Mon amoureuse platonique

L'affection que je ressentais pour elle et que manifestement elle ressentait pour moi était un fait tout simple ; quant à la nature de cette affection, c'était une autre affaire. Ce n'était pas l'amour que partagent un frère et une sœur - il s'agissait d'un lien plus fort, plus étroit, plus délicat, plus déférent ; et ce n'était pas l'amour qui unit des amants, car il y manquait la flamme. Cela se situait quelque part entre les deux, meilleur encore que l'un ou l'autre, plus raffiné, plus profondément satisfaisant. Nous faisons souvent l'expérience de cette étrange et gracieuse tendresse, dans nos amours rêvés; et nous nous en souvenons également comme d'une caractéristique de nos amours d'enfant.

Car tout, dans les rêves, est plus profond, plus fort, plus aigu, plus réel que ne peut l'être cette pâle copie, cette vie fausse qui est la nôtre quand nous déambulons à l'état de veille, revêtus de nos moi artificiels, dans la confusion de ce monde terne et factice. Quand nous mourrons, nous nous dépouillerons sans doute de cette intelligence de pacotille et partirons pour le pays des rêves, parés de nos personnalités véritables, grandis et enrichis de l'ascendant conquis sur le mystérieux enchanteur qui n'est pas ici-bas notre esclave, mais notre invité.

Nous vivions dans un monde de simplicité, de beauté et d'évidence, où tout ce qui se produisait était juste et limpide, sans le trouble que provoquent l'inattendu ou quelque forme de surprise que ce soit; il n'y avait donc nul besoin d'explications, et nous ne ressentions aucun intérêt pour de telles choses.