Jeune auteur d'une oeuvre déjà prolifique placée sous le double patronage de la philosophie politique et des questions stratégiques,
Jean-Baptiste Jeangène-Vilmer signe pour la célèbre collection « Que sais-je ? un petit livre sur la responsabilité de protéger.
le concept est à la mode. Brandi avec excès par ceux qui y voient une solution à toutes les crises du monde, honni par les autres qui le suspectent de cautionner un nouvel interventionnisme occidental, il est mal compris.
Jean-Baptiste Jeangène-Vilmer en fait la généalogie, en précise les contours et en présente les modalités de mise en oeuvre.
Apparue en 2001 sous la plume des experts de la « Commission internationale sur l'intervention et la souveraineté des Etats » (CIISE), adoptée par l'Assemblée générale des Nations-Unies en septembre 2005, la responsabilité de protéger – ou R2P prononcé à l'anglaise (2 = to) ou à la française (2 = de) – est le produit d'une longue évolution qui ne date pas de la chute du mur de Berlin. le monde d'avant 1989 n'était pas aussi westphalien qu'on le dit ; le monde d'après-1989 est moins post-westphalien qu'on le croit. La souveraineté – dont on date la naissance des Traités de Westphalie de 1648 – n'a jamais été absolue. Déjà au XIXème siècle, « l'intervention d'humanité » autorisait l'intervention militaire aux fins de protection des populations. En 1945, si l'art. 2§4 de la Charte des Nations unies consacre le principe de souveraineté étatique, ce principe ne prohibe pas toute intervention militaire, toujours possible avec l'autorisation du Conseil de Sécurité sous chapitre VII. le droit international des droits de l'homme (la convention contre le génocide de 1948 par exemple) et le droit international humanitaire (la convention de Genève de 1949 et ses protocoles additionnels) imposent aux Etats des responsabilités dont la méconnaissance est, en théorie, sanctionnée. Quant au « droit d'ingérence » – contradiction dans les termes dont
Jean-Baptiste Jeangène-Vilmer a raison de souligner qu'il n'est populaire qu'en France – il ne peut être mis en oeuvre qu'avec le consentement sourcilleux des Etats.
La R2P n'en reste pas moins le produit de l'histoire récente. La chute du Mur a fait tomber les obstacles à l'interventionnisme. Les années 90 sont l'âge d'or des opérations de maintien de la paix, désormais menées sous chapitre VII, sans qu'aucun veto des grandes puissances n'ose y faire obstacle. Elles voient aussi ce multiplier les « non-interventions inhumanitaires », selon la fine expression de S. Chesterman, ces situations où la communauté internationale n'a pas réussi à se mobiliser (Rwanda, RDC, Somalie…). le temps est mûr – qu'annonce en 1996 le concept de « sécurité humaine » défendu par la diplomatie canadienne – pour un nouveau principe.
La résolution 60/1 de l'AGNU du 16 septembre 2005 ne consacre pas une mais deux R2P : celle, principale, de l'Etat qui doit protéger ses populations de quatre crimes limitativement énumérés (génocide, crimes de guerre, nettoyage ethnique et crimes contre l'humanité) et celle, subsidiaire, de la communauté internationale qui peut, sur autorisation du SGNU, se substituer à l'Etat qui manque à son obligation. Tous les mots comptent dans cette définition qui débute par une réaffirmation fort orthodoxe de la souveraineté étatique. Que vise-t-elle ? Les manquements des Etats à protéger contre quatre crimes seulement (une carence à réagir efficacement contre une catastrophe naturelle ne constituera par conséquent pas un manquement à la R2P). Qui vise-t-elle ? les populations, ce qui inclut les réfugiés résidant sur le territoire, mais ne saurait être étendu aux diasporas à l'étranger (la Russie n'est pas légitime à invoquer la R2P pour intervenir en Géorgie). Quand la protection subsidiaire peut-elle jouer ? Si et seulement si le CSNU l'autorise (ce qui exclut a posteriori de légitimer les interventions au Kosovo en 1998 ou en Iraq en 2003 par la R2P). La mise en oeuvre de cette protection subsidiaire est-elle un devoir qui pèse la communauté internationale ? Non, c'est une option pas une obligation.
Jean-Baptiste Jeangène-Vilmer consacre la fin de son court ouvrage à montrer comment la R2P a été mise en oeuvre depuis 2005. le consensus qui avait entouré son adoption ne doit pas faire illusion. La R2P inquiète tous les Etats : les plus faibles qui craignent qu'elle ne permette la violation de leur souveraineté, les plus forts qui redoutent qu'elles ne les obligent à intervenir sur des terrains où ils ne souhaitent pas être impliqués. Les BRICS sont les plus fermes opposants à la R2P et ont, sans succès pour l'instant, proposé des notions alternatives : RWP (responsibility while protecting) brésilienne, RP (protection responsable) chinoise. Son utilisation en Libye en 2011 a failli lui être fatale, les Etats lui reprochant d'avoir été dévoyée pour permettre un changement de régime.
Jean-Baptiste Jeangène-Vilmer s'inscrit en faux contre cette analyse, répondant que la résolution 1973 du CSNU ne faisait pas du renversement de Kadhafi un objectif mais l'autorisait implicitement comme moyen de protéger les civils. Qu'on le rejoigne ou pas dans cette analyse, force est de constater que le précédent libyen a laissé des traces durables, qui explique en large partie les vétos russe et chinois contre toute intervention en Syrie.