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EAN : 9782070388813
132 pages
Gallimard (11/05/1994)
3.91/5   131 notes
Résumé :
"Cette inconnue, qui donc est-elle ?

Une vision, elle-même porteuse, semeuse de visions. Une vision avare de ses apparitions. Elle ne s'est montrée que peu de fois, et toujours très brièvement. Mais chaque fois sa présence fut extrême.

Une vision liée à un lieu, émanée des pierres d'une ville. Sa ville, - Prague. Jamais elle n'a paru ailleurs, bien que certainement elle en ait le pouvoir.

Cette femme n'a ni nom, ni âge, n... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (42) Voir plus Ajouter une critique
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Ce livre est un kaddish.
Pas le kaddish que recitent les hommes juifs endeuilles.
Ce kaddish est declame par une femme, non juive, une “gentil".
Pas le kaddish traditionnel sanctifiant le nom de Dieu: “Magnifie et sanctifie soit le Grand Nom dans le monde qu'il a cree selon sa volonte etc.”
Pas son pendant chretien: “Notre pere qui es aux cieux que ton nom soit sanctifie etc.”.
Un kaddish laic qui s'en prend aux cieux aveugles aux souffrances des hommes, aux cieux sourds a leurs cris.
Pas un kaddish particulier dit pour un pere ou une mere disparus.
Un kaddish elargi aux disparus d'ici et d'ailleurs, d'hier d'aujourd'hui et de demain. Les miens et les tiens. Les notres.
Un kaddish elargi aux souffrants et aux souffrantes, pendant leurs vies et apres leurs morts.
Un kaddish elargi aux pensees des souffrants.
Un kaddish elargi aux textes des souffrants.
Un kaddish pour l'ecrivain Bruno Schulz tue d'une balle dans le dos au ghetto de Drohovycz; pour Franta Bass, un gosse qui ecrivait de petits poemes a Terezin, le ghetto-modele de triste memoire; pour le pere de l'autrice, mort a Paris dans le quartier d'Auteuil; pour Sarah, la fillette hebetee par la faim et la misere, que photographia en Galicie Roman Vischniak; pour Saint Jean Nepomucene, torture et noye pour s'etre oppose a un empereur; pour le heros de la nouvelle de Kafka: “A cheval sur le seau a charbon”, qui vole sur son seau vide: “derriere moi le poele impitoyable, devant moi le ciel qui ne l'est pas moins”; pour les amants abandonnes, pour les amantes desertees; pour les maisons delabrees, les quartiers degrades et les gens qui y habitent; pour tous les hommes, “jusqu'a l'homme denomme et dechu pour avoir trop bafoue, trahi, meurtri ceux de sa race, race unique a travers toute la terre”.

Un kaddish recite a Prague. Chante en deambulant a travers ses quartiers. Un kaddish-poeme. Qui sied a Prague, ville-poeme.

J'ai lu ce texte poetique, ce poeme-kaddish, incite par Lectuur. Je la remercie.
Je l'ai lu assis, chez moi, a la lumiere d'une lampe. J'aimerais pouvoir le relire debout, a Prague, devant l'Altneuschule, la synagogue Vieille-Nouvelle. Une synagogue aujourd'hui a demi enfoncee par rapport a la chaussee. La synagogue qu'evoquait Jiri Weil, sans la nommer, dans Vivre avec une etoile, quand, pour une fois reuni avec les restants de sa communaute, il murmurait: “Des profondeurs je t'invoque, O Eternel!”
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Une grande créature quasi surnaturelle déambule,mais pas de façon permanente dans les rues de Prague. Elle est géante, à cause de l'ombre qu'elle projette ? géante, en rapport avec les monts des géants qui entourent la ville ?
Elle est aussi surnommée la pleurante mais ce n'est pas elle qui pleure, c'est la ville qui a connu tant de malheurs.
Un des passages, les plus marquants est la description en plusieurs parties de l'accoutrement de la dame : ses vêtements de pauvresse, son boitillement assez prononcé, sa marche glissante, l'absence de couleurs.
Elle n'est à aucun moment effrayante mais répand une atmosphère envoûtante.
Elle apparaît à douze reprises dans des lieux tous différents.
L'écriture est présentée sous forme de prose mais tellement poétique et onirique.
De nombreux lecteurs ont affirmé qu'il fallait connaître la ville pour apprécier le livre. Sans doute. Je ne connais pas Prague mais bien son Histoire, surtout au moment du bloc de l'est et du printemps de Prague.
Le mot " encre" revient tellement qu'on finit par comprendre que le personnage est sorti du livre.
Quand je l'ai lu pour la première fois, allez savoir ce qui m'est passé en tête, j'ai eu l'impression que j'étais dans les rues avec "Le bon gros géant" de Roald Dahl mais rien que le début car les livres ont pris chacun leur chemin.
Sylvie Germain a écrit le livre en 1992.
Je le garde avec "La chanson des mal aimants"
Un passage sera lu lors de la finale de lecture à voix haute de la grande librairie le 17 juin. Je le garde bien en vue pour ce jour-là.
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La Pleurante des rues de Prague, c'est une silhouette claudicante qui apparait furtivement au hasard d'une rue, le long d'une usine désaffectée ou derrière un réverbère mais jamais là où on pourrait l'attendre. D'elle, on ne sait rien. Juste une grande femme à l'allure étrange et imposante, à l'apparence indéterminée, revêtue de loques immondes, de hardes informes comme pour mieux se dissimuler aux regards environnants.

« Car ce n'était pas elle, non, pas elle seule qui geignait et pleurait de la sorte. C'était la ville entière, la ville et ses faubourgs, et au-delà encore. C'était la terre, des vivants et des morts. »

La Pleurante des rues de Prague, elle apparait subrepticement comme une brise, comme un souffle, comme un râle. Elle transporte avec elle la douleur, la peur, les cris, la souffrance de ces femmes et de ses hommes, de toutes ces petites gens qui ont souffert sur l'autel de l'Histoire. Elle est la somme de toutes les peurs, la somme de toutes les douleurs, de toutes ces terreurs inexprimées.

« Les amants délaissés rasaient les murs, le front baissé, les lèvres closes, bleuies de froid. Nul ne les remarquait, - on est si fade quand on chute au profond du malheur qu'on en devient insignifiant. »

La Pleurante des rues de Prague, ce sont douze apparitions, douze évocations fantomatiques, comme douze heures qui défilent sur le cadran d'une vielle horloge, comme douze mois qui s'égrènent sur un vieil almanach.

La Pleurante des rues de Prague, elle surgit de l'encre de la plume de l'auteur, se faufile en les mots, se glisse entre les pages, s'insinue en vous, elle vous hante.

« C'est du livre, qu'elle est sortie, tout simplement. Ni de la ville ni du visible, mais du livre. Elle y est pourtant si peu entrée dans le livre, elle y a si peu séjourné. Quelques visites, quelques images. Visites brèves, images inachevées. »

La Pleurante des rues de Prague, c'est du lyrisme et de la poésie au service d'une lecture envoutante, une expérience de lecture unique, un voyage, un songe au coeur du vieux Prague, « Praha »…

Il faut lire Sylvie Germain.

Lien : http://bouquins-de-poches-en..
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Pèlerin, toi qui déambules dans les rues de Prague, prête l'attention... Ouvre les yeux, ceux de ton visage et ceux de ton âme, écoute, fais silence.
Il est des choses qui bruissent et qu'on entend à peine et des choses qui sont à la marge du visible, du perceptible...

Les pages de ce livre pavent les rues de Prague, les pages de ce livre crissent doucement sous les pas d'une créature surgie de l'invisible et des tréfonds de l'humanité. Peut-être, croiseras-tu cette femme en haillons, surgissant de l'ombre, celle qui est transparente, celle qui se devine, présence évanescente, un jour là, un jour ici, comme le soudain.

Ne cherche pas à apercevoir son visage, elle n'en a pas ou plutôt si, elle en a un, elle en a dix, elle en a cent, elle en a des milliers : visages de ceux qu'on a affamés, de ceux qu'on a chassés, pourchassés, de ceux qu'on a persécutés, ceux que l'on a assassinés.
Elle a les yeux de ceux qui n'ont plus de pain, de ceux qui grelottent, de ceux qui vivent leur dernier souffle.
Elle est chagrin, elle verse les larmes de tous les affligés, les larmes de ceux qui souffrent à leurs côtés, les larmes de ceux qui pleurent en évoquant leur souvenir. Elle porte les larmes de tous les chagrins, se voulant douceur pour apaiser, se voulant protectrice pour accompagner celui qui quitte la vie.

Elle est morceau du temps, instant fugace, fulgurance comme une évocation incarnée.
Elle fait faire souvenance, de celui qui a été, de celui qui n'est plus.

Elle est souffrance pour endurer avec - compassion-, incarnation unique et multipliée de ceux qui souffrent, conscience, elle est aussi l'image de la laideur des hommes, reflets de leurs actes sans humanité, elle est pitié.


En douze stations, chiffre symbolique des douze mois de l'année répétant les saisons, les rigueurs du temps, ou des douze stations du chemin de croix jusqu'à la mort du Christ, tu vas la croiser, la rencontrer fortuitement dans autant de quartiers ou de lieux eux aussi symboliques de Prague, elle s'incarne en mémoire d'êtres victimes ou souffrants.

Se révélant à toi, elle est l'incarnation de ce qui est : elle donne la clairvoyance, elle devient tout, elle change ton regard et tu possèdes le don de regarder pleinement, de prendre conscience, d'embrasser l'humanité, hommes et créatures, nature et ciel étoilé, de souffrir avec ceux qu'on tue, ceux que la solitude anéantit, ceux à qui on a refusé la dignité depuis longtemps.

Qui est-elle : chacun la nommera selon ses croyances, selon ses attentes, selon son âme : elle est début et fin, elle est tout et détails elle est une et multiple.
Elle sera femme ou corbeau, goutte de pluie ou morceau de pain, qu'importe, elle porte le souvenir, elle est mémoire. Elle suggère, elle crée l'évocation.


Qu'importe le lieu, Prague symbolise la souffrance, qui murmure Terezin, qui murmure l'indicible, pour que tu n'oublies pas.
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Elle, la pleurante, personnage fantomatique, est là pour convoquer la mémoire. Celles des hommes, femmes et enfants qui ont souffert. Celles des petites gens que le vent de l'Histoire n'a pas retenues et qui pourtant jonchent les rues de Prague.
Une ville décrite avec minutie par l'auteure, une ville dans laquelle on déambule dans les différents quartiers, on écoute le tintinnabulant tramway, on respire l'odeur de lignite... une ville qui respire et exhale ses sombres souvenirs.

Une ville symbole de la tragédie du XXe siècle dans laquelle l'Histoire s'est gravée. « C'est que, sous ses grands airs, l 'Histoire pue. Il conviendrait de le sentir, et il importe de le dire, pour que l'on sache à quel point la douleur des victimes fait vraiment mal et que l'on n'oublie pas qu'une larme pèse un poids gigantesque.»

Mais la Pleurante, par le truchement de ses douze apparitions(qui sont autant de chapitres) se penche aussi sur cet écrivain près de mourir de froid, sur ce père disparu, sur ces enfants partis au loin, sur ces amants qui n'en sont plus...
« Là où passe la géant, la terre s'exhausse de l'oubli où nous la tenons, les choses s'arrachent à l'indifférence où nous les reléguons, la matière se montre, grenue, rugueuse, massive, poreuse, pétrie de temps, et tout prend une odeur, un goût, une présence. »

Passeur de mémoire, passeur de mots. La pleurante comme l'auteure font oeuvre commune pour laisser une trace.

Chaque page infuse sa dose de poésie. C'est beau, fort, lyrique. On sort de cette lecture enchanté(e), groggy, ivre de tant de beauté et de tant de tristesse aussi.
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Citations et extraits (60) Voir plus Ajouter une citation
     
Elle est entrée dans le livre. Elle est entrée dans les pages du livre comme un vagabond pénètre dans une maison vide, dans un jardin à l'abandon ...
Le goût de l'encre se levait sur ses pas.
     
... Ses déambulations semblent mues par de secrètes urgences, et son sens de l'orientation est le plus déroutant qui soit... Elle fraye avec les morts autant qu'avec les vivants, son ouïe perçoit les plus infimes souffles, les plus lointains échos. La couleur de l'encre, mille fois séchée et ravivée, luit depuis toujours sur les traces de ses pas.
     
Elle s'est engouffrée dans le livre. C'est toujours ainsi qu'elle procède ; à la façon du vent ...
Elle marche sans jamais se retourner ...
Le vent, le vent de l'encre se lève à son passage et souffle dans ses pas.
Et le livre qui suit, n'étant composé que des traces de ses pas s'en va lui aussi au hasard.
     
... Le hasard qui préside aux apparitions de cette étrange vagabonde et qui guide ses pas de passe-muraille ne se laisse pas réduire au fortuit, encore moins au caprice. Il y a tant de gravité dans cette femme errante, tant de patience et d'endurance ...
Le vent, le vent de l'encre qui souffle dans ses pas fait se courber, se balancer les mots, déracine des images qui demeuraient enfouies dans la mémoire à la limite de l'oubli, et par avance effeuille les pages du livre qui ne peut être que fragmentaire, inachevé.
     
     
(Prologue, 1 & 2. Éd. Gallimard coll. Folio, pp. 15-18)
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Le mot arbre se couvrait d'écorce grise ou brune, ivoire ou argentée, et plongeait profond dans la terre sous l'herbe et la pierraille, et exhalait une senteur de sève, de racines, de mousse et de feuillage humide ; des bêtes y nichaient, des yeux scintillaient dans ses branchages. Yeux des oiseaux, yeux des martres, des chats sauvages et des loirs, yeux des lucioles et des papillons ocellés. Yeux des étoiles clignotant dans les trouées de la ramure, yeux du soleil ou de la pluie, chatoyant au gré des feuilles. Yeux d'enfants scrutant l'horizon du haut des branches, ou simplement rêvant.
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Et la peau de l'Histoire n'en finit pas de se couvrir de telles fleurs, de se crevasser de chancres de honte et d'injustices, de regards et de bouches d'enfants ouverts comme des plaies sur un monde qui les nie et les tue. Et cela dure depuis les origines, à travers toute la terre.
Le corps de l'Histoire est semblable à celui d'un noyé qui aurait séjourné longtemps au fond de la mer, et dont la chair dévorée se serait incrustée d'innombrables coquillages, d'algues, de coraux et de fleurs sous-marines. Et plus la chair est dévorée, plus prolifèrent les coquillages, les fleurs de nacre, les concrétions de larmes et de sang. Et plus la chair est tourmentée, mutilée, plus s'ouvrent dans ses blessures des myriades d'yeux et de bouches béants. Car' quoi qu'en pensent les maîtres et les puissants du monde, ce sont moins eux qui font l'Histoire que tous les petits, tous ces Très-Bas anonymes qui ont enduré, pâti l'Histoire, et en sont morts comme meurent les noyés, tout à la fois arrachés à leur séjour sur la terre, à la beauté de la terre, et à l'espace du ciel, de la lumière, du vent.
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Qui donc pleurait en elle ?

Car ce n'était pas elle, non, pas elle seule qui geignait et pleurait de la sorte. C'était la ville entière, la ville et ses faubourgs, et au-delà encore. C'était la terre, des vivants et des morts.
Cette femme à la démarche disgracieuse, à la carrure monumentale, n'était pas de chair et de sang, - mais de larmes, rien que de larmes. Elle n'était pas née d'une femme, mais de la douleur de tous et de toutes.
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On le croyait nôtre, inséparable, d'une indéfectible complicité, ce corps second. On se leurrait. Le voilà qui s'en va, nous renie, nous oublie. Et la douleur pénètre dans chaque pore de la peau, elle s'insinue partout, et la raison, que l'on tâche pourtant d'endurcir, éclate, s'effrite. La raison ne veut plus rien entendre, c'est l'épouvante. On se heurte à l'absence de l'autre, on ne sait plus où aller, où se cacher, où fuir. On s'humilie, on se surprend à épier, éperdument, sa silhouette dans la rue, dans la foule, à sursauter au moindre bruit, comme s'il s'en revenait ; tous les pas sont ses pas. Mais lui, elle, marche ailleurs, si loin de nous, indifférent. On l'accuse, le maudit, l'injurie, mais le pardon déjà se trame au fond de nous. On voudrait mourir, mais on perdure, tendu dans le désir fou de le revoir. Encore une fois, juste une fois, rien qu'une fois. On le hait, mais on l'appelle avec l'immense patience, et douleur et amour des prophètes rappelant leur peuple frivole à la fidélité. On se moque, on médit de l'infidèle, - on blasphème, mais un mendiant recroquevillé au fond de nous lui tend la main, l'implore.
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Saison 5 : Jean Lancri, Gaëlle Obiégly, Sylvie Germain et Michel Simonot
Captation, montage et générique par Corinne Nadal
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