Quelque part entre Robert Erwin Howard (Conan) et
Howard Phillips Lovecraft (
le mythe de Cthulhu), c'est là qu'on peut situer approximativement
Abraham Merritt. Un petit peu moins doué, sur le plan de l'écriture, que ces deux auteurs (mais dans le domaine des « pulp magazine », cette notion n'est pas capitale), il a du premier le goût de l'héroïc fantasy avec des héros d'une grande force physique (à la Schwarzy), évoluant dans un milieu à la fois violent et fantastique, d'où la magie n'est pas exclue ; du second il a le goût des mondes perdus, bizarres, hors du temps, maudits, peuplés de créatures étranges et dangereuses, de démons qui reviennent à la vie, et de dieux monstrueux. Les romans de
Merritt ont souvent pour héros un costaud scandinave ou européen du nord (jamais latin, par exemple), confrontés à des situations impossibles dans des mondes improbables (ou le contraire). Une imagination fertile, jointe à une plume alerte et vive, donnent à ces romans un goût de « fantastique à portée de la main » qui n'est pas désagréable.
Le Mirage est un de ces mondes imaginaires, coincé entre « ailleurs », « je ne sais pas où » et « nulle part », dans une vallée perdue qui ressemble à l'Alaska, bref, un endroit où vous ne partiriez pas en vacances, même à l'oeil. Leif, un homme comme vous et moi, mais en plus grand, plus beau et plus costaud, débarque un jour dans le Mirage, avec Jim, son copain Cherokee (vous vouliez de l'exotique, en voilà), et les ennuis commencent. le Mirage est peuplé par les Ayjirs, un petit peuple primitif mais sympa, qui lutte pour sa survie. Leif a de la chance il tombe sur Evalie, une chouette fille, jolie et pas bête (il aurait pu tomber pire) et une romance s'engage entre les deux jeunes gens. Mais tout le monde n'est pas aussi accueillant : la sorcière Lur croit reconnaître en
lui Dwayanu, un ancien prince de la région, cruel despotique, et accessoirement son amant. Et du coup, elle se met à imaginer un plan machiavélique pour faire revenir Dwayanu dans l'enveloppe charnelle de Leif. Comment notre viking va-t-il se sortir de ce guêpier ? Ne comptez pas sur moi pour vous le dire, c'est bien plus agréable de le découvrir par vous-même.
Il y a réellement de la magie dans ce roman. A l'intérieur du roman, vous vous en doutez, puisqu'il y a une sorcière qui veut réincarner un prince mort depuis longtemps, et dans l'écriture même de l'ouvrage où l'auteur arrive à combiner tous les éléments fantastiques dont nous avons parlé, avec une certaine cohérence, un certain sens du rythme et, disons-le, une certaine poésie. L'ensemble reste très facile à lire.
Pour être tout à fait honnête, le lecteur exigeant n'aura pas trop de mal à mettre en avant les défauts d'un tel ouvrage, qui souffre des impératifs du genre : hégémonie des forts contre les faibles, rôles des femmes restreint à ce
lui de femmes fatales ou femmes soumises et transparentes (encore qu'ici,
Merritt fait des portraits de guerrières assez réussis), et psychologie réduite à son strict minimum. Ajoutez à cela les impératifs d'écriture des « pulps » : travail « à la machine », voire « à la chaîne », au jour le jour, avec une continuité aléatoire que l'inspiration ne suffit pas toujours à compenser, et qui fatalement, se ressent dans l'écriture (mais on retrouve ces défauts chez tous les auteurs de « pulps » depuis
Edgar Rice Burroughs), et dans ce roman, globalement,
Merritt ne s'en sort pas trop mal.
Les amateurs de fantasy se régaleront. Pour ceux qui ne connaissent pas ce genre, mais qui aimeraient en connaître un peu plus, ils pourraient trouver avec ce roman la porte d'entrée pour ce monde fabuleux et c'est le moins qu'on puisse dire, dépaysant.