Journaliste et correspondant de guerre,
Jean-Pierre Perrin décide d'écrire sur la Syrie suite à la mort de son ami libanais
Samir Kassir, assassiné par les services secrets syriens. le récit s'étend sur la période 2005-2013, c'est à dire qu'il commence bien avant le printemps arabe qui va déclencher le conflit syrien qui fait encore rage de nos jours.
L'auteur dénonce l'influence de la Syrie sur le Liban, qu'elle a officiellement quitté mais où ses services continuent d'opérer en toute quiétude. Aucun Libanais ne s'oppose à la volonté de la Syrie, car les rares qui ont essayé l'ont payé de leur vie. L'auteur se rend en Syrie (en 2012 ou 2013 ?) aux côtés de l'ASL (Armée Syrienne Libre) pour témoigner de la barbarie qui règne à Homs où les forces du régime assiègent le quartier de Bab Amro, bastion de la résistance. La ville est un champ de ruines où circulent quelques véhicules qui foncent entre les débris pour éviter les tirs. Pas de piétons dans les rues, les snipers de l'armée tirent sur tout le monde, vieillards, femmes ou enfants compris.
Jean-Pierre Perrin recueille des témoignages de soldats qui ont connu l'horreur des geôles du régime et en portent les marques. La torture y est pratiquée systématiquement et à grande échelle, même si la personne ne détient aucun secret. Les forces de sécurité syriennes sont de grands experts en la matière, et l'auteur nous livre une information à peine croyable. Je cite :
"Après le 11 septembre 2001, si incroyable et honteux que cela puisse paraître, la CIA a donné des prisonniers, dont l'un d'eux avait été capturé par erreur, à torturer, je dis bien à torturer, aux bourreaux syriens parce que leur savoir-faire, c'est-à-dire leur cruauté, était sans égal. Ce programme de sous-traitance de la torture est connu sous le nom de « extraordinary renditions »."
A son retour au Liban, il apprend qu'une roquette est tombée sur le centre de presse où il était, que Paul est sérieusement blessé et que Mary est décédée. Tous les deux étaient retournés à Bab Amro pour un autre reportage.
La seconde partie du livre décrit les complaisances dont a bénéficié le régime syrien dans le monde, et notamment en France. On y apprend qu'une belle et sulfureuse Syrienne était la maitresse de
Roland Dumas, et qu'elle avait même le téléphone personnel de Mitterand.
Roland Dumas, apprend-on dans ses Mémoires, était l'avocat de Rifaat el-Assad, frère de Hafez, et poursuivi pour détournement d'argent public et crimes de guerre. Belle personne que ce Dumas qui se distinguera plus tard par d'autres frasques.
Autre compromission gênante, Moustapha Tlass, Ministre de la Défense de Assad, auteur de cette phrase qui devrait figurer au panthéon de la barbarie « Si chaque Arabe tue un Juif, il n'y aura plus de Juifs. » a reçu les ouvrages dédicacés de Mitterrand.
Il faut dire que ce Monsieur est un poète qui se pâme devant une belle femme : en 1998, il a reconnu dans une interview à al-Bayan, un quotidien de Dubaï, avoir donné le feu vert aux attaques-suicides qui tuèrent les deux cent quarante et un marines américains et les cinquante-huit parachutistes français en 1983 à Beyrouth mais que, pour ne pas peiner l'actrice (
Gina Lollobrigida), il fit épargner les bersaglieri italiens, qui participaient aussi à la Force intérimaire des Nations unies au Liban : « Je ne voulais pas qu'une seule larme coule des beaux yeux de Gina. »
La fin nous parle des relations de la Syrie avec le reste du monde, des États-Unis entre autres, qui ont défini une ligne rouge à ne pas dépasser (utilisation d'armes chimiques), et ont laissé l'armée syrienne impunie lorsqu'elle l'a dépassée.
Ce livre a été publié en 2013, la situation a évolué depuis, et malheureusement pas en bien. de nouveaux acteurs prennent part au conflit syrien : les Russes, les Turcs, les milices formées par ces mêmes Turcs, les Kurdes. Mais le vrai drame c'est la disparition de l'ASL, dont les membres sont tous morts ou en exil.
Jean-Pierre Perrin exprimait déjà son inquiétude en disant que le clan modéré avait perdu pied, depuis le conflit est devenu encore plus complexe et les participants encore plus extrémistes.