Jacques Boireau n'aura pas eu beaucoup de chances avec les éditeurs malgré un prix Rosny de la nouvelle, comme nous l'apprend la préface de
Pierre Stolze, instructive pour les jeunes tels que moi qui n'ont pas connu la SF française de la fin du 20e siècle. Aujourd'hui,
Jacques Boireau est décédé, mais les éditions Armada nous offrent l'opportunité de découvrir des romans restés inédits. Un hommage posthume mérité ?
Après avoir achevé
Oniromaque, je ne peux faire qu'un seul constat : ce roman pour le moins hermétique n'est pas destiné au grand public, aux adeptes de space opera ou, encore, aux amateurs d'histoires claires qui ne laissent plus place au doute une fois la dernière page tournée. L'univers de
Jacques Boireau est foisonnant, complexe, ardu à appréhender par moment (sans compter les modifications apportées par les rêves...) ; son style difficile, très littéraire, doté de longs paragraphes, avare en dialogues, bref, loin de l'écriture plus simple et visant le percutant adoptée par les écrivains cherchant à toucher le grand public. Plus on avance dans le récit, plus celui-ci s'enfonce dans la lenteur, le héros et les autres protagonistes sombrant dans la passivité tandis que rêve et réalité se mêlent sans se démêler. Où est le vrai ? Où est le faux ? le héros existe-t-il seulement ? Et les autres ? Arrivé au dernier chapitre, l'uchronie dystopique semble même n'être qu'un prétexte à l'analyse psychologique des songes du héros ; mais ici il s'agit ici d'une interprétation personnelle d'un roman qui peut en susciter plusieurs (après avoir parcouru google et les critiques déjà publiées, chacun semble en effet avoir son interprétation). L'intrigue et son issue peuvent rappeler K.Dick, qui aimait lui-aussi insérer le doute dans l'esprit du lecteur et ne pas lui donner toutes les réponses clefs en mains, mais je pense que nous nous situons encore dans un sous-genre différent de la SF. On peut donc comprendre que les éditeurs français aient été frileux, car un tel roman exigeant est destiné à un public de niche...
Dans la construction du récit et le style,
Oniromaque m'a rappelé
Dogra Magra de
Yumeno Kyûsaku, roman japonais déroutant de presque 1000 pages (dans sa version française) où un homme amnésique se réveille dans un hôpital psychiatrique. Pour être franche, je n'ai d'ailleurs jamais réussi à finir cet ovni de la littérature japonaise ! (un jour, peut-être) Entre
Dogra Magra et
Oniromaque, on retrouve d'involontaires* points communs malgré des univers différents. de mémoire : l'histoire cyclique, la confusion avec la réalité et le rêve, les changements de narrateurs...
Jacques Boireau, comme
Yumeno Kyûsaku, se prête à des exercices de style littéraire (dans le cas de Jacques, une imitation du style de Céline dans un passage ; dans le cas de Yumeno, l'imitation des discours des bonzes japonais, etc.).
Ai-je aimé
Oniromaque ? Voilà une question difficile à répondre... Sans doute pas de la passion dévorante que suscite les épopées épiques à la Battlestar Galactica. Plutôt d'un amour platonique et intellectuel. Une chose est sûre :
Oniromaque intrigue, questionne. Bref, ne laisse pas indifférent. Et une fois refermé, je n'ai eu qu'une envie : le rouvrir et chercher les indices invalidant ou validant mon hypothèse sur la fin. Si vous voulez lire autre chose que de la SF où toutes les réponses vous sont offertes sur un plateau, si vous voulez vous frotter à une lecture exigeante, alors
Oniromaque est pour vous.
Pour conclure, je tiens à féliciter Pierre Borderie pour sa couverture ; on oublie trop souvent de citer les illustrateurs qui nous font eux-aussi rêver. La préface est elle-aussi très éclairante, comme je l'ai déjà signalé, et d'autant plus bienvenue pour un roman aussi particulier. le publier est sans doute un risque, et le courage d'Armada peut être salué.
* Involontaires, car je ne pense pas que
Dogra Magra était traduit à l'époque de l'écriture d'
Oniromaque et, quand bien même, il n'y a aucun indice laissant penser que
Jacques Boireau soit amateur de littérature japonaise...
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