Ce roman, en grande partie autobiographique, raconte la vie de la jeune narratrice entre les années 1991 et 1996. Avec sa mère et son grand frère, elle est sortie de Vukovar avant que la ville tombe entre les mains des Serbes. Ils ont mené pendant toutes ces années une vie de personnes déplacées et ont atterri dans un hôtel où ils s'entassent dans une petite chambre. Le roman tourne autour de l'attente d'un logement pérenne qui vient en parallèle de l'attente du retour du père resté à Vukovar et porté disparu.
Entre sa mère dépressive et son frère en colère, la narratrice trace son chemin et sort progressivement de l'enfance pour devenir une adolescente. Elle nous raconte son quotidien : l'école, la famille, l'église, les rêves, les copines, les sorties, les premiers émois, les rivalités, les jeux, les petits plaisirs, les vêtements… Son regard enfantin se concentre sur de multiples petits détails et le ton est frais et léger. Elle a besoin que la vie continue normalement. C'est sa stratégie pour survivre. Car derrière cette frivolité, il y a tout ce qu'elle repousse tant qu'elle le peut. Mais parfois, ses barrières tombent et tout ce qu'elle n'oublie jamais vraiment remonte à la surface : l'absence de ce père joyeux, drôle et gentil. Se rappellent alors à son souvenir l'amour de son père et leur lien indéfectible qui lui donnait un sentiment d'invincibilité. Toute sa vie, elle s'interrogera sur les dernières heures de son père et sera hantée par des questions qui demeureront à jamais sans réponses. En filigrane se dessinent les ravages de la violence et les conséquences de la guerre sur les enfants : arrêt de la scolarité, délinquance, perte des valeurs, absence de limites, colère destructrice…
Je me suis énormément attachée à la narratrice. J'ai adoré son élan vital, son défi lancé à la misère et à la mort, son besoin d'insouciance et de rire malgré tout. C'est tout sauf larmoyant et pourtant, j'ai tellement pleuré ! L'émotion est palpable du début à la fin puisqu'il y a en toile de fond ce déracinement et cette double attente mais c'est fait avec une retenue, une douceur et une nostalgie incroyables. Je me suis retrouvée plongée dans le coeur intime de cette adolescente, pourtant cela reste très pudique. L'auteure a réussi, à partir de sa situation particulière, à toucher quelque chose d'universel. C'est un roman qui prend aux tripes, à la fois déchirant, doux et acide.
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En 1991, la narratrice, son frère et leur mère se réfugient à Zagreb : la Croatie fait sécession à la Yougoslavie, leur ville d'origine est décimée. Leur père, resté sur place pour la défendre, est porté disparu…
Sur 10 ans, la narratrice nous fait part de sa vie. Les recherches administratives de leur mère pour tenter de retrouver son mari. Les lettres au ministère pour obtenir un logement. Car pendant des années, la famille vivra dans une chambre d'hôtel miteuse, au côté de dizaines d'autres personnes déplacées.
C'est ainsi qu'elle vivra toute son adolescence : entre recherche de normalité (copines, style vestimentaire à la mode, internat…) et le traumatisme latent de l'ignorance de ce qui a pu arriver à son père et des conséquences de sa disparition.
Cette ambivalence est accompagnée par une tonalité douce-amère. La narratrice, en tant qu'enfant, n'a pas totalement conscience de sa situation extrême, même si elle s'en plaint. Elle essaie de vivre au mieux au jour le jour et n'arrive pas à se projeter dans le futur, comme si toute sa vie était en pause en attendant le retour tant espéré du père disparu.
C'est un roman assez facile à lire et intéressant pour un peu mieux comprendre la thématique de l'ex-Yougoslavie de l'intérieur.
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Quand la conversation a commencé à s'éteindre, il a soupiré : "Ah, qu'est-ce que tu veux, on peut pas choisir sa vie." J'ai laissé passer deux ou trois secondes et j'ai dit, assez fort pour qu'il m'entende : "Certains le peuvent". Il s'est retourné vers moi et le rouge lui est monté aux joues, ses joues bien lisses et rasées de près. "Moi, dans les années 1970, on m'a pas laissé le choix, c'était partir ou me faire descendre. Tout le monde savait qui j'étais..." J'ai cru qu'il allait continuer, mais il s'est arrêté, laissant sa phrase en suspens, et moi aussi je me suis tue. J'ai gardé les yeux fixés par terre pour ne pas avoir à affronter le regard de maman et celui de mon frère. On n'a pas tardé à se dire au revoir et quand il est sorti, il a emporté avec lui la voix, la stature, les blagues, l'insouciance, la vie.