Citations de Éric Fottorino (689)
On s'en est sortis vivants, Lina et moi. Vivants, pas indemne. Dans mon cœur, une statue de pierre est toujours debout, raide et menaçante.
...je m'étais sorti de tout. Pas de l'éloignement. Un désamour tenace envers cette petite femme que j'avais longtemps appelée par son prénom, Lina. Dix fois par jour, j'oubliais que j'étais son fils.
Toutes ces années où je croyais n’avoir cherché qu’un père, je n’avais pas senti l’absente sur chaque photo. Il manquait quelqu’un. Il manquait Elle, la petite fille. On l’avait effacée et je n’avais rien remarqué. Ni vue ni connue. Seul le regard de ma mère aurait dû m’alerter. Je croyais que l’ombre à l’intérieur de ses yeux n’était que mon triste reflet.
L a méchante petite phrase a tracé sa route,a décidé du reste de ma vie.
La terre entière réussit à se parler sans obstacle sauf une mère et son fils,nous.
A partir d'aujourd'hui, je suis obligé d'écrire tout ce que je dis pour ne pas oublier trop vite. Chaque mot prononcé dévore le précédent, l'efface, le vide de son sens, au point que je ne sais plus où a commencé ma phrase. Je n'ai dans la tête que tumulte et chaos, et pire quelquefois, le silence.
Je lui parme d'humilité...ça vient de humus. La terre. ce n'est pas faire acte de contrition, être humble. ce n'est pas perdre sa fierté. c'est être près de la terre. De la réalité.
[...] Un roman réussi est un tour de magie.
[...] Vous ne savez pas bien comment l’auteur a fait, et si vous le saviez, le charme serait brisé.
[...] La majorité était alors fixée à vingt et un ans. Il tenait à devenir, avait-il prétendu, un écrivain mineur.
[...] Vous y verriez une ironie du sort. Le plus clair de mon existence, j’ai été employé aux écritures.
[...] L’auteur s’était épuisé plus encore que son livre.
Quand il eut terminé -était-ce au bout d'un chapitre, d'une phrase suspendue ?- Norman Jail referma son stylo, couvrant la plume d'un capuchon sévère. Il essuya la pulpe de ses doigts dont les sillons s'étaient teintés d'encre. Je m'attendais à voir sortir de sa bouche des mots en charpie, des débris de texte tailladés, et qui sait, le sang de sa rude bataille avec ses ennemis les adverbes.
Lorsque les musulmans n'adorent plus Dieu, ils adorent leur religion.
La question est donc non pas de "réformer" l'islam, mais de "culturer l'islam en l'insérant dans la société française. En mettant en avant une conception de la laïcité qui exclurait le religieux de l'espace public, on contribue à "fanatiser" le religieux.
Je deviens pareil à toi qui, ta vie entière, as tenu la religion en respect au bout d'un sourire sceptique.
Suite à un accident grave de voyageur, le trafic est interrompu. L'atmosphère était tendue. Plusieurs trains avaient déjà stoppé ici, déchargeant leurs cargaisons d'usagers fatigués, abbatus à l'idée de ne pas rentrer chez eux avant longtemps.
Taire m'est apparu comme le verbe auxiliaire de tuer. En niant cette souffrance, on ne laissait aucune chance au désespéré de partager son mal-être. Une douleur flottait dans l'air. Elle planait, menaçante. Personne ne la prenait en charge. Trop lourde à porter. Condamnée à grandir jusqu'à devenir invivable.
J'ignore combien de temps on reste un père. Toujours sans doute. Le titre subsiste même quand on l'a perdu, comme pour les anciens présidents et les éternelles mademoiselles des génériques, au cinéma.
Sa grande affaire, c'était la mort. Mayliss n'avait aux lèvres que des destins brisés, Adèle Hugo, Virginia Woolf, Martin Eden, tous ces êtres qui n'avaient paru vivre que pour hâter l'heure de mourir. [...] Elle recherchait les lectures dangereuses. Si je lui demandais lesquelles, Mayliss criait cette phrase d'un écrivain oublié : « Mon livre de chevet fut longtemps un revolver. »
On sait compter par milliers. On ne compte pas au détail. On a renoncé à l'inventaire. Ces maux ne sont pas chiffrés. Les suicidés du rail n'existent pas plus que la douleur qui les a vaincus, que la douleur transmise aux vivants. Comme à la roulette, ils sont des voisins du zéro, les laissés pour compte, fourgués dans l'anonymat d'une statistique. Inconnus jusqu'au bout, ils sont des etc. Personne n'a cherché à les retenir, à s'en souvenir. Leur suicide est une soustraction sans retenue. Dans humain pourtant, il y a main.