LE VILLAGE INTIME.
On entre toujours par la petite porte dans les textes rares de
Jacques Josse. On y pénètre d'autant plus subrepticement qu'il faut montrer patte blanche éditoriale pour le découvrir, par hasard, par communauté d'êtres et de sensibilité, par amitié, enfin. Car loin de tout le foin médiatique et marchand qui s'est emparé, aussi, d'une part démesurée du monde des lettres - les belles comme les pires -
Jacques Josse se préserve, années après année, d'une exposition qu'il semble se refuser, non par snobisme ou pas faiblesse, mais par fidélité à une certaine manière d'être au monde et aux autres : celle de la douceur profonde, de la beauté intrinsèque et cachée bien qu'en dehors de toute mode, de l'évitement des confusions ou de l'inutile bruit du monde. Inutile, donc, de le chercher chez les "grands" - ou supposés tels - éditeurs. Lui, c'est du côté d'Apogée, de la Digitale ou de
Jacques Brémond qu'il faut aller le surprendre, l'entreprendre, le dé-couvrir. Ceux-là sont assez fous et raisonnables pour lui donner armes à s'ébattre (sans autres morts que ceux de l'amour, comme dans le présent texte).
Pour autant,
Jacques Josse n'a de cesse de creuser son rugueux sillon - rugueux mais fraternel -, au fil de ses livres, au fil des pages, au fil des rencontres. Mais si les morts (re)surgissent plus vifs que les vivants, c'est pour mieux dire ce petit monde de presque rien où presque rien est tout, où l'on pourrait croire à la rémission du vide, où les défunts s'apprêtent à sourire tandis que les survivants n'ont de cesse de fumer leur existence, à moins qu'ils ne se contentent de l'avaler, bock après bock.
Que reste-t-il alors au poète ? «Il sourit. Imagine. Espère. Qui sait ?» énonce-t-il. Peut de choses. Tant de choses. Pour une question sans réponse : celle que l'on se pose sans doute tous, à l'heure des comptes. Pour autant, "il" trace sa route, le poète, de port en port, de village en hameau, de vagues en tombeau. Et si «la mer soupire à peine. [Qu']Elle ne froisse pas la nappe, c'est sans doute aussi elle, ce lien inexpugnable entre toutes ces misères célestes. À moins que ce ne soit l'alcool, les fumées bleues de cigarettes ou cette misère complice des «chairs blessées» qui font des hommes des épaves et des corps... Et si, comme le rappelle fort justement Jean-Pascal Bubost, «L'humilité est la force du poète
Jacques Josse, son égard pour les déglingués, les abîmés, élabore, livre après livre, un memento mori d'une étrange douceur», il ne faut pas toutefois se résoudre tout à fait à l'oubli ni à la perte, à la déshérence ni à la facilité, ô non! car [il] Sait que désormais seul le chemin creux qui court en zigzag vers le bourg peut restituer la chute des corps frêles qui jadis calmaient leurs membres maladroits sur des lèvres d'eau, de mousse et de boue.» Et de nous accompagner en ce Hameau mort - au regard de qui ne sait -, bien plus animé (même une fin solitaire est agitation sourde) qu'il y paraît d'évidence. Et les évidences fades,
Jacques Josse ne les apprécie guère, tandis qu'il fouille, livres après livres, pages après pages au plus près de nos angoisses intranquilles et communes. Sans bruit. Sans excès. Sans concession.