– Veut-on, veut-on quelque autre chose encore que ma vie ?
– Construis, et reconstruis sur ce qui est attente, en attente, et cap sur le sable, et cap sur les plages, et découpe beaucoup de châteaux, et fends un air, une histoire, et découpe une route inattendue selon d’autres traits de routes, et fais-toi fuir l’esprit, et fournis à tes pensées des courants d’arrière-cour, et ne rêve que ce qui est du rêvé, et ne pense que ce qui est du pensé, et crie ce qui pulse dans la tête, sachant que c’est toi et ceux de toutes les espèces, et rassemble, et laisse les autres mener leurs petites poursuites, et nettoie le monde-tribunal, et sifflote, balaye, écoute, balaye, écoute, balaye, cligne de l’œil, écoute, balaye, et jette dans ton sac tout ce que tu croises en vrac, commence par un mélange au hasard, et ne fais pas de châteaux en Espagne, et ne te confie à personne, on est là.
– Faudrait-il, ne faudrait-il pas qu’une chose ordinairement ne nous étonne plus ?
– Mets des rires dans ce que tu entreprends, et remplis-toi de joie devant l’effondrement de ce qui mutile la vie, et pose du rouge sur du gris, et cherche sans savoir-trouver ou énoncer, et abandonne les postulats, et ne cesse pas d’entrer en contact, et insinue les formes les unes dans les autres, et arrache chacune d’entre elles à son segment de départ, et ne réduis pas, ne te perds pas dans un espace restreint, irrespirable, et n’impose pas de conduite par répartition dans ce même espace, et n’ordonnance pas dans le temps, et exile, et sois intersocial, et tisse des réseaux d’alliances pléthoriques, et ne fais pas de châteaux en Espagne, et ne te confie à personne, on est là.
– Peux-tu, peux-tu quelque autre chose encore qu’une figure ?
– Ne cesse pas, et avance en tout moment, et ne prends, n’adopte pas le visage de ton rôle, et écarte tes propos des over-significations, et circule entre les pavés, et fais filer ta langue, et laisse-toi secouer par tes modèles, et définis-toi en fonction d’un dehors, et dégage-toi de la bêtise ambiante, et ne traite personne comme un objet de reconnaissance, et ne tire pas la couverture à toi, et ne cours pas tout droit, et ne te ramène pas au trajet d’un point fixe mais laisse-toi déborder, et ne fais pas de châteaux en Espagne, et ne te confie à personne, on est là.
– Comment, comment dans l’ordre des discours enfin prendre la parole ?
– Ne demande pas d’entrée de jeu, et ne t’explique pas, et rends-toi compte que tu n’as rien à dire, et ordonne, invente un problème avant de creuser une solution, et fabrique, oui, tes propres questions, et surtout ne pratique pas d’objections, sors de tout ça, c’est facile, et ne pense pas en termes d’histoire, le passé, le futur, c’est pas grave, et ne fais pas comme si, et ne classifie rien, et ne fais pas de châteaux en Espagne, et ne te confie à personne, on est là.
Adam FATHI - l’Engagé (France Culture, 2012)
L’émission « La poésie n'est pas une solution », par Frank Smith, diffusée le 9 août 2012 sur France Culture. Invité : Adam Fathi. Lecteur : Adrien Michaux.