J'adore ce type de petit livre qui me fait découvrir des personnages dont j'ignorais totalement l'existence. Et là, ce fut une sacrée découverte : pensez donc, l'inventeur du livre de poche, ce format si utile pour nous autres, lecteurs infatigables, aux porte-monnaies guère extensibles, aux mètres linéaires souvent limités et aux sacs de voyage usés à force de stocker des dizaines d'ouvrage pendant les vacances. Il est américain et voulait offrir la culture au plus grand nombre. Il a fait partie de ces socialistes américains, espèce rare et pourchassée avec hargne et volonté pendant des années (il suffit de se rappeler les listes noires du cinéma, avec le départ de
Charles Chaplin, entre autres).
Mais avant ces tracas, Emanuel Haldeman-Julius a pu monter une affaire viable, aux côtés d'un journal partisan. Ainsi sont nés les « petits livres bleus ». On y trouvait aussi bien des classiques que des ouvrages engagés, des manuels de bricolage que des manuels de sexualité. Et, en cette époque puritaine, cela était fort utile. Et fort apprécié : les ventes s'envolent. D'autant que l'éditeur n'hésite pas à tordre les titres afin de les rendre plus attrayants :
Boule de suif, de Guy de
Maupassant devient Sacrifice d'une prostituée française tandis que
La toison d'or de
Théophile Gautier se transforme en À la recherche d'une maîtresse blonde. Et aussitôt, les ouvrages s'arrachent comme des petits pains ! Dans son souci d'universalisme, même s'il était parfaitement athée, il publiait également des textes religieux, voulant offrir à ses lecteurs le choix. Bel état d'esprit.
Sa maison d'édition était sise à Girard, dans le Kansas, pas vraiment une région rouge. Au contraire. Mais la ville possédait une forte population d'ouvriers venus d'Europe. Dont certains sympathisants de la cause socialiste. D'où ce choix jugé étrange au premier abord. Girard fut même considérée par la suite comme un ville permettant d'échanger des idées entre personnes aux parcours bien opposés : petits fermiers et libre-penseurs, mineurs et athées fervents.
Bien sûr, tout n'était pas parfait dans la vie d'Emanuel Haldeman-Julius. Surtout sa vie privée. Il finit par divorcer et se remarier, après de nombreuses aventures. Mais, surtout, des menaces pèsent sur
lui. Ses idées ne plaisent pas à tout le monde et le climat se tend. Il aurait été menacé. Quoiqu'il en soit, et sans qu'on ait trouvé le moindre rapport, il meurt, noyé dans sa piscine, ne laissant qu'un message incompréhensible : « Si tu veux insulter un chien, laisse-moi renifler ton cocktail. » Impressionnant, non ? de quoi étayer bien des rumeurs. Mais rien n'en est sorti.
Rolf Potts, un journaliste américain, nous offre, avec
La très mirifique et déchirante histoire de l'homme qui inventa le livre de poche une biographie partielle enlevée et utile. Les chapitres sont courts et efficaces, le style est alerte. Il multiplie les anecdotes, mais sans perdre de vue son but final : expliquer comment et pourquoi ce format d'ouvrage qu'est le livre de poche a été inventé et par qui. Hautement recommandable, donc !
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