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EAN : 9782382846056
256 pages
Editions des Equateurs (30/08/2023)
3.62/5   34 notes
Résumé :
Un premier roman frontal, violent et passionné, une ode à la sauvagerie retrouvée « L'intensité est la seule excuse de cette vie éphémère. » Cioran Découper les courgettes en lamelles, préparer le poulet du dimanche, jouer patiemment avec son fils, réunir famille, amis et voisins à chaque anniversaire, sourire, « oui, merci, tout va bien » : cette vie-là, Claire n'en peut plus, n'en veut plus. Elle, la petite fille autrefois si docile, la jeune femme bien comme il f... >Voir plus
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Claire ne supporte plus la routine qu'est devenue sa vie de mère, d'épouse, d'avocate.
« Elle sait que ce n'est pas ça qui lui vrille les tripes, ce pourquoi ses dents ont grincé toute la nuit, au réveil, la mâchoire à débloquer. Parfois, son propre bruit la réveille, le vacarme que ça fait de frotter ce qui ne doit pas l'être. »

Que fait-on lorsque le quotidien ne suffit plus et devient insupportable ? Quand on veut que chaque journée s'enflamme dans de l'intensité ?

« J'imagine la vie comme une faille que l'on tente de remplir. Comme si nous n'étions qu'un vide à combler. On empile les espoirs. On cumule les regrets. On superpose les couches. Et quand on approche le point exact de remplissage, celui duquel on pourrait comme le funambule se redresser et admirer, on continue. Ça dégueule. Quelques gouttes ou des seaux entiers. Ça bouffe les chairs, par l'acide que ça sécrète, de vivre. »

Au sol raconte une bascule vers la folie : son avant quand ça dérape mais ne chute pas, la déflagration liée à une oeuvre de Jackson Pollock, puis l'après, forcément incontrôlable. C'est rare un premier roman qui ne cherche pas être - ne serait-ce qu'un tout petit peu – aimable. Celui-ci ne l'est jamais, jamais. le lecteur est en permanence dans l'inconfort face à l'impudeur revendiquée de Claire :« Si on m'ouvrait, la tête, le coeur, les tripes, on verrait cette toile. Ne cherchez pas ailleurs. Il n'y a pas d'autre vérité. Dépecez-moi et vous verrez. »

J'ai été complètement happée jusqu'à la moitié du roman, complètement dedans, à fond dans les pensées et la révoltede Claire. Puis, lorsque son obsession pour Pollock envahit sa vie et dévore le récit, j'ai décroché, mon regard désormais plus en surplomb. Je l'ai regretté, mais incontestablement, cette lecture marque et mord, et j'aime lorsque la littérature dérange ou impose une héroïne dure qui devient de moins à moins accessible. C'est brutal, en parallèle avec une réflexion sur l'Art et la folie, reliés par un fil ténu qui peut exploser une vie à tout moment.

Charlotte Milandri semble s'être autorisée à écrire, à écrire sans filtre, sans frein, sans souci de ce qu'on pensera d'elle, de ce qu'on projettera d'elle tant on sent que Claire s'est beaucoup elle. Et on ressent l'urgence d'écrire pour dire cette révolte radicale contre la petitesse, le conformisme, l'inaction, la soumission à l'ordinaire, l'accoutumance au confort. Comme si écrire était le dernier recoin de sauvagerie.

La plume, sèche et presque syncopée, est tout aussi jusqu'au boutiste que le propos, phrases courtes et nerveuses, traversée par une colère indomptable et une énergie fracassante qui soufflent, essoufflent aussi, mais toujours palpitent.

« Je veux l'intranquille, le sombre qui se dit, la nuit qui recouvre tout. J'ai eu le courage de mes orages. Je suis. Et vous demeurez. Je danse. Et vous ancrez. Je grandis. Et vous rapetissez.
Ce n'est pas de la folie qu'il faut se méfier, c'est de vous.
De votre soumission à l'ordinaire et de votre accoutumance au confort.
Lapidez-moi.
Ce sont les dangereuses, les libres, les qui aiment quand même qu'on lapide. »

Lu dans le cadre de la sélection 2024 des 68 Premières fois #2
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La vie avec Jackson Pollock

Charlotte Milandri fait ses débuts – réussis – de romancière. En imaginant une avocate au bout du rouleau, elle construit aussi un hymne à la création et souligne la force de l'art, capable de sublimer toute vie. Alors l'ordinaire cède la place à l'extraordinaire.

Les apparences sont trompeuses. À regarder le CV de Claire, on découvre tous les ingrédients d'une vie réussie. de brillantes études l'ont mené à une carrière d'avocate. Elle a épousé Julien, a mis au monde leur fils Paul qu'elle aime profondément. Leurs familles respectives sont sans histoire, ou presque. Seulement voilà, derrière le vernis, l'histoire est tout autre. Claire a tenu son ménage à bout de bras. Elle a expérimenté jusqu'à satiété la double charge de travail, executive woman et mère. Sans oublier son rôle d'épouse accomplie. Fatigue et lassitude rythment désormais ses journées, contrairement à son mari qui a conservé toute son énergie. «Elle a cru qu'elle y arriverait, qu'à vivre, dormir, manger, coucher avec lui tous les jours, ça infuserait en elle la capacité à vivre de Julien, (...) Elle pensait que ça suffirait, qu'elle deviendrait normale.» En vain.
On appellera ça une dépression faute de mieux. Plus d'envie, plus de désir. Une vie entre parenthèses qui va mal finir. Claire rêve de renverser la table, mais sombre dans un trou noir qui va la conduire en asile. Dans un monde où elle se sent protégée. «Je veux, comme ces gens qui ne sont pas normaux, ne plus me contenter, ne plus voir vos gueules fatiguées tous les jours, il faut déjà que je supporte la mienne.»
Au bout du tunnel, c'est un souvenir d'enfance qui va faire apparaître la lumière. Cette forte émotion ressentie devant un tableau lors d'une sortie scolaire. Et cette même émotion des années plus tard au MoMa à New York, cette conscience que l'oeuvre de Jackson Pollock face à laquelle elle se trouve – Number 7 – est bien davantage que de l'art. «Ravage de noir, de blanc, de brun. Les formes hypnotiques, les contours déchirés. Les couches de peinture, les paquets par endroits, le relief. On voudrait toucher. Passer la main et comme sur un mur crépi que l'on n'a pas lissé, jouer avec le risque d'éraflure. Miettes de cerveau contre miettes de peinture.» Une sortie à Beaubourg lui permettra-t-elle de trouver un nouvel élan?
Oui, les apparences sont trompeuses. J'ai rencontré Charlotte Milandri après avoir intégré l'association des 68 premières fois qu'elle a créé, puis dirigé de longues années avec passion. J'ai admiré sa folle énergie, ses belles initiatives comme celle pour laquelle elle s'est beaucoup battue, faire rentrer la littérature et les auteurs dans les prisons. Et à chaque fois, je me fais une fête de la retrouver à l'occasion d'une soirée parisienne qui rassemble les lectrices et lecteurs avec les romancières et les romanciers pour des échanges formidablement enrichissants.
Quand elle a annoncé l'an passé qu'elle passait la main, j'ai compris que c'était pour vivre une nouvelle aventure. Je l'ai imaginée éditrice, elle qui a tant lu et qui a tant échangé avec les créateurs. Si elle a bien emprunté cette voie, elle a aussi choisi d'écrire. Mais là où je m'attendais à une ode à la littérature, je trouve bien davantage de l'art-thérapie. Un livre passionné, qui va davantage explorer les zones d'ombre, celles d'une femme blessée qui collectionne les tubes de peinture en attendant le jour où...
Petit message personnel en guise de conclusion: très chère Charlotte, toi qui as si bien su défendre les premiers romans, je peux te garantir que celui que tu nous offres ici mérite amplement sa place dans la sélection des 68 premières fois !


Lien : https://collectiondelivres.w..
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Voici une lecture que je n'oublierai pas de sitôt que ce soit par son thème ou par les références au peintre américain de l'expressionnisme abstrait Jackson pollock.

Claire, avocate brillante et jeune mère de famille est depuis des années dans l'engrenage d'un quotidien qui pèse sur ses épaules jusqu'à ce que la fine corde qui la retenait ne cède...

Premier roman de Charlotte Milandri que j'avais rencontré dans le cadre de l'association des 68 premières fois mettant notamment en lumière des premier et second romans d'auteurs francophones, l'ancienne fondatrice de cette association nous propose ici un texte fort qui ne peut laisser indifférent. En lisant cet ouvrage, j'ai ressenti de nombreuses sensations ambivalentes. J'ai trouvé ce texte assez dérangeant et déstabilisant, car, il m'a renvoyé à de nombreux sentiments connus notamment avant que je ne sombre dans un burn-out il y a plusieurs mois. Je me suis donc très facilement identifiée à Claire et pourtant, j'ai ressenti une distance avec cette jeune femme qui a su ériger un gouffre avec le reste du monde qu'elle a su créer par sa contemplation et sa fascination du peintre Jackson Pollock.
Même si j'ai eu parfois du mal à suivre les idées de cette mère de famille, j'ai eu la sensation d'être absorbée avec elle dans les abîmes de la folie...

Je tiens à féliciter Charlotte Milandri qui, par son travail d'écriture a été capable de me faire ressentir autant de choses, sensation qui ne m'arrive que lorsque je lis de la littérature blanche...
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Les faits ont gangréné les idées. Ils sont là, présents dans les petits riens de la vie, acides, ils piquent au quotidien, sans trêve sous l'illusion d'un monde normal. Claire compose laissant en elle ce qui se tait, elle ravale et sourit. En surface. Juste en surface. Au fond, les souvenirs la rongent : des mains, le gymnase et une adulte insoupçonnable. Les traces s'infiltrent.
Enfance souillée, prisonnière de ce qu'il faut étouffer. de ce qui ne se dit pas. de ce qui ne se partage pas, emprunt de la honte et du dégout. Les jours s'étirent et Claire plonge. Elle efface son sourire et vrille face à l'oeuvre de celui qu'elle admire, Jackson Pollock, libérateur de sa rage. Elle lutte, puis s'autorise.
Premier roman à l'os de Charlotte Milandri, « Au sol » trace brillement le désir profond d'émancipation d'une femme. Malgré l'entrave des attentes familiales et de la pression sociale, s'immisce peu à peu l'envie d'être soi. L'envie de dire MERDE et de ne rien justifier. Être celle que l'on souhaite être. Laver l'affront d'une vie que l'on n'a pas choisie. Vomir un vécu ignoble. Puis se (re)construire. Les mots sont secs, les phrases courtes : des uppercuts, tels ses coups que l'on reçoit lorsque l'on s'oppose. Claire, silencieuse, hurle sa peine.
Une lecture intense qui perce le coeur. Un livre fracassant.

Lien : https://aufildeslivresbloget..
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Lu dans le cadre de la sélection des 68premièresfois et une drôle d'impression, impression de connaitre l'auteure. Charlotte Milandri puisqu'elle fait partie des fondatrices de cette belle aventure, de découvertes des premiers et seconds romans.
Son premier roman est bouleversant car il parle d'un sujet délicat. Peut on avoir envie un jour de tout "foutre" en l'air ou tenter de ne pas tomber "au sol".
Claire a une vie normale, banale, tout pour être heureuse : une vie professionnelle, un peu stressante, un mari attentionné, un petit garçon, un peu vivant mais comme tout enfant en bas âge ! Mais Claire n'y arrive plus, elle essaie mais la chute est proche. Elle a choisi cette vie ou la subit elle ?
Elle tombe en pamoison devant une oeuvre de Pollock et décide d'en savoir plus sur lui. C'est l'occasion pour l'auteure de nous parler de ce peintre, de sa vie, de ses oeuvres. J'ai aimé sa façon d'essayer d'entrer en communion avec lui, à travers sa biographie, ses oeuvres.
Ce texte est bouleversant avec des pages terribles (description dans une chambre d'hôpital) mais aussi lumineuses (de belles pages sur un tableau de Pollock, balade le long de la plage).
Un premier roman réussi et qui m'a permis de vouloir en savoir plus sur la vie et les oeuvres de Pollock. Il m'a aussi interpellé sur "la charge mentale", un terme un peu trop à la mode peut être.
C'est un sensible portrait d'une jeune femme, qui essaie de se comprendre, de s'assumer, de découvrir ce que l'on désire le plus, faire attention de ne pas flirter avec la folie..

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Citations et extraits (5) Ajouter une citation
(Les premières pages du livre)

La maison est calme.
Paul est un enfant du soir. Claire veille des heures sur son sommeil qui peine à arriver, le matin le garde endormi.
Elle se lève dès le premier œil ouvert, glisse sur le parquet, évite les lattes qui grincent, passe dans la chambre de l’enfant, respire la quiétude du corps encore chaud.
Ne surtout pas le réveiller. Retarder le premier maman qui en appellera des dizaines d’autres.
Robinet. Verre d’eau. À grandes gorgées.

Elle prend le sac à dos noir préparé la veille près de la porte pour limiter les mouvements, les frottements des tissus, les portes de placard à retenir pour ne pas que le bruit sec retentisse. Elle tourne la clé dans la serrure, enfile son gilet une fois dans la rue.
Courgettes. Quatre. Pommes de terre. Un kilo. Tomates. Six.
Oignons. Deux. Carottes. Une botte. Les fanes ? Coupez-les.

Elle charge son sac, méticuleusement, du plus lourd au plus léger. Elle sent dans son dos l’arrondi des légumes, la carotte qui sort de son rang pour se loger au milieu de sa colonne vertébrale.
Madame, deux dorades comme d’habitude ? Comme d’habitude. On les vide ? Le couteau sur les écailles qui sautent partout, la tête tranchée, la lame qui s’insinue, le geste précis, la chair qui s’en libère. Une poignée de crevettes. Roses pour l’enfant. Grises pour elle dont elle n’enlèvera que la tête et la queue avant de croquer. Un peu de citron.
Un kilo de fraises, une livre d’abricots, des bananes presque vertes. On a des melons délicieux, je vous en mets un ? Claire sourit. Elle charge l’autre sac, celui qu’elle va porter à l’épaule gauche. Ça penche.
Un poulet, bien doré. Elle désigne celui sur la broche. Le boucher s’exécute, retire l’acier du feu brûlant, fait coulisser l’animal. De la sauce ? Oui, que ça dégouline sur les joues de l’enfant.
Épaule droite. Équilibre retrouvé.

Une pièce dans le gobelet froissé de l’homme qui, tous les dimanches, lui sourit. Bonne journée, Mademoiselle. Bonne santé.
Mademoiselle reprend son chemin d’un pas plus alerte que ce matin, alors même que dix kilos lui strient les épaules. Elle regarde sa montre, elle a perdu un peu de temps à la poissonnerie, s’arrête à la boulangerie.
Une baguette. Un croissant. Un pain au chocolat.

Bon dimanche.

Elle hâte le pas, franchit le seuil, tend l’oreille. Paul dort encore.

Les carottes dans le bac à légumes. Les pommes de terre dans la caisse en bois en dessous du plan de travail. Les oignons, à côté. Le poisson et les crevettes dans le bac de gauche. Le poulet posé à côté de la cuisinière.
Elle sort le bol jaune de Paul, celui qu’elle lave à la main chaque jour pour qu’il soit propre pour le matin suivant. Elle pose une tasse sous la cafetière.
Une assiette, le croissant d’un côté de la table.

Une assiette, le pain au chocolat, collé au bol jaune, de l’autre.

Elle commence par les oignons. Ça ne la fait plus pleurer les oignons, les émince finement. Elle aime l’odeur qui lui restera sur les mains.
Les courgettes. Couper les deux bouts.
Longues bandes vertes.
Sève. Filaments. Mains collantes.
Gratter la paume.

Les tomates.

Une croix dessus.
Les plonger dans l’eau bouillante. Les retirer.
Se brûler la pulpe des doigts. Tirer la peau.
D’un pan.
Le jus qui tente de s’échapper. Les poser dans le saladier.

Maman.

Maman.

Atteindre le lit avant le troisième maman. Embrasser le front, les joues. Un câlin rapide. Déjà, enfiler les chaussons qui déserteront les pieds à la première occasion, un sous le canapé, l’autre dans la cuisine.
Faire couler le lait, une cuillère de chocolat, chauffer une minute, faire tomber la paille dans le bol. La bouche mastiquant. Les miettes qui surnagent.
Frigo. Verre de jus d’orange. Shoot de sucre.

On va jouer, maman ? Claire s’assoit à même le tapis, bat les cartes, les distribue. Elle fait semblant quand arrive le moment de la bataille de saisir la carte du dessus alors qu’elle déniche celle du dessous, l’enfant doit gagner. Il s’arrête au milieu de la troisième partie, elle rassemble le jeu, le remet dans la boîte. Un puzzle ? Un puzzle. Les coins d’abord, il commence par le centre, le chat bleu, s’agace quand ça coince. Il suffit de tourner mon chéri. Encore, voilà.
Le pas de Julien qui s’approche, le baiser déposé sur son front, la main dans les cheveux de Paul. Déjà dans la cuisine, le café qui coule, le merci habituel pour le croissant.
L’enfant dans sa chambre. Maman, je ne trouve pas le bonhomme rouge, tu sais celui avec son sac ? Fouiller les caisses, le trouver. Voir le sourire de l’enfant. Dans cinq minutes, ce sera le bleu, le vert, le jaune. Tous les sortir, ce sera fait.
On s’habille Paul. Refus. Viens, on compte jusqu’à trente, il faut gagner avant. L’empressement tout à coup. Tee-shirt, slip, short. Pas de chaussettes, il fait chaud. Elle pose le pyjama sur le lit après avoir tiré la couette. Reste un peu, Maman. Elle s’assoit sur les dessins d’animaux recouvrant le drap. Elle le regarde s’affairer avec la vie qu’il s’invente. On ferait comme si j’étais un aventurier. Et toi une princesse que je dois délivrer. Fais comme si, mon chéri.
Julien sort, le sport du dimanche. Avec un peu de chance, il sera là à midi. Midi trente au plus tard. Sinon, il faudra mettre du beurre sur un morceau de pain pour faire patienter Paul. Je vais faire cuire les courgettes, je reviens. Elle sait que l’enfant ne tiendra pas cinq minutes, qu’il viendra sur la table derrière elle, des crayons et des feuilles. Elle mettra de la musique, elle aura le temps d’une chanson à elle, avant qu’il ne demande des comptines, des crocodiles qui s’en vont à la guerre ou des petits escargots qui portent sur le dos leurs maisons.
Huile d’olive chaude. Oignon.
Remuer. Translucide.
Courgette. En carrés réguliers. Sel. Estragon.
Remuer. Couvrir. Veiller.

Allumer le four. Poser le poulet dans un plat. Faire couler la sauce au fond. 120 degrés.
Les tomates. Les couper en quartier. Huile. Vinaigre. Sel. Dans un verre, ciseler le persil cueilli dans le pot au bord de la fenêtre. Juste pour elle, pas de vert Maman, pas de vert Claire. Toi, si tu veux.
Maman, dessine-moi un avion. Tenter. Il n’est pas très beau, ton avion, Maman.
Tiens, ils sont pour toi. Trois dessins. Tu reconnais ? Claire hésite. Enfin, maman, un jardin, la mer et nous. Un gros rond et un trait. Je suis quoi moi ? Ben le trait, maman.
J’ai faim. 12 h 03. Pas le croûton maman. Enlever le croûton, couper une tranche. La beurrer. Mais tu mangeras hein ?
Julien. 12 h 35. Les tomates, un peu Paul. Le pain qui sauce l’assiette. Le poulet qu’elle découpe. Ailes. Cuisses. Blancs. La sauce dans un bol, une cuillère dedans. Les courgettes dorées. Un dessin de plus et elles attachaient à la casserole. Une glace pour le dessert. Rien pour moi.
Débarrasser. Rincer. Laver. Les miettes dans la main. Poubelle. Place nette.
Comme un dimanche matin.

Claire doit accélérer la cadence, les escaliers deux à deux. Elle cherche dans son sac sans fond la carte, sa photo, son numéro de matricule presque, le sésame pour n’avoir pas à vider ses poches. Elle enlève sa ceinture, ouvre en grand le sac pour que l’homme au gilet orange vérifie qu’elle n’est pas dangereuse. Elle contourne le portique, les alarmes, le rouge pour une pièce oubliée dans une poche.
Son ventre se digère lui-même, rien à se mettre sous l’acide depuis des heures, toujours le même dérèglement. La veille, Claire ne peut jamais rien manger, elle prépare des belles assiettes pour les hommes de la maison, je n’ai pas arrêté de grignoter, n’avale que deux ou trois radis. Julien tente de la rassurer, tu es la meilleure, tu vas gagner encore demain, pas de stress.
Elle traverse la salle des pas perdus, parfois les mots ne mentent pas, se dirige vers la salle du fond, celle qui aujourd’hui accueille les affaires civiles, là où il y a quelques jours une femme en prenait pour vingt ans. Elle a suivi, de loin, l’affaire, les médias assoiffés de sang sur les lèvres, les normaux qui se rassurent de leur normalité mais qui ne résistent pas au sensationnel, l’avocate qui avait joué la carte de la victime agissante, de ce qu’elle avait subi enfant pour expliquer la dérive, les babines acérées, le besoin de vengeance, la femme qui plante l’homme, à froid, avec préméditation, sans remords, sans regret, il n’avait qu’à pas me tromper avec l’autre. La pute. Elle n’a jamais osé Claire enfiler la robe pour ces cas-là, elle se dit ce matin qu’elle aurait dû, mettre les mains dans la merde et tenter de prouver qu’elles sont propres, comme un enfant à qui on dit de se laver les mains avant le repas et dont on accepte le mensonge.
Elle caresse la joue de Julien, lui sourit quand il sort la litanie de compliments, elle s’en fout de la cause qu’elle défend, de l’entreprise qu’elle va sauver d’un gros chèque à décaisser alors qu’elle passe son temps à faire du fric en niant l’humain. Elle sait que ce n’est pas ça qui lui vrille les tripes, ce pourquoi ses dents ont grincé toute la nuit, au réveil la mâchoire à débloquer. Parfois, son propre bruit la réveille, le vacarme que ça fait de frotter ce qui ne doit pas l’être. Le marteau et l’enclume, c’est le dentiste qui lui avait dit : je ne sais pas ce que vous faites avec vos dents, on dirait qu’elles sont coincées entre le marteau et l’enclume. S’il n’y avait que les dents, docteur.
La porte est ouverte, le restera, le spectacle est public, gratuit. Prenez vos tickets. Les derniers rangs sont occupés par ceux qui pensent pouvoir comparaître seuls. Manteaux fatigués. Pochette cartonnée sur les genoux. La convocation relue dix fois. Le regard que déjà on baisse. Attente du moment où l’on vous sonnera. Devant, faites place aux gens en noir. Claire sourit de loin à ses collègues. Consœurs, il faut dire consœurs, Claire. Plutôt se mordre la langue au sang. Personne ne la connaît, elle ne va jamais aux soirées d’entre-soi, elle l’a fait une fois, ne recommencera pas. Elle déteste faire
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Le quatrième jour, l’indifférente devient louve, lionne, hyène. N’approchez plus de son corps. Il n’y a que lui. Moi.
Et le reste, à la porte. Personne dans le périmètre. Laissez-moi son cou, son odeur, la douceur de son duvet. Laissez-le contre mon sein, ma peau.
Attention, je mords. C’est ce qu’on aurait vu écrit sur la cage. C’est ça qu’on verrait sur la médaille de sa laisse.
Oui Paul, on rentre. Une glace. Chocolat. Partout sur le tee-shirt. Les mains collantes. Le mal de ventre. Trois boules, c’est trop. Enfin, Claire, à quoi as-tu pensé ?
À le rendre sucré.
À lui adoucir les souvenirs.
À détourner son regard des yeux tristes de sa mère. À lui faire croire que le ciel est à portée de main.
À le gorger de cette odeur d’enfance. Sable. Gravier. Chocolat. À lui fabriquer un présent papier bulle.
À tout faire pour qu’il ne se rende pas encore compte qu’il lui manquera des bras autour de lui.
Plus tard.
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Tout va bien, puisque tout sera Normal.
Ils seront malheureux. Normalement.
Je veux faire la pute.
Je veux, comme ces gens qui ne sont pas normaux, ne plus me contenter, ne plus voir vos gueules fatiguées tous les jours, il faut déjà que je supporte la mienne.
Je veux partir quand tout se ternit, je veux décider ça un matin et le faire. Ne pas planifier, attendre. Je veux l’inconfort, le dangereux, le fatigant, l’épuisant, l’écorchure et la morsure.
Je veux la retourner la table sur laquelle vous êtes en train de manger, faire taire vos bouches.
Et si je le faisais ?
Si là, d’un geste, je soulevais la table? Verre de vin rouge sur nappe blanche. Sauce de poulet sur jupe.
Bris de porcelaine sous vos chaussures. Des cris.
Puis le silence. Moi. Debout.
Sans un mot.
Je sortirai. Vous aurez à dire alors. Je deviendrai le centre de vos discussions. Elle est folle.
Vous me trouverez mille excuses. La fatigue, le stress. Moi, je l’ai toujours trouvée un peu bizarre, Claire. Elle a dans le regard quelque chose qui fait peur. Vous auriez tout ramassé, chacun serait rentré chez soi. Non, vous seriez restés. p. 94
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Ravage de noir, de blanc, de brun. Les formes hypnotiques, les contours déchirés. Les couches de peinture, les paquets par endroits, le relief. On voudrait toucher. Passer la main et comme sur un mur crépi que l’on n’a pas lissé, jouer avec le risque d’éraflure.
Miettes de cerveau contre miettes de peinture. p. 60
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Elle court après le silence pour ne pas qu'il s'installe.
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