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EAN : 9782073049421
Gallimard (11/04/2024)
4.09/5   224 notes
Résumé :
"Je marchais à pas lents de bout en bout dans la Maison, et la traîne de fourrure me suivait comme un lourd serpent louvoyant. Bêtes fauves, bois de camphre, pin qui brûle et pain qui fume, j'emplissais la Maison de chaleur et de lumières. J'en étais la force vitale, l'organe palpitant dans un thorax de charpentes et de pignons."

Hantée par un âge d'or familial, une femme décide de passer toute son existence dans la grande maison de son enfance, autre... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (91) Voir plus Ajouter une critique
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Splendide ! Immense coup de coeur et en même temps coup d'cafard. J'ai rarement lu un premier roman aussi beau. Il me hante encore autant que cette Maison d'enfance, personnage central du roman, hante la narratrice. « il est des lieux qui vous harponnent. Qui enroulent leurs mailles autour de vos songes, qui ajustent leurs griffes, juste assez pour vous laisser grandir, mais avec dans votre chair la meurtrissure de leur emprise. Il est des portes dont le bruit quand on les pousse est comme un cri du temps qui brise encore l'oubli. Il est des escaliers dont on aimerait tant gravir à nouveau les marches, juste une fois, en laissant couler dans sa paume le poli froid de la rampe». Ce récit poétique et mélancolique m'a bouleversée. Des passages vous nouent la gorge et en même temps une féérie se dégage de ce récit difficile à expliquer tant il touche à l'intime, à l'originel. La Maison si familière était une matrice protectrice où Isadora la narratrice coulait en famille des jours heureux et insouciants. Aujourd'hui vieille et désillusionnée elle se souvient. Contraindre par l'âge d'abandonner la Maison à laquelle elle est viscéralement attachée et a tout sacrifié. Navigant entre désillusion et amertume, de sa mémoire tristement imparfaite rejaillissent comme par fondus enchaînés les images de la Maison délabrée, vidée, superposées à celles flamboyantes, grouillantes de vie du passé, clichés couleur sépia d'un monde qui n'est plus et que seule la mémoire et quelques photos ressuscitent. Entre nostalgie de sa jeunesse et détestation de sa vieillesse elle empreinte le flot du temps à contre-courant pour déjouer l'oubli convoquant ses souvenirs de façon forcenée avec le désir brûlant de tout revivre, livrant ce qu'elle y a vécu, ce qu'elle y a laissé. Marquée par un deuil impossible, « s'accrochant à ses ombres » elle invoque la présence des morts avec grâce et émotion.
Perrine Tripier prend par la main notre enfant intérieur et l'emporte avec elle vers un passé tourbillonnant de rires, d'odeurs, de cavalcades en pleine nature, de cabanes et malle à jouets au milieu de sa fratrie, des cousins, des parents, dans la Maisonnée d'enfance Sur la fin seule gardienne du temple familial, éloignée des siens, elle erre dans les couloirs froids telle peau d'âne recluse dans sa masure « Je marchais à pas lents de bout en bout dans la Maison, et la traîne de fourrure me suivait comme un lourd serpent louvoyant. Bêtes fauves, bois de camphre, pin qui brûle et pain qui fume, j'emplissais la Maison de chaleur et de lumières. J'en étais la force vitale, l'organe palpitant dans un thorax de charpentes et de pignons. » le récit descriptif mais aussi métaphorique des étés animés puis des hivers solitaires dans son « palais de glace » est d'une beauté inouïe.
Merci à Perrine Tripier avec ses mots enchanteurs de m'avoir fait du mal, de m'avoir du bien. Splendide je vous dis.
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Quand un livre vous harponne l'âme…Coup de coeur !

Ce premier roman d'une jeune auteure de 24 ans, Perrine Tripier, me rappelle ces romans du terroir à l'écriture ciselée, ceux de Pierre Bergounioux notamment, ces romans qui magnifient la nature en en soulignant toute la sensorialité, ceux de Jean Giono par exemple, ces romans à la fois naturalistes et réalistes, ceux de Colette entre autres. Une prose poétique, une figure de femme singulière à la fois indépendante et fragile, une maison personnage à part entière du livre, tels sont les ingrédients de ce roman à l'ambiance surannée et bucolique.
C'est un véritable coup de coeur, une vraie claque quand on pense à l'âge de l'auteure, je suis sincèrement impressionnée…Chaque page chante et est remplie de mille et une sensations, le phrasé est exquis, frais, splendide, équilibré, jamais lourd. de la dentelle, voilà ce que nous offre cette très jeune auteure vraiment prometteuse !

Les guerres précieuses sont ces efforts salvateurs, ces combats quotidiens, visant à garder intactes nos racines. Elles sont constituées des souvenirs à raviver et partager, des liens avec la nature et les saisons à entretenir, et éventuellement de la maison d'enfance à sauvegarder de la décrépitude et de l'oubli. Ces guerres précieuses sont-elles vaines, le temps de l'enfance étant une parenthèse, un temps suspendu qu'on ne retrouvera plus ? N'est-ce pas devenir adulte de non pas couper mais prendre de la distance un tant soit peu avec nos racines ? La guerre menée par Isadora dans ce livre m'a bouleversée… Que reste-t-il des printemps, des étés, des automnes et des hivers de l'enfance ? La guerre précieuse n'est-elle pas guerre dangereuse ?

« Je me souviens d'avoir désiré que le bleu du ciel imprègne tant mes iris qu'ils en deviendraient tout azurés, tout lumineux de soleil, et je m'aveuglais en vain, noyant désespérément mes pupilles d'éther incandescent ».

Hantée par son enfance et la vie familiale avec ses deux soeurs et son frère, cette femme, Isadora, décide de passer toute son existence dans la grande maison dans laquelle elle a grandi. Un lieu qui la harponne. Alors qu'elle est désormais très âgée, se « laissant patiner par le temps exactement comme la rampe de l'escalier en colimaçon », et contrainte de finir ses jours dans une maison de retraite, elle nous entraine dans ses souvenirs au gré des saisons, au gré des années, chapelet dont elle égrène les boules irisées d'une main tremblante. Chaque souvenir convoqué est une aquarelle aux tonalités sépia dont elle nous fait sentir avec émotion les aplats de couleur, la tessiture des sons, la granularité des odeurs, avec une forme de sensualité, ou plutôt une certaine animalité, donnant à voir des tableaux totalement envoutants, immersifs, qui convoquent, enfoui en chacun de nous, notre propre vécu.

« Nous laissions les journées s'écouler comme un filet de lumière liquide. C'était le temps précieux des heures élastiques, des matinées évanescentes, des après-midi infinies ».

Lorsque IIsadora nous prend par la main pour nous entrainer dans son enfance, j'ai éprouvé immédiatement une certaine fascination. C'est une enfance rêvée, en tout cas qui représente pour moi un idéal, celui dont je rêvais moi-même enfant, je me souviens. Une enfance faite de connivence avec la fratrie et les cousins, de liberté dans un domaine enchanté, de rires et de secrets murmurés, de cavalcades dans les couloirs, d'échappées dans les bois, de cabanes dans les arbres, d'histoires racontées dans le grenier, de malles à jouets remplies. Une enfance de rêve dans une maison, la Maison de l'enfance, qui l'est tout autant : Une Maison imposante, haute, aux planches de bois blanc, blottie entre de grands sapins bleus et des érables. Une Maison « avec les colonnes de bois sculpté encadrant la porte d'entrée, glacée d'un vernis chaud de caramel solide, et le vitrail de fleurs entrelacées qui laisse filtrer, quand le soleil brillait au travers, des éclats de couleur dans le hall. Peint d'immenses treillis de feuillage tropical, le hall luisait d'un doux bleu. Là s'élançait l'escalier en colimaçon, dans un tourbillon de bois cuivré ». La Maison familiale fantasmée. Immense, avec une forêt, un potager, un étang entre les joncs et des libellules pleins les nénuphars.

Isadora va tout sacrifier pour rester dans cette Maison, elle va même refuser une demande en mariage, et deviendra petit à petit la seule gardienne de ce temple familial et des souvenirs d'enfance, seule et isolée dans cette maison qui, malgré sa présence, va devenir une masure glaciale et décrépie, un peu à son image il faut dire, les deux semblent se fondre progressivement l'une dans l'autre.

Rarement un premier roman m'aura autant émerveillée, m'aura autant réjouie mais aussi autant fait mal.
Chapeau bas Perrine Tripier pour cet enchantement qui a le don de convoquer l'enfance rêvée mais aussi l'angoisse de la solitude et de la vieillesse en chacun de nous !

Un immense merci à @Afleurdelivres à qui je dois, décidément ces temps-ci, un certain nombre de mes lectures…


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« Il est des lieux qui vous harponnent. Qui enroulent leurs mailles autour de vos songes, qui ajustent leurs griffes, juste assez pour vous laisser grandir, mais avec dans votre chair la meurtrissure de leur emprise. » Alors qu'elle a dû se résoudre à quitter sa chère Maison pour un hospice, une vieille dame ne cesse d'y retourner en pensée, hantée par ses souvenirs qu'elle feuillette par saisons, comme les pages d'un album de famille enfermant tristement années enfuies et êtres chers disparus.


Cette Maison avec une majuscule, baignée de la saumure de la nostalgie, est, avec son grand jardin, son petit bois et son étang où se réverbèrent encore les rires des enfants heureux de s'y retrouver chaque été, lorsque la famille toute entière s'y réunissait pour les vacances, la réincarnation littéraire de celle que les grands-parents de l'auteur ont vendue, à la si grande tristesse de cette dernière qu'elle l'a étirée jusqu'à en faire une fiction. Elle est toute la vie d'Isadora, qui, après y avoir grandi dans un bonheur ponctué de chaque tohu-bohu estival, ne l'a jamais quittée, refusant même de se marier pour ne pas partir et pour devenir à son tour la prêtresse des lieux, la fillette cédant bientôt la place à une vieille fille percluse de solitude, à jamais dévorée par l'impossible désir de retenir les jours heureux.


« J'ai assez aimé la Maison pour ne rien souhaiter d'autre, dans toute mon existence, que d'y demeurer, blottie, au creux des choses familières. » A cet attachement pour le lieu, point fixe d'une succession de tableaux saisonniers dont les plus infimes détails sensoriels, entre odeur du soleil et de fleurs déjà trop mûres, bruissement de feuilles mortes soulevées par le vent, froid éblouissant de neige bientôt sale, paillettes de lumière sur une moisson de corolles printanières, restent tellement prégnants dans la mémoire de la narratrice qu'ils parviennent encore, entre deux cruels retours à l'insupportable réalité présente, à effacer les murs de sa triste chambre médicalisée, se superpose une incapacité quasi névrotique à se détacher du passé et à faire face, autrefois à la vie, aujourd'hui à la mort. Comme une vieille cassette inlassablement rembobinée jusqu'à l'usure, la vie d'Isadora s'est répétée chaque année à l'identique, chaque cycle de saisons buttant éternellement sur le même anniversaire, celui de l'accident qui lui a ravi sa jeune soeur Harriet.


« Rester, c'était ma façon de résister à l'effacement, à l'oubli. » Et même lorsque contrainte par le grand âge, alors qu'approche l'heure de l'apaisement définitif, la vieille dame ne peut encore se résoudre à rendre les armes : « Je désirais laisser pourrir la Maison. La laisser se démantibuler, s'effondrer sur elle-même, comme un cheval éreinté qui plie sur ses jambes, l'écume aux flancs. Je voulais qu'elle meure de mon départ, et qu'elle m'attende pour que je vienne la hanter, avec tous les autres fantômes de ma famille, quand je serais morte. »


A seulement vingt-quatre ans, Perrine Tripier signe un premier roman éblouissant, sur le temps qui passe et nous efface. Sublimé par la finesse et la beauté de son écriture, son texte minutieusement ciselé exhale une nostalgie si épaisse qu'elle vous prend à la gorge et vous accompagne longtemps après son excipit. Coup de coeur.

Lien : https://leslecturesdecanneti..
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Je suis impressionnée par la maitrise et la maturité de cette jeune autrice de 24 ans dans ce premier roman.

Isadora, maintenant vieille femme, revient sur sa vie, intimement mêlée à celle de la Maison, avec un M majuscule. La Maison est certainement le deuxième personnage le plus important du roman. Isadora a passé toute sa vie à la Maison, sauf ses derniers mois, où la vieillesse, la sienne et celle de la Maison ont eu raison de son désir d'y mourir. Reléguée dans un hospice, elle revit sa vie, et nous la raconte par l'évocation des quatre saisons.

L'été symbolise la jeunesse, les enfants, la réunion de la famille, le temps chaud, les cavalcades, les cabanes dans les arbres
L'automne est la saison des rentrées scolaires et de l'adolescence et la première jeunesse Isadora y revient sur celles qui l'ont éloignée de la Maison. Interne dans la semaine, elle a l'impression de manquer les évènements importants. D'une semaine à l'autre, des changements jadis imperceptibles se produisent, et elle souffre de ne plus les vivre.
L'hiver c'est le froid, la neige, le plaisir de la luge enfants, mais aussi la recherche de compagnie dans la maturité quand Isadora reste seule à la Maison. C'est aussi la saison de la mort.
Le printemps, c'est le renouveau, les fleurs, mais aussi paradoxalement la saison de la rupture de la séparation avec cette Maison tant aimée, préférée à tous les humains.

Un roman original qui célèbre l'attachement aux lieux de l'enfance, aux souvenirs de celle-ci, qui est une ode à la nature dans toutes les saisons, mais aussi qui décortique avec beaucoup de finesse les liens familiaux, qui raconte la solitude et la vieillesse, la décrépitude. N'aura-t-elle pas fini par perdre cette guerre, cette femme seule, condamnée à finir ses jours loin de ses racines?

Et, le plus important, ce qui fait que ce livre fut un bonheur de lecture de bout en bout, une écriture merveilleuse, féérique, qui déroule pour nous ses mots enchanteurs, qui nous berce de sensations multiples.

Une autrice dont j'attendrai avec curiosité le deuxième roman.
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Est-ce l'histoire d'une maison ou l'histoire d'Isadora ? A moins que… et très probablement, la maison soit le personnage principal et Isadora est son âme. Isadora pourrait être aveugle, aucune importance, de ce refuge, elle connaît le moindre recoin, la plus petite tuile, tout craquement lui est familier, tout dommage devient blessure. Et pourtant Isadora a dû quitter ce havre paix pour la maison de retraite, et Isadora se rappelle et nous livre un récit emprunt de nostalgie mais si plein de vie.

On y goûte saison après saison, la joie des retrouvailles entre cousins, les aventures sylvestres d'une poignée de gamins, les repas en famille où il fait bon se retrouver, les mystères du grenier, les rivalités, les peines, les éclats de rire et telle, la première gorgée de bière, les petits plaisirs : le chocolat chaud du papa, dégusté à la mauvaise saison, celui qui réchauffe le corps et le coeur, les glissades dans les neiges d'hiver, la petite fleur qui naît sous le timide soleil du printemps.

Cette maison, Isadora l'a chérie au point de tourner le dos aux amants, de fuir les animations qui attirent d'ordinaire tant les jeunes filles pour choisir la solitude, pour rester maître d'elle-même et de son milieu de vie, pour se livrer à son autre passion : la lecture au coin de la fenêtre.

Ce roman est une petite pépite, un bonbon que l'on suce avec parcimonie, que l'on voudrait faire durer. En racontant sa nostalgie des temps anciens sans dissimuler les émotions d'Isadora, saison après saison, l'autrice réveille en nous d'agréables souvenirs, on se laisse bercer par son écriture ciselée, on se trouve comblé par tant de poésie.

Au moment ou j'écris ces lignes, mon être frissonne de plaisir et mon âme est en éveil.

Ne passez pas à côté de ce bijou littéraire, un livre que l'on se doit de garder sur sa table de chevet pour, de temps en temps, se faire plaisir en lisant un passage.
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critiques presse (5)
SudOuestPresse
26 juin 2023
Perrine Tripier publie chez Gallimard « Les Guerres précieuses », un premier roman qui dresse le tableau d’une maison familiale à travers la vie de sa propriétaire.
Lire la critique sur le site : SudOuestPresse
Actualitte
21 mars 2023
Perrine Tripier offre un texte ravissant. Tout en poésie, en nostalgie, ce roman est un délicat délice de littérature. Les guerres précieuses, c’est tout d’abord une prose révoltante par son élégance. C’est riche, doux et précis. C’est surtout d’une justesse déstabilisante, surtout en apprenant que l’autrice n’a encore que la vingtaine.
Lire la critique sur le site : Actualitte
Bibliobs
23 janvier 2023
Cette maison dont elle a fait siens les moindres détails comme autant de boucliers contre le temps qui passe et détruit tout, a conservé l’empreinte des joies intenses et des pertes irréparables. Celle des fabuleux étés d’enfance avec la famille élargie des oncles, tantes et cousins et le chagrin inconsolable de la disparition d’Harriett, cette petite sœur dont le fantôme la hante.
Lire la critique sur le site : Bibliobs
LeFigaro
19 janvier 2023
De quoi la nostalgie de l'enfance et l'amour des vieilles maisons sont-ils le signe? Le roman, qui baigne dans une atmosphère sacrée, tourne autour de cette énigme.
Lire la critique sur le site : LeFigaro
LeMonde
16 janvier 2023
A tout juste 24 ans, la jeune écrivaine s’impose, avec Les Guerres précieuses, comme une plume délicatement mélancolique et ­assurément ­talentueuse.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Citations et extraits (124) Voir plus Ajouter une citation
Je veux revoir la haute Maison aux planches de bois blanc qui surgissait, quand on rentrait du jardin, blottie entre les grands sapins bleus et les érables, avec l'herbe qui se brisait en gerbes émeraude sur la volée de marches du perron. Revoir la façade aux fenêtres étroites, avec la véranda qui dépassait sur la gauche, le toit pointu et haut hérissé par les conduits de cheminées et les pignons d'un blanc immaculé, avec l'oeil-de-boeuf du grenier, perché comme l'oeil rond et doré d'un géant rassurant, tout ourlé de bois ouvragé. Je veux revoir les étranges toits aigus qui coiffaient les bow-windows, et qui, en hiver, se frangeaient de stalactites. Je veux revoir les fenêtres qui étincelaient dans l'air frais, caressées par les branches des arbres trop proches de la Maison, lorsqu'une légère brise soufflait. Je veux revoir la grande Maison, avec les colonnes de bois sculpté encadrant la porte d'entrée, glacée d'un vernis chaud de caramel solide, et le vitrail de fleurs entrelacées qui laissait filtrer, quand le soleil brillait au travers, des éclats de couleur dans le hall. Peint d'immenses treillis de feuillage tropical, le hall luisait d'un doux bleu. Là s'élançait l'escalier en colimaçon, dans un tourbillon de bois cuivré.
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Nous savions tous que Bertie avait un problème, mais cela faisait partie du personnage, le bon vivant, le trublion, le grand dévoreur de chair. Nous le laissions tranquille, sans doute à tort, n'est-ce pas, les ogres ne font jamais de vieux os, ils font bien rire tout le monde aux repas de famille et puis ils disparaissent, et personne n'est surpris, mais le rire manque cruellement.
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Que des gamins courent là où nous avions couru, qu'ils pillent le bois mort de nos anciennes cabanes pour en bâtir de nouvelles, qu'ils se croient les rois comme nous-mêmes avant eux, cela m'était insupportable. Ils ne savaient rien du bonheur incandescent que nous tous, Harriet, Louisa, Klaus, Aleksander, Amelia, Magda et moi, avions connu dans le bleu des sapins frais, sur la pelouse d'or où dansent les papillons malhabiles, sous le faisceau tremblant d'une lampe torche calée entre deux malles du grenier, pendant nos veillées d'été. Le bruit des grillons crevant nos cache-cache, cœur battant dans la chaleur sèche, braise de peur au fond du ventre, rebondi d'avoir bien mangé à midi. La sieste dans les chambres blanches maillées de lumière douce. La fatigue de nos jambes dorées, les cheveux fous dans la nuque, la petite main de Harriett dans la mienne. Ils ne sauraient jamais, ces enfants importuns, combien nous étions heureux, et combien leur joie me brisait le cœur, faisait renaître nos jeux inaccessibles. Comme un vieux livre dont l'encre s'abîme avec les âges, je n'arrivais déjà plus à relire nos enfances quand je regardais le jardin, presque inchangé, s’étaler dans la poussière brûlante des jours d'août. On m'a volé ma forêt, et ma Maison aux façades de bois blanc toujours à repeindre. On m'a volé mes étés d'enfant, les seuls qui valent la peine d'être vécus.
(p77-78)
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J'ouvrais parfois son coffre à jouets, et je regardais, lentement, tout ce qui avait mené à la formation de son cerveau. Ses petites tocades et ses grandes passions, les bocaux à insectes ou subsistaient quelques brins d'herbe desséchés, les figurines en bois, les rubans tressés aux couleurs affadies, les talismans en châtaignes et les cahiers où s'étalaient minutieusement des croquis de scarabées rares. Il y avait, sous son lit, coincée dans la plinthe, une chaussette qu'elle avait perdue enfant. Je l'ai laissée là. On passe l'aspirateur autour, mais son petit pied dépareillé demeure sous le matelas vide. Elle y est encore, cette chaussette, au premier étage de la Maison ouverte au grand vent, rongée de vigne vierge, la façade affaissée de bois pourri, sans doute. Si j'y retournais, là, poussais la porte d'entrée, grimpais, péniblement, l'escalier en colimaçon en prenant garde aux deux marches effondrées, remontais le corridor au vitrail cassé, couvert de feuilles mortes, dans la lumière usée des murs craquelés, et entrais dans notre petite chambre, nos deux lits seraient encore collés contre la paroi, et la petite chaussette de Harriett encore coincée dans la plinthe. Je m'assiérais sur son lit, et elle s'assiérait à côté de moi, légère comme une aube, et je sentirais juste son sourire invisible danser contre mon épaule. J'écouterais le vent des arbres d'été siffler à travers le carreau cassé, rouler dans le corridor en faisant glisser les feuilles dans les coins. Harriet me dirait que c'est l'heure d'aller jouer, et son pas dans le mien me mènerait au bois, moi avec ma canne, elle perchée dans les cimes, riant de me voir si vieille.
Nous aurions dû vieillir ensemble dans la Maison, Harriett, et mourir chacune dans notre lit, gisants de marbre dans le tombeau plein de clarté de notre chambre.
Promis, j'aurais gardé ta petite main dans la mienne.
(p.99-100)
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La fin de l'été. La fin des yeux plissés tout éblouis de jaune. La fin du verre d'eau qu'on file remplir à la cuisine, en plein milieu d'un jeu, parce qu'on a avalé trop de vent en courant, et qu'il fait soif. La fin des framboises picorées au creux de la main, des grains nichés dans la molaire. La fin des heures liquides et lumineuses, de l'immortalité auguste des jours de vacances, la fin des aiguilles de sapin qui se coincent entre les orteils humides.
Le deuil d'un monde, à chaque premier septembre.
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