Ce livre paru en 1989, aux éditions Maurice Nadeau, réunit le roman "Aventures dans l'irréalité immédiate" (pour lequel j'ai déjà écrit quelques lignes sous l'édition de 2015), ainsi que le récit "La Tanière éclairée, journal de sanatorium" qui commence ainsi :"Tout ce que j'écris a jadis été vraie vie."
Je consacre donc ce bref billet à "La Tanière éclairée". Ici, les images se rapportent exclusivement au corps, tant et si bien que l'âme semble mise entre parenthèses. La tanière n'est autre qu'une intériorité corporelle, telle que précisé dans ces lignes des premières pages : "Quand je m'assois l'après-midi dans le jardin, au soleil, quand je suis seul et que je ferme les yeux, ou bien quand en plein milieu d'une conversation je passe ma main sur la joue et que je serre les paupières, je retrouve toujours la même obscurité hésitante, la même caverne intime et familière, la même tanière tiède et éclairée par des taches et des images floues, qu'est l'intérieur de mon corps, le contenu de ma personne en deçà de ma peau."
Le corps devient un poste d'observation du monde extérieur. Si chez Anton Holban n'est réel que ce qui est vécu subjectivement, ici, plus rien n'est avec certitude réel. La frontière entre rêves est réalité n'est plus étanche, de sorte que le monde réel n'est pas intériorisé psychologiquement, mais exploité poétiquement. Une place bien connue de Bucarest est "vue" par le narrateur, tantôt dans une lumière blanche, tantôt entièrement rouge : une image surréaliste et onirique, comme Max Blecher les affectionne.
Combattre la mort qui rôde dans les sanatoriums (Berck entre autres) c'est vivre intensément l'instant présent dans ce monde peuplé d'images.
Un bémol pour moi : ces deux premières traductions ne sont pas très fidèles à l'original.
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Moins qu'une suite d'histoires, le récit de mes souvenirs devrait être une enfilade de chambres différemment éclairées, le plus souvent tristes et nostalgiques, baignant dans la lumière d'un jour pluvieux, où je gisais les yeux grands ouverts et la conscience assombrie–la vie qui m'abandonnait laissait mon corps mou et inerte, j'éprouvais nettement la sensation de me perdre.
De cette longue file de chambres d'hôpital, la plus triste, la plus dramatique est peut-être celle que j'ai occupée pendant quelques mois à mon retour de l'étranger, au bord de la mer Noire.
(p. 259, in La Tanière élairée)
Les effluves de la pourriture atteignaient mon odorat de façon contradictoire. Je percevais dans le même instant l'odeur gélatineuse des graines en décomposition et leur parfum agréable, chaud et familier, de noisettes grillées.
"Je crois que la vie se condense parfois dans certains faits mineurs et qu’elle devient alors cent fois, mille fois plus lourde et plus intense que d’habitude, pareille à ces noyaux de matière stellaire, qui flottent dans les espaces astraux et dont on nous dit qu’ils sont formés par une substance mille fois plus dense que celle de notre planète. Et je crois aussi qu’un tel sentiment de condensation, que je n’ai plus éprouvé depuis que deux ou trois fois dans ma vie, m’a envahi au moment où j’ai porté la carafe dans ma bouche.
Il existe des choses très simples qu’on ne peut exprimer par des mots, et la sensation que j’ai éprouvée en avalant la première gorgée d’eau est certainement parmi elles. Je voudrais trouver le mot juste et je n’en trouve qu’un : c’était dément. C’est ça : une sensation démentielle, capable de me faire tourner la tête, de me faire rire, ou pleurer ou grimacer ou proférer des obscénités comme un fou. J’avais envie, non pas de boire de l’eau, mais de l’embrasser. Je me rappelle très bien comme j’ai essayé d’embrasser l’eau, en serrant mes lèvres et en retenant le liquide dans la bouche. Je crois que si ma main avait été armée, j’aurais tiré sans hésitation, avec soif et volupté, sur quiconque aurait voulu m’empêcher de boire, et avec le même acharnement que j’avais mis pour vider à moitié la bouteille."
Une chronique sur le livre Cœurs cicatrisés, dans la traduction de Gabrielle Danoux.