Un cheval noir dans les ténèbres
à Pierre Soulages
Court il court chevauche court vole vrille échauffe court
Long vif il souffle crache crisse il secoue ses os ses vertèbres
La ruine sombre de sa peau l'immense nuit des eaux funèbres
Il est plus grand que la douleur plus beau que l'or des yeux
Il court sur tous les chemins les montagnes les gouffres
Les vallées de vagues il rafle les pigeons et les aigles
Dévaste les plaines se rue fou dans les désirs sans fond
L'affreuse haleine autour de lui se frotte aux murs griffés
Il est le rythme il est le monde affolé l'ardente flamme
Il file nuit à perdre lune il appelle il avale il ébène :
Je suis comme ce cheval noir qui s'épuise et se brise et
Souffle sur ses lèvres pour oublier les ténèbres de l'âge
p.13
La vie exagère beaucoup
Des fruits des folies de feuilles et de fleurs les falbalas
D'un été qui finira quand les arbres flamberont quand
Je me courberai vers toi froissée mais encore confiture
Avec le souvenir sous mes doigts faibles des dentelles
Cette peau organdi ce feu de silex ce luxe d'une chair
Pullman qui palpite obscure douce une nuit en Orient
Express notre vie est un tapis qui se défait sous les pas
Le présent accable chaque jour Ne reste que l'amour à
L'arrivée Durant des milliers de siècles l'homme se tait
Un silence presque total recouvre le monde et voici que
La nuit chassée il fait beau comme la course d'un tigre
Des yeux mirabelle des oiseaux sur les hanches la valse
Du désir il fait mer et montagne et cette source comme
Un lit où tu apparais endormie convoitée par un renard
Qui passe puisque tout passe J'étais là je me suis arrêté
Je ne suis jamais reparti de toi nous avons inventé l'été
p.44
Le temps est d'une longueur infinie
La vie est un bateau qui vient de l'horizon loin petit
Si petit puis qui grandit s'approche gonfle ses voiles
Barre bientôt tout l'horizon semble remplir le port
Puis s'éloigne trop vite diminue s'efface de la vue
Disparaît ne laissant rien sur les doigts de mémoire
Qu'un peu de vent
p.34
Le temps est d'une longueur infinie
Peu de vent dans mes voiles l'air de chasser mille douleurs
Je ne dis rien je chevauche les mots qui portent des actions
Comme les chevaux portent les hommes sans qu'on sache
Jamais ce que pensent les chevaux Comme on raconterait
Encore toujours la même histoire celle qui nous permet de
ne pas en raconter une autre
p.25
Le temps est d'une longueur infinie
Si je dis que je doute pourtant de cela je ne doute pas
C'est une lassitude alors que de la pensée tout est comme
La mélancolie l'esprit quand il fait le cheval échappé
Le hurlement de ses cuisses ouvertes comme un aveu
La grâce d'un héron bleu sur la brume grise du matin
Le vent dans un palais inachevé
p.22
Présentation de Don Giovanni par Alain Duault.