Anna Welles n'encaisse pas. A tout juste cinquante ans, elle vient de se faire larguer par son mari, au profit d'une femme plus jeune, plus dynamique, plus souriante peut-être. Deux ans après son divorce, Anna ne peut toujours pas s'empêcher de se demander ce qu'elle a bien pu faire à Simon, son ex, pour qu'il la traite ainsi. Se serait-elle laissée aller? Aurait-elle été moins désirable, plus terne, moins intéressante, avait-elle failli dans l'éducation de leur fille, aurait-elle moins bien 'tenu' la maison? Même quand elle se rend à ces soirées pour célibataires organisées le samedi soir en ville, elle n'arrive pas à oublier complètement Simon et chaque homme qui l'aborde se voit intérieurement et automatiquement comparé à lui. Et peu, très peu, en sortent à leur avantage.
Pour Bernie Bernstein, commissaire de police responsable de l'un des districts new-yorkais, c'est l'inverse. du même âge qu'Anna Welles, bel homme, gentil, travailleur, Bernie se révèle toutefois incapable de laisser sa femme devenir l'esclave de leur fils handicapé et prône le placement de celui-ci. Ce qui lui vaut rien que moins d'un soir trouver les serrures de son appartement conjugal changées, ainsi que sa valise sur la pas de sa porte.
Deux âmes esseulées, au coeur de New-York, que le destin, sous la forme d'un crime particulièrement violent, vont réunir. La victime,
George Stone, un homme d'une quarantaine d'années, divorcé et drogué, est retrouvée très tôt le matin, le crâne défoncé dans son appartement. Ce matin-là justement, Bernie rôdait dans les rues et, bien que son grade le dispense de répondre à de tels appels du central, il se rendit sur les lieux. A un moment donné, alors que le périmètre de sécurité se dressait vaille que vaille, il vit une grande femme blonde, la cinquantaine ternie par des vêtements plus vraiment au goût du jour, sortir de l'immeuble, un parapluie jaune à la main. Parapluie identique à celui qu'il lui semblait avoir aperçu dans l'appartement de la victime.
Rentrée chez elle, Anna, parce ce que c'était bien elle, éprouva du mal à se rappeler cette énième soirée pour célibataire à laquelle elle s'était rendue le soir précédent, l'homme qu'elle avait suivi et comment s'était terminée la nuit. Même si une partie d'elle-même, refusant pour le moment d'apparaître au grand jour, s'en souvenait très bien.
«
Moi, Anna » a été écrit en 1984, publié pour la première fois au Seuil en 1991 sous le titre «
Le parapluie jaune », il bénéficie pour cette deuxième publication, au « Masque » cette fois, d'une traduction revue. D'après son éditeur, une adaptation cinématographique devrait sortir fin de cette année 2011. Son auteur,
Elsa Lewin -dont il s'agit jusqu'à présent de la seule oeuvre publiée- dote ses personnages de toute la profondeur psychologique à laquelle on peut s'attendre de la part d'une professionnelle de l'esprit humain, ce qui est justement son occupation officielle, puisqu'elle exerce le métier de psychanalyste. Chaque personnage, même s'il n'occupe qu'une rôle finalement périphérique au vu de la résolution finale de l'histoire, vit -et parfois meurt- sous sa plume que l'on devine trempée dans un bain de réalisme concentré. Même si elle ne se montre pas cruelle envers ses personnages, Lewin, sans concession, brosse leur trajectoire en mettant le doigt là où cela fait mal : fragilité de ce qu'on l'on croyait acquis, dépendance aux autres mais également aux substances permettant une évasion toujours trop courte, contradictions incessantes entre ce que l'on croit être et les actes que l'on pose. En résulte une intrigue dépourvue de la moindre trace d'humour, bien plus noire que réellement policière, une vision désenchantée de l'amour et qui confine au cynisme des relations humaines.