Expliquons d'abord en quelques mots pourquoi nous nous trouvons sur un terrain glissant. Pendant l'entre-deux-guerres, la Roumanie était caractérisée par son instabilité politique et le fractionnement de l'opinion entre de nombreux petits partis. Elle connut alors la dictature royale, le régime légionnaire (à tendance fasciste et antisémite), puis la dictature communiste. Difficile dans ces conditions d'exprimer une position politique pertinente.
Certains membres de "l'élite intellectuelle" n'ont à ma connaissance pas ou guère pris parti (
Gib I. Mihaescu,
Ion Minulescu ou
Anton Holban). Ce ne sont pas ceux qui intéressent
Lucian Boia, mais ceux qui se sont compromis, par exemple
Ion Barbu qui se déclare "antisémite" au moment de l'arrivée au pouvoir des légionnaires ou
Camil Petrescu, qui traverse avec aisance les changements. La documentation réunie est importante et certains documents sont saisissants (celui sur
Ion Barbu, entre autres). Quelques réserves néanmoins : je n'aime pas trop l'expression "élite intellectuelle". On voit assez bien qui sont les élites d'un pays (hommes politiques influents, personnes très riches et/ou très célèbres pour simplifier, plus quelques hauts fonctionnaires, et encore). Mais en matière intellectuelle : on n'a pas mesuré le Q.I. des personnes considérées (donnée qui n'est d'ailleurs pas toujours pertinente) et, entre deux personnages cités, comme
Tudor Arghezi ou
Max Blecher, il y a des différences colossales du point de vue de la reconnaissance y compris intellectuelle, de la position sociale, etc. L'élite intellectuelle est donc très difficile à définir, à supposer qu'elle existe, ce que j'aurais tendance à nier.
Ensuite, malgré les efforts pour "rééquilibrer la vision du destin de ces hommes", il y a tant d'énumérations qu'inévitablement, on aurait tendance à mettre tout le monde dans un même sac et que le ton de l'historien se rapproche rapidement de celui du procureur.