Rassemblant des poèmes éparpillés dans une multitude de revues, "Poésies, 1978-1997", de Thierry Metz, est un de ces livres rares au sortir desquels on hésite à parler, comme si le silence qui les suit était un peu sacré.
Dès les premiers textes, écrits par un jeune homme de 22 ans, on est touché par la singularité de cette voix qui nous parle de choses et de gens que nous connaissons bien (un ciel d'orage, un vol d'oiseaux, le visage de l'épouse...), mais d'une manière telle que tout cela nous paraît à la fois proche et inconnu, étrange et familier. Ainsi, cette évocation d'un paysage écrasé de chaleur : "Espace/ Désert/ Lente rotation de l'heure/ dans la clairière de sable/ Une cigale grille sur le tambour d'argent..."
On le voit, rien ici d'anecdotique, mais une parole qui cherche au contraire à s'approcher au plus près de l'essentiel, et vise souvent à rétablir une sorte d'état d'innocence ou de pureté originelle : "Dire une clairière n'est possible/ que tôt le matin/ avant la fable/ quand le coq peut encore trier graines et hameçons."
Ce n'est pas un hasard si les premiers poèmes sont traversés par des images de paix et d'harmonie, au premier rang desquelles celles de la maison et de ses attributs (la table, la lampe, le repas...) : "Citadelle de l'été/la maison de l'homme/ s'ouvre aux délices de l'abeille/ Simple ruche qui devient chambre/ au coeur du jour..."
Quant au poète, "le compagnon limpide, l'oblique migrateur", il se tient légèrement à l'écart, devant la fenêtre ou sur le seuil, là où s'interpénètrent le dedans et le dehors, le cosmique et l'intime : "N'être ni dedans ni dehors mais se tenir là où tout se rencontre."
Hélas, à partir de l'année 1989, l'univers du poète se fissure : "Une cassure/ dans l'hiver/ qu'écrire et vivre/ ne sont qu'un visage/ contre une porte." Le lien avec le monde se perd et l'écriture devient dès lors un acte difficile et solitaire : "Écrire un poème/ c'est comme être seul/ dans une rue si étroite/ qu'on ne pourrait/ croiser que son ombre."
Dans les derniers poèmes, le verbe se fait plus sombre ("Que savoir d'un jour/ qu'il se perd parmi les oiseaux/ et nous/ puisqu'il faut mourir/ déjà mort.") tandis que le motif de l'enfant mort remplace celui de la maison : "Seul l'enfant qui allait mourir/ savait que du choeur des mots/surgirait le jardin..." Cela fait écho à un drame personnel, qui plongera le poète dans la désespoir et l'alcoolisme, avant de le conduire au suicide.
"Poésies, 1978-1997" est un livre magnifique, que je ne saurais trop vous recommander.
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Il faudrait davantage avoir de temps pour découvrir tous ces poètes qui marchent en marge des sentiers balisés des grandes maisons d'édition et égrener lentement leurs rimes qui font tant de bien à nos âmes malmenées.
Merci à Lazlo23 de m'avoir fait découvrir Thierry Metz, qui est un de ces poètes.
Je partage son enthousiasme. Encore quelqu'un que je vous invite à courir lire si vous ne l'avez déjà fait.
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Maçon et poète, Thierry Metz est mort en 1997. Vingt ans après sa disparition, son œuvre est rassemblée en un livre. L'occasion de le redécouvrir.
Lire la critique sur le site : Bibliobs
Ici
comment retrouver l'argile du livre
sans avoir à se teindre –
Et comment – à l'écart du tournesol – penser ce qui a lieu
dans le lieu de l'érosion et de l'ensoleillement.
Ici ailleurs
le tison s'obstine.
CALCAIRE, 1986
(p. 97)
Un avril d'oiseaux s'éveille dans les arbres. Qui sait où je vais? Pas un nuage, seulement le chemin de castine puis le bois. Je rôde par là vers rien. Dans cette lumière qui me cherche comme une ombre. Seule, agaçante, une abeille me tourne autour. Mais chacun des mes pas compose un chemin.
Ce n'est que moi. Né d'une fougère.
Promeneur sans bâton.
Toujours lui, jamais le même. Une branche, peut-être de l'indiscernable.
1995
LE SOMMEIL DES APÔTRES (extrait)
... Le désespoir , c'est le village courbé derrière son
rideau de nez brûlés
et de bouches malades,
c'est le village qui me balade sous les linges de la pluie.
Le village qui perd ses tuiles d'automne, ses rigoles de promeneurs,
ses fontaines perlées de vigiles verdis et fragiles
Le village avec ses cinq doigts brûlants aux bornes desquelles
je dépose mes bagages,
C'est quand je remonte une rue de petits pavés
frétillants, malins comme des sourires de crevettes
quand j'ouvre un panneau de dentelle jaunâtre
un jupon de maison,
une toison de fenêtre,
quand son corps lisse et blanc me murmure les
silences de son veuvage,
l'immobilité dallée de sa fraîcheur de pierre,
ses odeurs de terre vécue, de tissus lointains,
de bois tordus et casaniers, l'atteinte soufflée d'un cœur de feu.
Le désespoir des gueules d'hameçon installées à la
terrasse des ferments d'orgueil...
POÉSIES 1978-1987
À l'arrêt des musiques
Quelques corbeaux bâillent
Et descendent en boitant
Sur une neige impossible
Qui se saigne à mourir
De n'avoir plus le temps
le temps d'enfiler le long
manteau des mimes.
1978
p.30
FEU DES RACINES
Où vas-tu Neigeuse ?
Tes averses blanches isolent ma maison d'orage
Mais j'habité la forge
Et le piment me nourrit
Fureur des graminées.
Mes rations de lumière et d'éclat
Je les frotte de paille et de sel.
Mon vin est une flamme prodigieuse
Et la seule bavarde n'est jamais lassante.
Qu'importe où tu vas
Ne dis rien
Eloigne le couteau de ma bouche –
J'attire ton silence et ta soif dans ma voix.
Je sais la source où tu seras nageoire.
p.81
Terre – Thierry Metz
lu par Lionel Mazari