vrai que Zola y est allé de bon cœur dans ce registre, mais cela ne nuit pas au sens profond, résolument propre à l'humain en tant qu'espèce qu'a, je pense, voulu donner l'auteur. Ceci étant dit, ce n'est là qu'un avis terreux, c'est-à-dire, pas grand-chose.
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Thérèse Raquin

Tel l'oisillon tout tremblotant au bord du nid, cette critique peine à prendre son envol : c'est que l'auteur impressionne !



Ce n'était pas le cas en 1867, année de la parution de “Thérèse Raquin”. Les chroniqueurs, imbibés de sentimentalisme romantique, tirèrent à boulet rouge sur ce roman d'une noirceur extrême. Ces plumitifs comprendront plus tard leur méprise, certains d'entre eux intronisant même Emile Zola chef de file d'une nouvelle école littéraire appelée naturalisme.



Ça s'est passé un dimanche, un dimanche au bord de l'eau. Un mari trompé, Camille, ne reviendra jamais d'une promenade en barque sur laquelle avaient également pris place sa femme Thérèse et son ami Laurent.

Jouant la comédie à merveille, les amants meurtriers ont bien trompé leur monde. Dans quelques mois ils pourront se marier et l'héritage de Camille leur appartiendra.

Les tourtereaux ont tout prévu, sauf que les affres du remords sitôt le crime accompli commencent à les ronger l'un et l'autre. Du tréfonds de leur âme ourdit peu à peu une justice d'un genre particulier qui au fil des mois va s'avérer bien plus terrible encore que la justice des hommes.



La préface rédigée par l'auteur apporte des éléments précieux quant à la psychologie des deux personnages principaux. Les amants, Thérèse et Laurent, sont respectivement de nature nerveuse et sanguine et leurs amours cruelles résultent de détraquements cérébraux. Il est donc important d'avoir à l'esprit que “Thérèse Raquin” est le fruit d'une analyse scientifique dont le point de départ est “l'étude du tempérament et des modifications profondes de l'organisme sous la pression des milieux et des circonstances”.



A seulement 27 ans, le chemin déjà parcouru par le jeune Zola dans l'exploration de l'âme humaine ne laisse pas de surprendre. Sous “Thérèse Raquin” perce la plume affûtée d'un écrivain de tout premier plan cherchant la connaissance de ses semblables dans l'observation et l'expérimentation.
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Thérèse Raquin

C'est un roman coup de poing que nous offre ici Emile Zola et si un lecteur du XXIème siècle le perçoit tel quel, que penser du lecteur de la seconde moitié du XIXème !



Roman psychologique assez court mais très violent, "Thérèse Raquin" dissimule entre ses pages un drame passionnel percutant qui catalyse les sept péchés capitaux, provoquant ainsi la chute sans fin de l'homme dans le vice et illustrant l'impossible rédemption des "méchants".



Thérèse est une orpheline recueillie par sa tante, madame Raquin, et mariée à son cousin maladif, Camille. Venu installer à Paris son commerce de mercerie, le trio Raquin mène une existence assez lugubre, faite d'ennui et d'oisiveté, jusqu'au jour où la paix monotone de leur existence vole en éclats avec l'arrivée dans leur cercle familial de Laurent, un ami d'enfance de Camille. Le ver est dans la pomme et la pomme étant déjà bien farineuse et tavelée, elle n'avait pas vraiment besoin de ça mais comment lutter contre la nature ? Si le ver mange la pomme ; l'homme ronge de même sa propre existence.



Avec Laurent, c'est la paresse, l'orgueil, la gourmandise, l'envie et une avarice qui s'exprime par un égoïsme aigu qui pénètrent chez les Raquin. Séduite par cet homme qui incarne l'opposé d'un mari qu'elle n'aime pas, Thérèse, croyant enfin naître à la vie, finit par apporter au tableau de ce pseudo-peintre les dernières pierres qui manquaient à l'édifice : la luxure et la colère. Partant de là, le décor est complet ; le crime s'empare de l'existence de ces quatre protagonistes pour mener chacun à sa ruine.



Zola, comme à son habitude, n'y va pas avec le dos de la cuillère et sa narration, servie par sa plume exceptionnelle, est puissante et grave. Elle fouille la noirceur des sentiments, elle façonne la boue des vices pour ériger des personnages tristement réalistes et cruellement crédibles. Le lecteur suit la lente descente aux Enfers des personnages et voit s'élever les martyrs et s'écrouler les criminels. D'abord spectateur impuissant et presque complaisant des deux complices bien déterminés à supprimer le mari gênant, le lecteur en vient très rapidement à mépriser les meurtriers, suffoqué par leur audace et leur duplicité, et à crier justice sans faillir jusqu'à se réjouir d'un dénouement aussi misérable que miséricordieux.



De la grande littérature, du Zola.





Challenge ABC 2014 - 2015
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Les Rougon-Macquart, tome 5 : La faute de l..

Aïe !, aïe !, aïe ! Un sujet qui fâche ! Je m'apprête à passer une nouvelle fois sous les Fourches Caudines des adorateurs et recueillir en pleine face les tomates pourries de leur ressentiment... mais c'est ainsi.

Soyons clairs. De deux choses l'une : soit je suis passée complètement à côté de ce roman sans en saisir aucunement l'immatérielle, la consubstantielle beauté littéraire ni l'élan de foi noble et pure qu'il recèle (ce qui n'est pas impossible) ; soit ce numéro 5 des Rougon-Macquart est un très mauvais cru, des plus mièvres et des plus faibles qui soit (ce qui n'est pas impossible non plus !).

Et c'est moi qui vous le dit, moi qui suis pourtant une fan absolue tant de l'auteur, qui m'a souvent tant ravie, que de son gigantesque projet littéraire — peindre une histoire naturelle et sociale sous le second Empire. Je crois qu'il peut être utile aux deux de leur rendre ce petit service en prenant d'emblée position pour dire qu'il s'agit probablement (je le rappelle ce n'est que mon avis) d'un des plus piètres romans de la série et qu'il ne lui fait vraiment pas honneur.

Quelle déception, lorsque Zola fait du Paul et Virginie ! Il n'est tellement pas sur son terrain que c'en devient risible et pathétique.

Le roman se divise en trois parties ; les première et dernière pouvant, à l'extrême rigueur, faire un peu penser à du Zola très bas de gamme En revanche cette deuxième partie, surtout, constitue l'un des pires moments qu'il m'ait été donné de passer en littérature. Émile Zola y revisite le thème du jardin abandonné de la rue Plumet qu'avait exploré Victor Hugo avec parcimonie dans Les Misérables mais qu'ici il use jusqu'à la corde de la pire façon qui soit : du mièvre, du catalogue horticole, du plan-plan à souhait. Bref, un calvaire où j'ai vraiment porté ma croix de lectrice. L'ombre, de l'ombre, du collier, de la laisse, du chien qui galope après Zola, le vrai Zola qu'on aime. Une horreur.

On voit que l'auteur s'est documenté, un peu trop même, ou trop théoriquement, il a ouvert un traité de botanique et a tout pompé et tout réinjecté dans son texte. On croirait lire du Jules Verne dans ses interminables descriptions soporifiques de Vingt Mille Lieues Sous Les Mers.

C'est encore pire que dans Le Ventre De Paris, où les pléthoriques descriptions de fruits ou de légumes avaient une fonction documentaire.

Ici, c'est artificiel au possible, on comprend vite que Zola n'y connait rien en jardinage sans quoi il n'écrirait pas de telles invraisemblances sur les végétaux. Bref, le pauvre Émile a sombré dans le pitoyable remplissage dans sa seconde partie.

Pourtant, l'objectif pouvait paraître louable au départ, après deux romans parisiens (La Curée, Le Ventre De Paris) et deux romans dans une petite ville de province (La Fortune Des Rougon, La Conquête De Plassans), il a voulu transporter ses Rougon-Macquart à la campagne.

Par contre, quel plantage (pardonnez-moi, c'était facile), aussi bien du point de vue de l'utilité pour son projet (absolument aucune valeur de généralisation à un pan de la société sous Napoléon III et il avait d'ailleurs déjà traité du monde ecclésiastique dans La Conquête De Plassans) que de la réussite purement littéraire qui annonce déjà, par certains côtés les pires livres du cycle, à savoir Une Page D'Amour et Le Rêve. Heureusement qu'il y aura La Terre pour forger un vrai bon opus campagnard digne d'intérêt.

Pour conclure, si le scénario peut vous intéresser (au cas où les histoires de curés succombant à la tentation charnelle sont à votre goût, je vous conseillerais plus volontiers Le Moine d'Antonin Artaud), il s'agit de Serge Mouret, le frère d'Octave Mouret qu'on verra à l'œuvre dans Pot-Bouille et Au Bonheur Des Dames, le fils du couple Mouret de La Conquête De Plassans qu'on a vu entrer au séminaire à la fin de ce roman et qui maintenant vient de prendre une cure dans un petit patelin paumé non loin de Plassans (c'est-à-dire Aix en Provence) et qui dans la réalité se situe au pied de la Montagne Sainte-Victoire (si chère à son ami Paul Cézanne).

Là, notre ascète abbé va tomber, par un improbable accident, dans le piège de la tentation auprès d'Albine, une jeune fille "sauvage" vivant au Paradou, version provençale du jardin d'Eden et de la chute qui s'y produit dans la bible. Faites grincer les violons, c'est parti pour du mélo à deux balles façon La Symphonie Pastorale en moins bien.

Le frère Archangias, la Teuse et Désirée Mouret sont trois personnages hyper caricaturaux très loin de la finesse avec laquelle il sait parfois brosser des portraits percutants.

En somme, si vous aimez Zola, je ne vous le conseille pas, vous seriez déçus, si vous ne connaissez pas Zola, je ne vous le conseille pas non plus car il n'est pas du tout représentatif de l'œuvre si puissante, si intéressante et si documentaire de son auteur.

Néanmoins, on peut lui pardonner à notre vieil Émile car il en a écrit tellement d'autres et de vraiment bons qu'on peut bien fermer les yeux sur ce que j'appellerais "La faute de l'écrivain Zola".

Et n'oublions jamais que ce n'est que mon avis, un parmi beaucoup, beaucoup d'autres, c'est-à-dire, très peu de chose en vérité.
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Les Rougon-Macquart, tome 7 : L'Assommoir

Attention, la lecture de "l’Assommoir" peut provoquer l’ivresse !



Ivresse de tourner les pages ; ivresse de savoir ce que cache la violence sociale… Une ivresse noire, pénible, qui fait naître le malaise et retourne le cerveau.



Pourquoi ce tome est-il l’un des plus célèbres de son auteur ? A cette question, chaque lecteur l’ayant apprécié peut apporter sa réponse personnelle. Pour ma part, je m’explique ce succès par la fascination du pire qu’il engendre chez le lecteur. Ce fut le cas pour moi.



Comme toujours avec Zola, la nature humaine est mise à nu, crûment. Le maître absolu de la littérature naturaliste dévoile dans ce roman toute la noirceur d’âmes qui ne connaissent ni la modération, ni la charité et encore moins la raison.



Dans ce 7ème tome des Rougon-Macquart, le personnage principal que le lecteur va suivre (et auquel il a de fortes chances de s’attacher) est Gervaise Macquart, la petite-fille d'Adélaïde Fouque, racine-souche de la famille. Toute l’action du roman se déroule à Paris, dans un milieu ouvrier décrit sans concession, si bien qu’à sa parution, voilà un ouvrage qui a fait bien des remous dans l’opinion publique !



Gervaise est blanchisseuse ; une brave fille travailleuse, pourtant l’archétype de celle "qui n’a jamais de chance", alors attendez-vous à un Zola "noir de chez noir". Malmenée par les hommes qui partagent sa vie, sa bonté et son endurance lui font franchir bien des épreuves et la mènent même sur la voie de la réussite mais c’est sans compter sur les "vices" vers lesquels l’homme a tant de facilité à glisser : oisiveté et fainéantise, alcoolisme, égoïsme et gaspillage. L’énergie et la patience de Gervaise n’y réussiront pas, c’est vers l’abîme social que toute sa famille dirige ses pas.



Bon, je m’arrête là, vous aurez compris le ton du roman.



Je finis en vous donnant mon opinion. Très beau "morceau" de littérature, œuvre qui "remue les tripes" en profondeur, "l’Assommoir" reste pour moi un incontournable de Zola, l’un de ses plus beaux écrits, à sa ressemblance : dur, réaliste et émouvant.



A consommer sans aucune modération !
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Les Rougon-Macquart, tome 12 : La Joie de v..

« Plutôt souffrir que mourir, c'est la devise des hommes » concluait le poète dans La Mort et le Bûcheron et peut-être est-ce également la morale qu'a voulu donner Émile Zola à sa Joie de vivre ?



Après un volume parisien que j'avais adoré, Au Bonheur des dames, le père des Rougon-Macquart a voulu changer totalement d'atmosphère pour son n° 12, emmenant son héroïne, Pauline Quenu, la fille de la charcutière qu'on avait perdue de vue à la fin du Ventre de Paris, sur les plages crayeuses de la côte normande.



Personnellement — et bien qu'appréciant particulièrement ce littoral pour y avoir séjourné un certain temps, si vous voyez ce que je veux dire —, je n'ai pas pris beaucoup de plaisir à la lecture de ce volume. Pendant tout ce temps, je me suis demandée quel était le pouvoir de généralisation que revêtait cet ouvrage. Car c'est un peu ça la marque de fabrique des Rougon-Macquart : regarder par le prisme de cette famille agrandie un élément typique ou révélateur de la sociologie française sous le second Empire.



Quand Gervaise devient alcoolique dans L'Assommoir, ça me parle et ça m'intéresse énormément car j'imagine que cela recouvre une réalité dans les milieux ouvriers ou petits commerçants d'alors. Quand on nous dresse le portrait de tous les habitants d'un immeuble haussmannien dans Pot-Bouille, j'imagine que, même si l'on ne peut généraliser outre mesure, c'est tout de même une espèce de moyenne de ce à quoi devait ressembler un immeuble bourgeois parisien sous le second Empire, etc. Et c'est bien sûr le cas pour la grande majorité des thèmes abordés dans les romans qui constituent ce cycle littéraire et que, pour bon nombre d'entre eux, j'apprécie beaucoup.



En revanche, pour certains tomes, je peine à voir la valeur de généralisation qu'ils revêtent. C'était le cas, par exemple, d'Une Page d'amour. Là, je m'étais franchement ennuyée car, outre le fait qu'à mes yeux, sociologiquement, cela ne me présentait rien de bien spécial ou qui puisse être typique de cette période de l'histoire, je trouvais que, psychologiquement, ça n'était pas non plus d'un grand intérêt, ni d'une finesse d'écriture indépassable.



Eh bien ici, d'après moi, c'est rebelote (dur, dur de se relancer après avoir signé un excellent roman comme ce fut le cas pour L'Assommoir et comme c'est ici le contre-coup avec Au Bonheur des dames) : on a affaire à une histoire qui ne dépasse pas beaucoup ses protagonistes, et, si l'on souhaite absolument chercher à généraliser, à voir plus loin que les personnages, cette généralisation ne m'apparaît en rien spécifique du second Empire.



J'ai plutôt le sentiment qu'Émile Zola a construit ce roman à partir de ses propres névroses et qu'elles ne sont en rien révélatrices ni d'une époque, ni d'une catégorie de personnes. (Je peux me tromper, bien entendu, mais c'est l'impression que cela me donne.)



Je n'arrive pas à me retirer de l'esprit qu'Émile Zola a voulu surfer sur la vague d'Une Vie, roman publié peu avant par son ami Guy de Maupassant. On y retrouve beaucoup de ressorts similaires, mais un peu moins bien exploités à mon goût.



Car Zola, qu'on le veuille ou non, c'est un journaliste engagé, un sociologue peut-être, mais pas un fin psychologue ; il sait décrire une partie d'échecs, mesurer les enjeux et les conséquences de chaque coup mais pas spécialement rendre perceptible, sensitif et intime ce qui se passe tout au fond, dans la tête des joueurs. C'est comme ça que je le perçois et je peux évidemment, là encore, me tromper.



On apprend au début de la Joie de vivre que la petite Pauline Quenu a perdu coup sur coup ses deux parents (qui tenaient la charcuterie florissante au pied des halles à Paris, cf. le Ventre de Paris) et qu'elle est donc recueillie chez un oncle, M. Chanteau, dans le Calvados, du côté de Port-en-Bessin (du moins c'est comme ça que je me l'imagine car le village imaginaire est dénommé Bonneville, probablement de façon ironique, quoiqu'on trouve effectivement, ailleurs dans le Calvados, un village s'appelant Bonneville-sur-Touques et un peu plus loin un autre qui répond au joli nom de Bonneville-la-Louvet).



Comme dans Une Vie (sus-mentionné) on va suivre une héroïne, jeune et naïve au départ, rattrapée par la mesquinerie et la nullité des hommes. D'année en année, on va l'observer se casser peu à peu les dents, volant de ratage en ratage, de désillusion en désillusion.



Il y a selon moi de très nombreux parallèles entre la Pauline d'ici et la Jeanne d'Une Vie. Le personnage nul, qui échoue dans tout ce qu'il entreprend et qui ruine au passage l'héroïne était son fils unique, Paul, dans Une Vie, c'est ici Lazare, le fils unique du couple Chanteau.



Il y avait une scène terrible d'accouchement d'un bébé semi avorton dans Une Vie, il y en a un ici aussi (et les deux seront des petits garçons nommés Paul). Il y avait l'injustice et la douleur de l'adultère dans Une Vie, elle est aussi présente dans La Joie de Vivre. Il y avait même un chien subclaquant (Massacre, pour mémoire) et il y en un ici aussi, c'est le chien Mathieu.



Il y avait encore un parent gros mangeur et impotent (la mère de Jeanne dans Une Vie), c'est ici l'oncle, M. Chanteau avec ses crises de goutte mémorables. Il y avait également l'amie d'enfance qui se révélait rivale amoureuse (la bonne Rosalie dans Une Vie), ce sera ici Louise.



Il y avait enfin l'être malsain, le véritable ennemi de l'héroïne, quoique très proche d'elle. C'était le mari dans Une Vie, c'est la tante, Mme Chanteau dans La Joie de vivre. Chacun mourant prématurément et entraînant un changement radical dans la vie de l'héroïne.



On pourrait comme cela presque transférer point par point tous les éléments d'Une Vie (j'ai passé sous silence le père bienveillant mais faible, dont le rôle est tenu ici par le docteur Cazenove). Mais la question que je me pose, moi, c'est : quel est le projet littéraire de ce roman ?



Nous montrer que la descente aux enfers qu'a connu l'aristocratie régionale dans la première moitié du XIXème siècle est susceptible de frapper également la bourgeoisie commerçante dans la seconde moitié du siècle ? On s'en serait douté, non ?



L'héroïne de Maupassant était nostalgique et plutôt faible. Sa vie semble avoir été une vie pour rien. Au contraire, Pauline ici, est très positive et d'un optimisme à toute épreuve, mais, finalement, pour elle aussi, cela semble être une vie pour rien.



Le personnage de Lazare est très développé ici. On lit dans les notes de différentes éditions que l'auteur y a injecté énormément de ses propres doutes existentiels, notamment suite au décès de sa propre mère et aussi quant à ses manies & tics divers et plus ou moins superstitieux qui le conduisent à la dépression chronique et à l'inaction.



Finalement, le seul personnage qui apparaisse pleinement lucide semble être Véronique, la bonne, dont on appréciera la décision finale. Mais, là encore, que veut nous dire l'auteur, au juste, et qui soit contenu dans son projet littéraire des Rougon-Macquart ? Personnellement, je ne vois pas. J'ai trouvé la mouture beaucoup moins réussie que celle de Maupassant. Globalement, je me suis plutôt ennuyée à la lecture et il aura fallu que j'attende un fugace instant au chapitre VIII pour jouir d'une certaine tension narrative. Laquelle tension ne se maintint pas longtemps.



En somme, un opus décevant pour moi, que je rapproche de ma déception quant à Une Page d'amour, un tome que j'avais trouvé plutôt creux et gratuit après l'excellent Assommoir. À vous de voir à présent et de vous forger votre propre opinion à son sujet car je ne voudrais pas vous gâcher votre joie de vivre avec ce qui n'est, finalement, que mon avis, c'est-à-dire, pas grand-chose.
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Les Rougon-Macquart, tome 2 : La Curée

La Curée constitue le second volet du fameux cycle des Rougon-Macquart, où l'on poursuit, comme dans La Fortune Des Rougon, le cheminement mondain du rameau " Rougon " de la famille, avec la seconde génération, notamment trois enfants de Pierre Rougon.



Il s'agit principalement du dernier fils de Pierre Rougon, Aristide, qui change d'ailleurs son nom en Saccard, pour ne pas compromettre — au cas où — la réputation du frère aîné, Eugène, impliqué en politique (voir le tome 6, Son Excellence Eugène Rougon) et second personnage masculin important, dans l'ombre du premier, à moins que cela ne soit l'inverse.



On y fréquente enfin l'une des soeurs, Sidonie Rougon, personnalité ambiguë, entremetteuse, courtière, bref ombre grise très utile ou très dangereuse, c'est au choix. Émile Zola nous dépeint la farouche avidité au gain d'Aristide qui se morfond de n'être que ce qu'il est, lors de sa fort modeste arrivée à Paris et qui va encore ruminer sa pauvreté pendant un certain temps.



Cependant, son frère Eugène lui ayant dégoté une place peu rémunératrice — mais stratégique — dans l'administration de la voirie, Aristide va vite comprendre l'intérêt que peut revêtir ce poste et les merveilleux délits d'initié qu'il autorise, à savoir, connaître avant tout le monde l'emplacement des immeubles qui seront évacués pour le percement des célèbres grands boulevards Haussmanniens.



Évidemment, spéculations, magouilles et fortune seront au bout de chaque boulevard…Fortune née en un jour, croquée en deux heures, travers absolu d'un monde qui flambe sans compter. (D'ailleurs, est-ce si différent aujourd'hui ?) Mais rien n'eût été possible à Aristide sans les premiers capitaux indispensables aux premières spéculations mirifiques, et c'est dans la fin prématurée — et bienvenue — de sa première épouse que Saccard va trouver le filon, par l'entremise de sa soeur Sidonie.



Rattraper le crime d'une conception honteuse, en dehors des liens du mariage, par une jeune fille de bonne famille, voilà qui pourrait être dans les cordes d'Aristide, qu'en dites-vous ? Car ce n'est pas le tout, il faut vite, vite, vite unir la belle Renée avant que son ventre ne prenne des proportions par trop scandaleuses... et bling ! voici la fortune de Saccard livrée sur un plateau d'argent par la dot avantageuse de l'étourdie gravide...



Renée va vivre dans la débauche de millions, de toilettes inavouables et même, même, dans l'indicible inceste, dont je vous laisse découvrir la nature, car il ne faut point trop en dire…



Ce livre est, selon moi, annonciateur de la dépravation du neuvième tome, Nana, et le symétrique du volume 18, L'Argent. Ici est détaillée la vie de débauche et du grand luxe côté jardin (alors que dans Nana c'est plutôt côté cour), l'aliénation morale de la femme, mais peu les montages financiers, tandis que dans L'Argent, c'est le contraire.



En tout cas, un éclairage intéressant sur cette période de création du nouveau Paris, même si certaines descriptions et certains passages sur les bals et sur le luxe des pièces ou des vêtements sont un peu longs par rapport à d'autres opus plus toniques, tel l'ébouriffant Au Bonheur des dames.



En outre ce n'est, encore une fois, que mon avis, dont les entrailles vacilleraient si elles étaient données en pâture à une meute d'esprits sagaces. Et que resterait-il après la curée ? Réponse : pas grand-chose…



N. B. : Une fois encore, il s'agit d'une critique écrite il y a fort longtemps, qui m'a été effacée suite aux calamiteuses fusions d'éditions qui n'ont rien à voir. Quand cela cessera-t-il ?
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Les Rougon-Macquart, tome 18 : L'Argent

L'argent... tiens, tiens, ça me dit quelque chose en ce moment... Un peu comme si une frénésie d'argent s'emparait de tout et de tout le monde avec des airs de jouer au ballon... Mais non, j'ai dû me tromper de sujet, il n'y a aucun rapport entre le sport et l'argent... Les joueurs ne sont pas une marchandise cotée en bourse... euh...



L'Argent, oui, nous y sommes en plein, L'Argent, un des plus magnifiques livres des Rougon-Macquart, selon moi, où l'on suivra cette fois Aristide Rougon, le frère du ministre, nommé Saccard, qu'on avait déjà vu à l'œuvre dans La Curée, livre auquel je vous renvoie pour comprendre les raisons de ce changement de nom.



Ici seront moins détaillés les vices et les dérives du luxe comme dans La Curée (ou Nana) et l'angle de vue sera davantage focalisé sur les mécanismes financiers, un peu à la manière d'Au Bonheur Des Dames qui détaillait quant à lui la mécanique marchande.



Nous retrouvons Aristide, quelques années après ses déboires de la fin de La Curée, en pleine forme, as de la finance, mais emporté comme toujours par son euphorie du jeu et de l'argent facile sur un coup de dé. Il est sujet, dans sa frénésie du gain, à la perte totale de contrôle, quitte à faire tomber tout le monde dans son sillage. Cela ne vous rappelle pas certaines affaires récentes ou moins récentes et un certain Jérôme Kerviel (et tellement, tellement d'autres) ?



Dans ses tractations, le délit d'initié est roi. Cela ne vous rappelle pas l'affaire EADS (entre autres) ou plus anciennement Pechiney et son lien avec le pouvoir de l'époque (Mitterand). Ici, c'est Huret, l'homme de main du ministre et frère de Saccard (voir le n°6 Son Excellence Eugène Rougon).



Mais aujourd'hui il n'y a plus rien à craindre de ce genre puisqu'il n'y a plus aucun lien entre les hommes de pouvoirs et de finance (aucune élection qui soit pilotée, aux USA ou ailleurs, par des gros financiers, même pas un petit Sarkozy qu'on essaierait de caser, même pas le frère de l'ancien président à un poste important au MEDEF, rien, tout ça c'est du passé, maintenant tout est propre, à gauche comme à droite, l'intégrité fait loi !).



Bref, on est surpris de voir à quel point rien n'a changé, à quel point la finance était, est et restera une gigantesque magouille légale, qui fait ce qu'elle veut, et qui dicte aux politiques leur marche à suivre.



Saccard me fait penser à Jean-Marie Messier, génial tant qu'il gagnait, bon à jeter aux cochons quand l'empire s'écroula. Tous les rats de la bourse quittent évidemment le navire au premier tangage et seuls restent sur le carreau les petits actionnaires qui ont toujours une guerre de retard car ils ne jouent pas dans la même cour. Je le dis à tout hasard mais ça ne vous rappelle pas un scénario de 2008 ?



Le texte de Zola est extrêmement documentaire et décrit quasi intégralement le scandale de la banque Union Générale en 1882, désignée dans le roman sous le nom L'Universelle. Gundermann est le financier juif concurrent du fervent catholique et monarchiste Saccard. On reconnaît sans peine le portrait de James de Rothschild sous Gundermann et de Paul Eugène Bontoux sous Saccard même si historiquement, les deux hommes ne se sont jamais affrontés car James de Rothschild est mort avant même la création de la banque de Bontoux.



Autre personnage étrange du roman, Sigismond, le frère chétif du plus abject charognard du roman, communiste convaincu auquel Zola fait dire des tirades pleines d'utopie et qui annoncent déjà en quoi le communisme était voué à l'échec avant même d'avoir vu le jour.



C'est donc un chef-d'œuvre visionnaire que vous avez là sous les yeux, un quasi essai, un texte, à beaucoup d'égards, plus journalistique et documentaire que romanesque. À lire absolument si l'on souhaite ouvrir un peu son regard sur la manière dont fonctionne le monde dans lequel nous vivons aujourd'hui. Un monde qui, je crois, répond plus que jamais à cette description — cruellement réaliste —, mais ce n'est là que mon avis, à ne pas prendre pour argent comptant, c'est-à-dire, pas grand-chose.
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Les Rougon-Macquart, tome 11 : Au bonheur d..

Après bien des hésitations, je me lance ! Je vais (enfin) écrire une critique sur le roman qui occupe la première place de mon top littérature depuis 20 ans et que nulle autre oeuvre ne semble pouvoir détrôner.



Rien que ça ? vous direz-vous mais en réalité, sachez que je ne disposerai jamais dans mon vocabulaire d'assez de superlatifs pour faire l'éloge du moins noir des romans des Rougon-Macquart.



"Au Bonheur des Dames", c'est tellement de choses à la fois, qui trouvent tant de résonances en moi même si un siècle et demi me sépare de son récit. C'est un roman atemporel parce que précurseur ; c'est un roman dont la trame évoque non seulement l'évolution d'une très belle histoire d'amour, dans toute sa complexité sentimentale et psychologique mais aussi la mutation profonde de toute une société, bouleversée dans ses valeurs et dans son rapport à la consommation. Une société de plus en plus confiante dans son affirmation neuve des goûts individuels comme des aspirations collectives.



"Au bonheur des Dames" est quasiment un huis-clos dont le personnage principal n'est aucunement Denise, cette jeune et frêle orpheline normande jetée dans le grand Paris moderne pour s'y faire une place, ou Mouret, ce golden boy du commerce qui soumet les femmes par sa profonde connaissance de leurs faiblesses. Non, le personnage principal du roman est le magasin Au Bonheur des Dames lui-même, devenu grâce à la magie distillée par la plume experte de l'auteur, un être vivant et pensant dont les organes sont les rayons, eux-mêmes palpitants de la vie de leurs vendeurs, de leurs clientes et de leurs marchandises. Le microcosme gigantesque de ce magasin de Nouveautés parisien (actuel Bon Marché- Rive Gauche) dépasse le simple cadre d'un récit ; il est le récit.



Aux indisposés de la description qui n'assimilent pas que la description, exercice si difficile qu'il est volontiers abandonné par des Marc Levy et des Guillaume Musso au profit d'une "prose" facile et vulgarisée, est l'outil majeur dont un auteur dispose pour donner vie et relief à son oeuvre et à ses personnages, je donne cet avertissement : oui, vous trouverez dans ce roman des pages et des pages de descriptifs, tous plus flamboyants les uns que les autres, témoignages finement ciselés de la passion que l'auteur a voulu communiquer à ses lecteurs via son style.



Ceci dit, revenons à l'oeuvre...

La nature de la relation amoureuse qui unit Mouret et Denise est romantique. Ces amants représentent pour moi l'un des couples les plus émouvants de la littérature mondiale. La sensibilité, la pureté, le courage et la persévérance de Denise en font une héroïne digne d'être aimée. Son orgueil, sa beauté, sa puissance et son abnégation font de Mouret un héros digne d'être aimé par une femme telle que Denise.



La narration est également très bien soutenue par un panel de personnages secondaires extraordinaires qui sont aussi fouillés dans leur comportement et leur psychologie que les personnages principaux. Baudu, Jean, Clara, Mme Desforges, les clientes, le financier, Bourras, Pauline... sont tous criants de réalité et participent pleinement à la grande fresque haute en couleurs offerte par Emile Zola à ses lecteurs.



En replaçant le roman, écrit en 1883, dans son contexte historique et politique, le lecteur pourra également apprécier toute la portée d'une satire sociale omniprésente et visionnaire, inscrite en filigrane tout au long de l'oeuvre et qui caractérise toute la série des Rougon-Macquart.
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Les Rougon-Macquart - Intégrale, tome 1

Ce volume de la Pléiade regroupe les cinq premiers romans du plus célèbre cycle littéraire de la littérature française. Tout d'abord, le roman inaugural, La Fortune des Rougon.



Outre le fait qu'Émile Zola nous livre quelques-uns des secrets du " livret de famille ", — nous offrant au passage quelques beaux échantillons des perversions inscrites ici ou là dans les gènes des différents membres du clan : ambition démesurée, avidité, cupidité, cruauté, orgueil, couardise, jalousie, folie, etc. — le thème ici développé est le coup d'état de Louis-Napoléon Bonaparte en 1852, alors président de la république, et qui sonna le glas de cette seconde république pour y installer à la place son propre règne d'empereur... et les dérives qui iront avec !



Ensuite, le deuxième roman du cycle, La Curée, nous emmène sur les grands travaux d'élargissements de voiries entreprise par le baron Haussmann. On voit se poursuivre le cheminement mondain du rameau " Rougon " de la famille, avec la seconde génération, notamment trois enfants de Pierre Rougon.



Il s'agit principalement du dernier fils, Aristide Rougon, qui change d'ailleurs son nom en Saccard, pour ne pas compromettre — au cas où — la réputation du frère aîné, Eugène, impliqué en politique (voir le tome 6, Son Excellence Eugène Rougon) et second personnage masculin important, dans l'ombre du premier, à moins que cela ne soit l'inverse.



Émile Zola nous dépeint la farouche avidité au gain d'Aristide qui, arrivé pauvre à Paris, profitera plus que de mesure du poste dans l'administration de la voirie que son frère Eugène lui a dégoté. Aristide va vite comprendre l'intérêt du poste et les merveilleux délits d'initié qu'il autorise, à savoir, connaître avant tout le monde l'emplacement des immeubles qui seront évacués pour le percement des célèbres grands boulevards Haussmanniens.



Évidemment, spéculations, magouilles et fortune seront au bout de chaque boulevard… Fortune née en un jour, croquée en deux heures, travers absolu d'un monde qui flambe sans compter. Mais rien n'eût été possible au départ pour Aristide sans les premiers capitaux indispensables aux premières spéculations, et c'est par l'entremise de sa soeur Sidonie que Saccard trouvera une issue, à savoir, une victime...



Ce livre est ,selon moi, annonciateur de la dépravation dépeinte dans le neuvième tome, Nana et assez symétrique du volume 18, L'Argent dont Saccard sera encore l'essentiel protagoniste. Ici est détaillée la vie de débauche et du grand luxe côté jardin (alors que dans Nana c'est côté cour), l'aliénation morale de la femme, mais peu les montages financiers, tandis que dans L'Argent, c'est le contraire.



En tout cas, un éclairage intéressant sur cette période de création du nouveau Paris, même si certaines descriptions et certains passages sur les bals et sur le luxe des pièces ou des vêtements sont un peu longs par rapport à d'autres opus plus toniques.



On trouve ensuite le Ventre de Paris, troisième opus et consacré celui-ci aux fameuses halles Baltard qui durèrent jusqu'à la création du marché de Rungis dans les années 1970. Présenté comme une sorte de grande bataille du gras contre le maigre, il met en scène pour la première fois un protagoniste qui n'est pas un membre direct de la famille Rougon-Macquart, puisqu'il s'agit de Florent, beau-frère de Lisa Macquart, devenue Lisa Quenu dans la charcuterie du même nom (parents de la future héroïne du tome 12, La Joie de vivre).



C'est aussi la première fois qu'Émile Zola ne traite que des classes ouvrières ou des petits patrons à leur compte, qu'il commence à exploiter à fond la Symbolique, en tant que procédé littéraire, et qu'il donne à un lieu, en l'occurrence les halles centrales de Paris, un rôle de personnage central comme Hugo l'avait fait pour Notre-Dame de Paris.



Au demeurant, s'affiche ici en gros, très explicitement la conviction politique de Zola. le contraste de toute cette nourriture déployée dans les halles et de la maigreur des humbles est l'un des piliers du roman — peut être pas le meilleur car l'auteur gonfle tellement le trait que cela frise la caricature. Ses descriptions pléthoriques de nourriture sont assez " gavantes " à la longue. L'auteur saura rendre sa sauce plus digeste avec Au bonheur des dames, qui, pourtant, utile le même procédé de description mais qu'il maîtrisera mieux.



Outre ces fameuses descriptions qui restituent parfaitement ce qu'était le marché à l'époque, les volets les plus intéressants du roman me semblent être, d'une part, la vision prémonitoire sur l'émergence de la société de consommation (le livre est écrit en 1873) et, d'autre part, la description quasi millimétrique du comportement du français moyen de Paris durant la période d'occupation allemande sous le régime de Vichy. Tout est dit : les collaborations diverses sous des allures parfaitement honnêtes, les conflits d'intérêts, les alliances de façade, etc.



Selon moi, le sommet de ce volume Pléiade est atteint avec la quatrième roman : La Conquête de Plassans. Ici, Zola nous conte l'arrivée en catimini d'un prêtre de Besançon, l'abbé Faujas, d'aspect piteux et au passé aussi louche qu'obscur. Il arrive chez les Mouret, le couple consanguin de la famille, où le mari, François Mouret est un descendant du rameau Macquart tandis que sa femme Marthe est la dernière fille de Pierre Rougon.



Les Mouret, braves commerçants prospères, sensibilité républicaine, paisibles et bien assis dans la société de Plassans, vont peu à peu se faire digérer par l'abbé Faujas, dont le parachutage ne doit rien au hasard et semble avoir été minutieusement piloté depuis Paris par le ministre en personne (à savoir Eugène Rougon, voir Son Excellence Eugène Rougon) dans le but d'assurer le résultat des élections législatives à venir...



Après des débuts difficiles, l'abbé Faujas va réussir à se faire accepter et à devenir un personnage incontournable de la vie politique et sociale de la ville grâce au concours de Marthe Mouret, dont il va parvenir à faire une dévote, elle qui n'était pas même sûre d'être croyante auparavant. Non content de semer la zizanie dans le couple, l'abbé et surtout sa famille (mère, soeur et beau-frère de Faujas qui s'incrustent comme une belle infection parasitaire) vont littéralement dépouiller les Mouret de leur bien.



On y voit la lente mais inéluctable aliénation du couple, qui se fait siphonner par le cerveau et par le porte-monnaie jusqu'au trognon. Avec ce 4ème roman, Émile Zola franchit une étape dans son style où il abandonne les longues descriptions du Ventre de Paris et nous plonge plus directement dans l'action.



Enfin, après le meilleur roman du volume, voici venir le pire, la très regrettable, très lamentable Faute de l'abbé Mouret. Soyons clairs. de deux choses l'une : soit je suis passée complètement à côté de ce roman sans en saisir aucunement l'immatérielle, la consubstantielle beauté littéraire ni l'élan de foi noble et pure qu'il recèle (ce qui n'est pas impossible) ; soit ce numéro 5 des Rougon-Macquart est un très mauvais cru, des plus mièvres et des plus faibles qui soit (ce qui n'est pas impossible non plus !).



Quelle déception, lorsque Zola fait du Paul et Virginie ! Il n'est tellement pas sur son terrain que c'en devient risible et pathétique. le roman se divise en trois parties ; les première et dernière pouvant, à l'extrême rigueur, faire un peu penser à du Zola très bas de gamme. En revanche cette deuxième partie, surtout, constitue l'un des pires moments qu'il m'ait été donné de passer en littérature. Émile Zola y revisite le thème du jardin abandonné de la rue Plumet qu'avait exploré Victor Hugo avec parcimonie dans Les Misérables mais qu'ici il use jusqu'à la corde de la pire des façons : du mièvre, du catalogue horticole, du plan-plan à souhait. Bref, un calvaire où j'ai vraiment porté ma croix de lectrice.



On voit que l'auteur s'est documenté, un peu trop même, ou trop théoriquement, il a ouvert un traité de botanique et a tout pompé et tout réinjecté dans son texte. On croirait lire du Jules Verne dans ses interminables descriptions soporifiques de Vingt Mille Lieues Sous Les Mers. C'est encore pire que dans le Ventre de Paris, où les pléthoriques descriptions de fruits ou de légumes avaient une fonction documentaire.



Ici, c'est artificiel au possible, on comprend vite que Zola n'y connait rien en jardinage sans quoi il n'écrirait pas de telles invraisemblances sur les végétaux. Bref, le pauvre Émile a sombré dans le pitoyable remplissage dans sa seconde partie. Après quatre romans citadins, l'objectif pouvait paraître louable de transporter ses Rougon-Macquart à la campagne. Par contre, quel plantage (pardonnez-moi, c'était facile), aussi bien du point de vue de l'utilité pour son projet (absolument aucune valeur de généralisation à un pan de la société sous Napoléon III et il avait d'ailleurs déjà traité du monde ecclésiastique dans La Conquête de Plassans) que du point de vue de la réussite stylistique et littéraire. D'après moi toujours, un opus à oublier très vite.



En somme, dans ce premier quart du cycle littéraire, on voit l'auteur affuter sa plume : il monte progressivement en puissance (à l'exception notable du dernier roman) et atteindra sa pleine énergie dans l'incroyable Assommoir, volume 7 des Rougon-Macquart. C'est déjà bon parfois, mais pas aussi al dente que dans d'autres romans à venir. Toutefois, gardez à l'esprit que ceci n'est que mon avis, c'est-à-dire, pas grand-chose.
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Thérèse Raquin

Un roman d'une force exceptionnelle, un classique d'Emile Zola certes, mais quel ouvrage !

Madama Raquin se dévoue corps et âme pour son fils unique Camille, qu'elle marie avec sa cousine Thérèse, élevée dans le même cocon familial. Si Thérèse n'aime pas particulièrement cet homme fragilisé par les débordements de soins et d'amour de sa mère, elle accepte son sort, résignée, traînant son ennui derrière le comptoir d'un commerce sordide, fréquenté par des personnages ennuyeux, jusqu'à sa rencontre avec Laurent, un peintre raté, vivant dans l'oisiveté totale. La passion de ces deux êtres dépravés, dépourvus de toute moralité va les mener à noyer le mari gênant, lors d'une promenade en barque. Cette complicité diabolique se retournera contre eux. Au lieu de s'aimer librement, une haine farouche va s'initier entre ces deux amants. Thérèse, hantée par le souvenir de Camille, ayant perdu toute exaltation pour Laurent, la passion des amants se trouve désormais altérée. Chaque jour deviendra le cauchemar de l'autre, se rejetant mutuellement la faute, les menant dans une guerre perpétuelle, jusqu'à la folie.

Une oeuvre superbement campée, la relation des deux amants décrite efficacement nous démontre combien l'amour peut parfois devenir destructeur.
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Les Rougon-Macquart, tome 7 : L'Assommoir

C’était un des opus attendus, parce que déjà lu et apprécié autrefois, L’Assommoir, histoire de l’inévitable descente aux enfers de la petite Gervaise, élevée dans la violence d’un père ivrogne, et qui un temps goûta à la consolation temporaire de l’anisette, jusqu’à l’écoeurement. Celle que l’on appelait la boiteuse achève sa vie d’enfant à quatorze ans, enceinte des oeuvres d’Auguste Lantier, beau parleur et flambeur. Le couple quitte Plassans pour Paris, menant grand train jusqu’à épuisement d’un pécule qui devait servir à leur établissement. Lantier boit, Lantier frappe, Lantier fait disparaitre peu à peu les quelques possessions misérables du couple, Lantier finit par se faire la malle, au sens propre du terme. Et ce fût peut-être le moment où Gervaise vécut dans la sérénité, travaillant pour nourrir ses deux petits, et jurant de ne plus s’encombrer d’un homme. Il aura suffit de l’assiduité un peu lourdingue de Coupeau pour qu’elle mette fin à son serment, et signe là une dégringolade annoncée.



Ce roman offre des scènes mythiques, mises en images par René Clément en 1956, celles de la fessée au lavoir, celle de la noce déambulant sous la pluie, celle du delirium tremens, un modèle de description clinique. C’est une fois de plus un travail d’observation et de restitution remarquable que nous offre Zola, avec une grande habileté pour faire coller le cadre et l’écriture . Le langage est celui du peuple, avec ses mots argotiques, qui sont oubliés depuis longtemps et ses expressions populaires imagées, vulgaires et parlantes.



Peu de politique dans cet opus, ce ne sont pas les divagations alcoolisées de Lantier raillant « Badingue » qui relèveront le niveau.



Pour les personnages, hormis Goujet, le forgeron amoureux, les hommes ne sont pas mis en valeurs : fainéants, alcooliques, parasites, donnant l’impression que les troquets sont plus peuplés que les chantiers, pourtant nombreux dans ce Paris en pleine restructuration.



Quant à la douce Gervaise, un bon fond, une générosité sans faille, c’est sa volonté défaillante qui la conduit à sa perte. Son désir d’indépendance disparait lorsqu’un homme lui manifeste son désir. Reproduisant le modèle familial, elle trace sa voie vers le malheur.



C’est l’un des plus forts et des plus émouvants romans de la série des Rougon-Macquart, une chronique sociale dans la lignée du naturalisme, qui décrit la fin d’une époque où le savoir-faire anoblissait l’ouvrier, bientôt remplacé par les machines.
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Les Rougon-Macquart, tome 3 : Le Ventre de ..

Présenté comme une sorte de grande bataille du gras contre le maigre, le Ventre de Paris est, chronologiquement, le troisième roman des fameux Rougon-Macquart de Zola.

À plus d'un titre, il présente un caractère innovant dans la progression du cycle. Tout d'abord, c'est la première fois que le protagoniste principal n'est pas un membre direct de la famille Rougon-Macquart, puisqu'il s'agit de Florent, beau-frère de Lisa Macquart, devenue Lisa Quenu dans la charcuterie du même nom.

C'est aussi la première fois qu'Émile Zola ne traite que des classes ouvrières ou des petits patrons à leur compte.

C'est aussi dans ce volume qu'il commence à exploiter à fond la Symbolique, en tant que procédé littéraire, et qu'il donne à un lieu, en l'occurrence les halles centrales de Paris, un rôle de personnage à part entière.

La conviction politique de Zola est également beaucoup plus clairement exprimée à partir de cet ouvrage.

L'histoire est assez simple : Florent, utopiste républicain, envoyé au bagne suite au coup d'état de Napoléon III, a réussi à s'enfuir après plusieurs années passées au bagne de Guyane et autant à rentrer en France par des voies détournées.

D'une maigreur effrayante, il rejoint son frère qui, lui, est gras à éclater dans sa charcuterie triomphante.

Le contraste de toute cette nourriture déployée dans les halles et de la maigreur des humbles est l'un des piliers du roman ; peut être pas le meilleur car l'auteur gonfle tellement le trait que cela frise la caricature.

Ses descriptions pléthoriques de nourriture sont assez " gavantes " à la longue.

Néanmoins, les descriptions très précises des Halles, ancêtre de Rungis, construites selon les plan de Baltard (cf. le dernier vestige de ces halles qui s'appelle d'ailleurs le pavillon Baltard) en lieu et place de l'actuel quartier " des halles " à Paris revêtent désormais une valeur documentaire.

Le volet le plus intéressant du roman me semble être d'une part la vision prémonitoire sur l'émergence de la société de consommation (le livre est écrit en 1873, ne l'oublions pas, thème qu'il reprendra dix ans plus tard dans Au Bonheur Des Dames) au travers d'une lumineuse comparaison où il reprend presque mot pour mot la formule de Victor Hugo dans Notre-Dame de Paris et son fameux "ceci tuera cela" quand Hugo prétendait que le livre tuerait la pierre.

Ici Zola écrit : " C'est une curieuse rencontre, disait-il, ce bout d'église encadré sous cette avenue de fonte... Ceci tuera cela, le fer tuera la pierre, et les temps sont proches..."

Au travers de la bouche de Claude Lantier, le peintre pauvre, futur héros de L'Oeuvre, l'auteur nous offre une vision pénétrante de la mutation introduite par la révolution industrielle : " Depuis le commencement du siècle, on n'a bâti qu'un seul monument original, un monument qui ne soit copié nulle part, qui ait poussé naturellement dans le sol de l'époque; et ce sont les Halles centrales, entendez-vous Florent, une oeuvre crâne, et qui n'est encore qu'une révélation timide du XXè siècle..."

L'autre volet prophétique du livre est la description quasi millimétrique du comportement du français moyen de Paris durant la période d'occupation allemande sous le régime de Vichy.

Tout est dit : les collaborations diverses sous des allures parfaitement honnêtes, les conflits d'intérêts, les alliances de façade, etc. le tout concourra ici à faire tomber Florent, qui, bien naïvement, essaie de monter une insurrection pour faire triompher la justice et le droit des opprimés.

L'auteur nous livre aussi tous les écueils qui s'opposent naturellement à toute forme de socialisme et conclut son livre, toujours par la bouche de Claude Lantier avec un : " Quels gredins que les honnêtes gens ! " très lourd de sens.

Mon coup de coeur personnel va indubitablement à Mademoiselle Saget, vieille commère venimeuse quémandeuse imbuvable qui colporte les ragots qu'elle invente elle-même comme personne et qui laisse derrière elle une trainée de poudre apte à semer la zizanie à n'importe quel coin des Halles.

Zola devait affectionner tailler de beaux costumes pour l'hiver à ces femmes, car on en rencontre souvent disséminées çà et là dans les Rougon-Macquart, toutes aussi venimeuses et malfaisantes.

Personnellement, j'adore quand Émile Zola exhume les côtés les plus hideux et puants des humains, les met sur le grill pour empester les voisins et rajoute de grosses gousses d'ail pour roter d'une haleine féroce, mais bien sûr, ce n'est là que mon avis, une bien piètre victuaille oubliée sur l'étal, autant dire, pas grand-chose.
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Les Rougon-Macquart, tome 13 : Germinal

Germinal, c’est un monument. Un chef-d’oeuvre qui n’a pas pris une ride. Une plongée en apnée au coeur de la mine, et on souffre avec ces hommes et ces femmes qui descendent jour après jour dans la fosse, pour un salaire qui ne leur permet pas de manger à leur faim.



On retrouve Etienne Lantier, à la recherche d’un travail, prêt à accepter n’importe quoi pour ne pas mourir de faim. C’est ainsi que son sort se lie aux herscheuses, aux haveurs et à tous ces forçats que la mine détruit un peu plus chaque jour qui passe.



Les patrons sont prompts à trouver le moindre prétexte pour réduire encore les maigres émoluments dispensés aux ouvriers. Dame, les affaires ne vont pas si bien pour ces bourgeois repus : la mine ce n’est plus ce que c’était!



Alors la révolte gronde et le charisme d’Etienne fait le reste : la grève est déclarée. Avec nombre de victimes innocentes.



Zola décrit avec un réalisme époustouflant la misère et la lutte pour survivre du peuple des mines. En contraste, la vie des bourgeois qui tirent les ficelles, et qui dégustent des mets de luxe à s’en rendre malades, est sidérante.



La révolte dans sa détermination n’est pas sans rappeler celle qui agite notre pays depuis plus d’un an. On y ressent le pouvoir et force d’un mouvement de foule qui dépasse la simple volonté des individus.



C’est un roman violent, et je m’étonne de l’avoir lu pour la première fois à 15 ans.





Aucun regret, au contraire, de l’avoir redécouvert, bien au contraire, c’est un incontournable dans la série des Rougon-Macquart.
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J'accuse ! et autres textes sur l'affaire D..

J'accuse - Emile Zola et l'Affaire Dreyfus. Chez Librio.

Une anthologie présentée par Philippe Oriol

"J'accuse", un titre choc pour une affaire choc qui date de 1897.

Déjà 10 critiques ou seulement 10 critiques sur cette effarante affaire Dreyfus,

cet homme condamné pour une faute qu'il n'a pas commise.

Emile Zola n'y croit pas, et il n'est pas le seul, mais c'est le seul qui aura le courage d'écrire une lettre au président Félix Faure, une longue lettre qui est un cri de colère. Il fut aussi jugé pour cela et condamné, mais alla en cassation. Pour échapper à l'emprisonnement, il s'exila à Londres.

154 pages, ou sont expliqués les tenants et aboutissants de cette affaire qui a tenu en haleine tous les journaux de l'époque.

A la fin du livre figurent les notices bibliographiques, suivie d'une bibliographie sélective. A lire pour se souvenir, et pour savoir qu'à l'heure d'aujourd'hui, nos gouvernements ne valent pas mieux que ceux de cette époque. Rien n'a changé si ce ne sont les méthodes.

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Les Rougon-Macquart, tome 7 : L'Assommoir

"J'affirme que j'ai fait une oeuvre utile en analysant un certain coin du peuple, dans L'Assommoir. J'y ai étudié la déchéance d'une famille ouvrière, le père et la mère tournant mal, la fille se gâtant par le mauvais exemple, par l'influence fatale de l'éducation et du milieu. J'ai fait ce qu'il y avait à faire : j'ai montré des plaies, j'ai éclairé violemment des souffrances et des vices que l'on peut guérir. Je ne suis qu'un greffier qui me défends de conclure. Mais je laisse aux moralistes et aux législateurs le soin de réfléchir et de trouver les remèdes... Oui, le peuple est ainsi, mais parce que la société le veut bien."



C'est avec ces quelques lignes que Zola, dans une lettre publiée dans La Vie Littéraire, le 22 février 1877, se défendit des accusations dont il était victime. Car bien évidemment, ce septième roman de la saga ne pouvait pas laisser indifférent. On lui reprocha une atteinte aux bonnes moeurs et, pire que tout, de dénigrer le peuple. Cependant, n'était-ce pas de l'hypocrisie ? Zola a voulu lever le voile sur des tabous et, comme à son habitude, son écriture met en relief un pan de la société que l'on préfère ignorer : alcoolisme, débauche, infidélité... Bien sûr, Zola met le doigt là où ça fait mal, sinon, à quoi bon écrire un bouquin, hein ? Et comme à son habitude, il se documente suffisamment pour que tout cela paraisse bien réaliste, jusque dans la langue populaire.



Si je devais choisir parmi tous les romans de cet auteur, je dirais que L'Assommoir est celui que je préfère. J'ai une certaine compassion pour cette pauvre Gervaise, une envie irrépressible de lui hurler, à chaque fois que je relis ce livre, "mais ôte-toi de la tête ce *** de Lantier, non, ne cède pas aux avances de Coupeau !" Mais ne nous leurrons pas : Zola avait vu juste et ce texte reste résolument moderne. Il y a et il y aura toujours des Gervaise, des Lantier ou des Coupeau, malheureusement !




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Les Rougon-Macquart, tome 11 : Au bonheur d..

C’est sans doute celui que je préfère! L’un des plus bienveillants pour son personnage principal, qui s’en sort plutôt bien, compte tenu de la précarité de sa situation lorsqu’elle débarque à Paris, orpheline flanquée de ses deux frères, mal accueillie par son oncle qui lui avait pourtant naguère proposé de l’aider. C’est par bonté d’âme qu’un marchand de tissu l’emploie, malgré ses difficultés liée au développement d’un magasin d’un genre nouveau, qui donne son titre au roman : Au bonheur des dames. Il ne faudra pas longtemps pour que Denise y fasse ses premiers pas dans la vente, avec des débuts extrêmement difficiles, tant les péronnelles en place sont promptes à la méchanceté. Quant à son frère qui court le guilledou et réclame sans cesse de l’argent pour payer ses frasques, il contribue au dénuement de la jeune fille. Mais elle est obstinée et vaillante.





Le flair du jeune et ambitieux Octave Mouret, qu’on a connu papillonnant et opportuniste dans Pot Bouille, se confirme. Peu en peu il met en place une machine de guerre qui va broyer un à un les petits commerces environnants, avec une politique du prix d’appel cassé, sur lequel les petites échoppes ne peuvent s’aligner, et attirant ainsi le tout Paris qui dépense sans compter dans les rayons débordant d’un luxe d’articles tentants. (Les portraits de ces femmes hameçonnées ne sont guère flatteurs).





Toute cette histoire de commerce est égayée par les récits des amours licites ou illicites, et surtout par la passion qui dévore Octave Mouret pour Denise, qui le fait tourner en bourrique, sans calcul de sa part.





C’est aussi un état des lieux de la société de la fin du 19è siècle qui voit la naissance d’une économie de consommation écervelée, conditions précaires des employés, (même si Denise, usant de son influence auprès du patron parviendra à adoucir le sort de ceux ci).





Comme dans Le Ventre de Paris, Zola excelle à décrire l’abondance : rayons débordant de marchandises, décorations luxueuses, mises en scènes pour attirer la foule des pratiques, bénéfices faramineux. Tout cela contraste avec la misère de ceux qu’il contraint à mettre la clé sous la porte.



Très belle fresque sociale, qui mêle passion et regard acéré que l’évolution de la société en pleine mutation.
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