Les historiens ne forment pas une corporation. Le droit de parler d’histoire n’est pas réservé à ceux qui ont passé des concours ou obtenu des diplômes. Chacun, dès lors qu’il applique les règles du métier et se soumet à ses exigences, est historien. Arno Klarsfeld a raison sur ce point : l’histoire appartient à tous, sa connaissance fait partie de l’identité et de la citoyenneté. Les historiens remplissent une fonction sociale, ils agissent par délégation et ils ont à rendre des comptes. L’histoire appartenant à tous, il leur incombe de transmettre ce qu’ils savent et de partager ce qu’ils ont appris. Toute discipline requiert un minimum de compétence : personne ne se risquera à parler d’astrophysique ou de biologie sans avoir acquis une certaine connaissance.
Expliquer n’est pas absoudre, et l’objectivité n’interdit pas à l’historien d’aller plus loin : jusqu’à un jugement d’ordre moral. Répudions sans retour la conception positiviste de l’histoire qui limitait son rôle à l’établissement et à la relation des faits. Si l’histoire joue un rôle dans la formation du jugement intellectuel et moral, ce que je crois, c’est la responsabilité de l’État de veiller à ce que cette fonction soit correctement assurée et qu’on ne passe pas sous silence des faits majeurs. On se gardera aussi de les surdimensionner : il ne serait pas raisonnable dans un programme chargé de consacrer plusieurs séances à la traite, si ce n’est dans les pays concernés par elle.
La France doit-elle avoir honte de son passé colonial ? La colonisation n’aurait-elle apporté que le malheur ? Il n’y a pas de consensus à ce sujet et les positions des familles politiques ont dans le temps beaucoup varié. La gauche est aujourd’hui unanime à exiger l’abrogation de l’alinéa introduit par voie d’amendement qui mentionne le rôle positif de la présence française outre-mer : c’est donc qu’elle la considère comme exclusivement négative. Mais il n’en a pas toujours été ainsi et une partie de la gauche était fière autrefois de la générosité qui inspirait à ses yeux l’action de la France pour « civiliser » les indigènes.
L’aspiration à la justice a pris aujourd’hui une dimension planétaire. Elle vise à institutionnaliser et à généraliser ce qui a été fait pour la première fois avec le tribunal de Nuremberg : l’instauration d’une juridiction devant laquelle les responsables politiques peuvent être appelés à rendre des comptes. Ainsi la condamnation pour crimes de guerre, la sanction pour crimes contre l’humanité ne resteraient pas un événement unique dont la légitimité pouvait être contestée, au motif que c’étaient les vainqueurs qui jugeaient les vaincus.
Chaque génération fait une nouvelle lecture du passé. L’honnêteté intellectuelle, c’est de hiérarchiser les affirmations en fonction de leur degré dans une échelle qui va de la certitude scientifique à l’opinion probable et à l’hypothèse à vérifier.
L'historien René Remond interroge le crime comme objet historique. Au fil du temps, accompagnant les mutations sociales, techniques ou morales, le crime évolue, ainsi que la conception qu'on s'en fait et les sanctions qu'on y apporte.
Conférence issue de la première édition des Rendez-vous de l'histoire, en 1998, sur le thème "Crime et Pouvoir".
© René Remond, 1998.
Voix du générique : Michel Hagnerelle (2006), Michaelle Jean (2016), Michelle Perrot (2002)
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