Comment écrire, après ça ?
Comment s’acquitter de cette tâche ou, villa Beauséjour, dans l’appartement mis à ma disposition, tracer à l’intérieur de mes carnets autre chose que les phrases crayeuses, qui s’ébrèchent lorsque le temps ou l’inexpiable durée qu’elles réclament ne les étaie plus, les abandonnant à la friabilité, l’indigence d’une pensée, d’un monde, même, qu’elles drapaient autrefois, auquel elles aspiraient du moins, et comment l’assouvir,
Elle est retrouvée !
Quoi ? L’éternité.
Après tant d’échecs, tant d’itinéraires absurdes aux confins du langage, l’exigence, en soi, de ce que l’on suppose être encore la mer, le soleil, la poésie ?
Il est des lieux dont on rêve mais où, parce qu’ils règnent, se soustraient peut-être à toute intrusion, tout regard trop insistant au sein des territoires les mieux gardés de l’imaginaire, on ne se rend jamais, refusant de confronter la précieuse discrétion d’une sente, le faste d’une ville dont le nom seul n’en finit pas d’inviter au départ pourtant, Venise, Istanbul, Samarkand, ou le chuchotis d’une source qui habite nos songes à la presque toujours décevante réalité que chaque cité , chaque lagune, chaque petit paradis enfoui sous les feuillages recèle avec la niaise satisfaction des patries ordinaires.
Le ciel s’égouttait lentement, comme si l’on eût mis à sécher sur la ville une serpillière humide encore d’avoir été plongée dans un grand seau d’étoiles.
Serait-ce donc ça, la poésie, ce qui cruellement nous manque ? La frappe, et la scansion, douce, brutale, de ce défaut, ou comme aux veines des poignets le pouls sectionné de l’absence.
L’art s’inscrit toujours en excès.
Excès de sens, d’effroi comme de quiétude, excès de givre, de neige et de lucidité