Saignée, irradiante de folie hypnotique, était nue à mes pieds. Saignée, au visage de mythe et au corps de puma, était nue sur la plage. Saignée, belle forêt de nacre, savoureuse fleur de massacre, sexe insatiable aux langues de vipère. Saignée aux seins d'écume, aux offrandes terrifiantes, aux odeurs de sauvage. Saignée qui recule a mesure que ma main avance vers tes cuisses ouvertes, sois toujours ouverte devant moi, Saignée. Nous irons habiter la maison de ma jeunesse. ton corps modèlera mon lit perméable et maculé de ton sang comme autrefois, tu cueilleras mes rêves qui tombent sur le parquet en flocons de joie et tu tremperas leurs tiges dans l'eau pour les vases de demain. Toi qui avales mon sexe sans quitter le ciel, toi qui glisses a travers murs, plaisirs, crimes; ta voix résonne dans mes veines comme une cloche de montagne, femmes aux pensées verticales, aux orifices vibrants, je porterai ton corps vers la maison de mon choix, fauchant les obstacles d'un seul regard de ton sein vengeur. Vois, la maison approche, ses neuf fenêtres ouvrent et se ferment à mesure que je respire; touche ces murs gris dotés d‘écailles trempés par la brume; pousse la porte qui ne se fermera qu‘une fois pour ne jamais plus s'ouvrir, cette porte que je frôle et blesse ainsi que ma verge l'abîme quand elle te pénètre brutalement. Saignée qui recule tandis que mon sexe avance. Saignée aux pleurs de phoques, aux mensonges creux. aux pyramides de trahisons, aux fesses mal défendues. J'ai gagné mon pain quotidien, j‘ai tué et vu mourir. Je mourrai a mon tour dans ton ventre, sur ton sein, entre les lèvres.
Je serai mort mais je t'aimerai encore. Je le chercherai dans chaque cellule de mon cadavre pourrissant, je percerai le brouillard qui obscurcit les carreaux, je mêlerai mon haleine à tes cheveux de plomb et je trouverai ton corps de belle indifférente, car rien ne peut résister a mon amour.
Une nuit de silence intact, elle rêva qu'elle se trouvait au fond d'un copieux désert.
Des lions à tête humaine rôdaient aux confins de la terreur, un vent sans bras ni jambes excitait les vaguelettes de sable.
L'air était clair, la lune brillait sur les montagnes de glace et cette lumière sans ombre enflammait les couleurs..
Dans chaque coquillage,sous chaque pierre, un scorpion dardait sa queue d'azur ; des animaux caoutchoutés de spleen et de mousse traînaient leurs
ventres d'arbuste à arbuste à !a recherche d'un trou d'eau ou d'un
poisson de terre qui pourrait connaître un trou d'eau.
J'eus bientôt atteint ton visage
Chanté le poids de la plante de tes pieds
Et captive fascinée de ton abdomen velu
Je plongerai sans retard ni bourrade échangée
Dans le miroir rembruni
De l'obscène
J'eux bientôt trempé mes lèvres
Dans ton oreille métallique
Chanté les roses des ruines
Les affres la sèche angoisse
Les morsures alchimiques
De l'arène
J'eux bientôt cassé tes genoux
Tressé des fils d'acier autour de tes gencives
Fracassé la tête de tes joyeux convives
Les crapauds
Empêché le sommeil d'écumer ta quenouille
Vidé ton cerveau de ses rideaux de guipure
Ses belles filles défaites
Ses fantômes de guimauve
Et plaisirs migrateurs
J'eus bientôt éclaté de fureur
Dans l'ivresse bachique de tes hanches
Si tu savais le nom de ma peine
Le tord-boyaux de mon inextinguible ardeur
Tu suivrais mes pieds glissants à la ronde
Tu t'abreuverais avec les morts là où j'ai dormi
Je te hais
J'eux bientôt constaté ton absence
Chanté l'illusion de ton corps flapi
La tendresse du soleil pour les vieillards lézardés
Par l'ennui
J'eus bientôt percé ta sage économie
Si tu existais larve obscure
Mineur égoïste de la roche entamée
Jus du pressoir des crépuscules confus
Tu moisis
Entre les deux ponts pétrifiés
De la mythologie hindoue
Et la rivière aux berges hâtivement bâties
De l'orgasme
Songe fauve d'une verge désossée
J'arracherai la cuvette de ta bouche menteuse
Je t'abandonnerai mon corps et tu le dévoreras
Je suis ta sœur aux larmes de tourmaline
Et ma faiblesse se nomme
Tarentule.
Je veux dormir avec toi coude à coude
Cheveux entremêlés
Sexes noués
Avec ta bouche comme oreiller.
Je veux dormir avec toi dos à dos
Sans haleine pour nous séparer
Sans mots pour nous distraire
Sans yeux pour nous mentir
Sans vêtements.
Je veux dormir avec toi sein contre sein
Crispée et en sueur
Brillant de mille frissons
Mangée par l’inertie folle de l'extase
Ecartelée sur ton ombre
Martelée par ta langue
Pour mourir entre les dents cariés de lapin
Heureuse.
Vous ne connaissez pas mon visage de nuit
Mes yeux tels des chevaux fous d'espace
Ma bouche bariolé de sang inconnu
Ma peau
Mes doigts poteaux indicateurs perlés de plaisir
Guideront vos cils vers mes oreilles mes omoplates
Vers la campagne ouverte de ma chair
Les gradins de mes côtes se resserrent à l'idée
Que votre voix pourrait remplir ma gorge
Que vos yeux pourraient sourire
Vous ne connaissez pas la pâleur de mes épaules
La nuit
Quand les flammes hallucinantes des cauchemars réclament le silence
Et que les murs mous de la réalité s'étreignent
Vous ne savez pas que les parfums de ma journée meurent sur ma langue
Quand viennent les malins aux couteaux flottants
Que seul reste mon amour hautain
Quand je m'enfonce dans la boue de la nuit
Connais-tu encore le doux arômes de plantaniers
Combien étranges peuvent être les choses familières après un départ
Combien triste la nourriture Combien fade un lit
Et les chats
Te rappelles-tu les chats aux griffes stridentes
Qui hurlaient sur le toit quand ta langue me fouillait
Et qui faisaient le gros dos quand tes ongles m'écorchaient
Ils vibraient quand je cédais
Je ne sais plus aimer
Les bulles douloureuses du délire se sont évanouies de mes lèvres
J'ai abandonné mon masque de feuillage
Un rosier agonise sous le lit
Je ne me déhanche plus parmi les pierrailles
Les chats ont désertés le toit
Joyce MANSOUR – La femme surréaliste (France Culture, 2005)
L’émission « Poésie sur parole », par André Velter, diffusée le 4 septembre 2005.