EL LABERINTO MAGICO, tomo 3: CAMPO DE SANGRE
Campo de sangre, champ de sang, le troisieme volume du cycle le labyrinthe magique, reste d'une lecture ardue, bien que moins que les deux premiers. Il a ete ecrit entre 1940 et 1942, quand
Max Aub est interne dans divers camps de concentration, en France et en Algerie.
Le livre couvre une courte periode de temps, du 31 decembre 1937 au 19 mars 1938. Deux lieux: Barcelone et Teruel. La Barcelone decrite est oppressive, bombardee a loisir, pleine d'espions, de delateurs, de gens jouant double jeu, alors que la population, affamee (le marche noir est omnipresent, poussant hommes et femmes a se vendre – dans tous les sens du mot – pour subsister) commence a pressentir que la defaite republicaine est inevitable. A Teruel nous sommes en plein milieu de cette terrible bataille qui couta des dizaines de milliers de vies. Pour l'honneur plus que pour autre chose. Et qui decida de l'encerclement – du siege en fait – de la Catalogne et de sa capitale Barcelone.
Cinq amis se retrouvent a Barcelone au gre des chapitres. Leurs histoires se croisent, s'entrecoupent et se rejoignent. Cinq idealistes, chacun a sa maniere. Un magistrat qui veut continuer a croire et a oeuvrer dans le droit; un capitaine de l'armee, autodidacte et communiste; un auteur de pieces de theatre non ou mal representees qui aide a l'evacuation des tresors du musee du Prado (le siege de Madrid etant stabilise, si l'on peut dire); un poete qui abandonne une chaire de literature pour s'enroler au front; un medecin, bon vivant, pour qui l'aide a d'anciens amis, quel que soit leur camp, vaut plus que le sauvetage de sa propre peau. Deux d'entre eux combattront a Teruel, un y mourra.
Le niveau culturel de ces amis permet a l'auteur de developper – sous couvert de dialogues - des digressions politiques, litteraires, scientifiques, juridiques et sociales, qui font de Campo de sangre un roman-essai. Je crois avoir deja dit dans mes critiques des precedents volumes que c'est une des faiblesses romanesques de l'auteur. Mais c'est peut-etre ce qui fait la force du livre, et de tout le cycle. La guerre civile est presentee surtout comme une guerre d'idees. D'idees portees par des hommes qui sont prets a se sacrifier pour elles. Une fois le conflit declenche, ces idees deviennent l'ultime honneur de ces hommes, l'aboutissement de leur auto-estime. Cela explique – selon un des protagonistes du roman - pourquoi, dans une situation ou toute armee reguliere se serait rendue, des bandes de volontaires mal prepares et mal armes tiennent.
Ce livre est donc pour moi une reflexion sur l'homme/femme face a la guerre, face au poids des idees, face au poids du passé vecu et de l'avenir reve, face au destin. Une oeuvre de fiction ou la construction des caracteres s'appuie sur un savoir social-historique reel. Aub reflechit sur ce qu'il a vu, sur ce qu'il a vecu. Il donne la parole – par ses personnages – a des personnes reelles qu'il a cotoye. Il leur rend hommage, a travers la multiplicite des points de vue et quelques legers monologues interieurs. Un hommage a la memoire des vaincus. Plus tard il dira, parlant des franquistes vainqueurs: "Alla ellos, suyos el olvido y el reino de la mentira" (en traduction non-litterale: Grand bien leur fasse, ils ont l'oubli et le royaume du mensonge).
Le livre finit en une image d'apotheose: deux des amis, appuyes contre un recoin de mur, observant (contemplant?) le spectacle tragique d'une pluie de bombes, alors que le metro de Barcelone s'est converti en dernier refuge d'une immense foule.
Et moi j'ai fini le livre sans que le livre finisse en moi. Sa lecture m'a pris plus de temps qu'escompte. La redaction de ce billet aussi. Je sens qu'il est un peu "lourd". Mais pouvais-je resumer ce livre par un "j'ai aime/moyennement/a la folie/ pas du tout"? Et m'attirer le dedain d'Aub, qui aurait persifle: "Alla el…"?