La Langue verte
(Charabias et Verdures), 1954
Glose
In principio erat verbum.
Extrait 3
Les mots, disait Monsieur Paulhan, sont des
signes, et Mallarmé, lui, que ce sont des cygnes. Ah,
beaux outils, les mots sont des outils, rabot, évidoir,
herminette, gouge, ciseau. Ainsi, les formes naissent,
portant la marque de l'outil et je retrouve à la statue
ce joli coup de burin. Et je retrouve à la pensée ce
délicat sillon du verbe. Tudieu, quelle patine ! Quel
héritage, quelle usure, quelles reliques de famille !
Quelle Jouvence et quel arroi.
…
p.173-174
La Langue verte 1954
Verdures
En forêt
Extrait 2
Ne bougez plus, même
Pour baiser leur front,
Comètes.
Ça vaut bien la peine
Que les choses rondes
S'arrêtent !
J'exagère ? Ô doux,
Ce lit de fougères,
C'est tout !
Cet heureux cénacle
Est le seul miracle
Au monde.
L'amie et l'amant,
Tout le firmament
Autour !
Grondez-le tambour :
On ne vit que pour
L'amour !
p.238
Le Gros Gibier, 1953
La loi
Extrait 2
S'il me plaît à moi.
De ne pas comprendre
La bêlante foi
En quête du tendre !
Le sang ? On en a
Besoin dans nos veines,
Mais l'autre ânonna :
Du sang de fontaine,
C'est encor plus beau,
Car les dieux se lavent
L'œil et le jabot
Dans du sang d'esclave.
C'est bon. c'est compris,
Hommes, chiens, génisses,
Il faut qu'on gémisse
Pour avoir le prix.
Sueurs et travaux,
Cendres, feux et fanges,
Puis les premiers aux
Guichets des archanges.
Comptés, mesurés,
Inscrits aux cadastres.
Et ça va durer ?
‒ Autant que les astres.
p. 120
Le Gros Gibier, 1953
Elle existe
Voici la fragile
Qui est ton amour.
‒ Grand Dieu, que l'argile
Fait un beau séjour
Dans l'ombre animée
De ma bien-aimée.
Voici la charnelle
Qui est ton avoir.
‒ Bonjour, mon oiselle,
Mon clair dans mon noir.
Petite chandelle
Des nuits éternelles.
Voici ta rêvée,
Chaude et achevée,
Le cygne et l'insigne,
La figue et la vigne,
Voici ta réelle
Pour des lits sans âge.
Foule ton raisin
De ventre et de seins,
Mille tourterelles,
O pulpe et feuillages ;
Vas-y, réaliste !
‒ Alors, elle existe ?
p.101-102
Le Gros Gibier, 1953
De vérité
Quand tu répondais oui, on te coupait la tête,
Quand tu répondais non, on te coupait le cou.
La fleur de vérité ne se montre au poète
Qu'à l'envers.
Le poil de vérité se portera beaucoup
Cet hiver.
Mes enfants, j'avais faim, j'ai mangé des tessons,
Je me souviens, c'était au temps des gros tambours ;
On écoulait passer les chevaux, les caissons
Et la vieille
Artillerie à vent qui tapait sur la tour
Des corneilles.
Rien qu'en fermant les yeux, je comprenais mes torts,
El rien qu'en respirant, je respirais mon crime.
Dans la cellule 9, les condamnés à mort
Formant cercle
Sifflaient un air de chasse et trouvaient une rime
À «couvercle».
Le vin de vérité leur donnait mal au ventre.
Une aurore à fusils brillait sur leurs fémurs.
Amis, quels sont ces cœurs avec la lame au centre
Et pourquoi
Le vin de vérité qui suinte sur les murs
Se tient coi ?
p.113-114
Jeanne Moreau - Chanson à Tuer
Plante ce couteau, minette
Mais droit au coeur s'il te plaît
La besogne à moitié faite
Et les meurtres incomplets
Font horreur à l'âme honnête
Qui n'aspire qu'au parfait
Qui n'aspire qu'au parfait
Parfait, parfait, parfait
Les couteaux à cran d'arrêt
N'ont cure des pâquerettes
L'homme dort comme un boulet
Plante ce couteau, minette
La nuit saoule de planètes
Ne se souviendra jamais
Ne se souviendra jamais
Jamais, jamais, jamais
Droit au coeur, au coeur discret
Qui dans son profond palais
Sait mourir sans chansonnette
Plante ce couteau, minette
La nuit saoule de planètes
Ne se souviendra jamais
Ne se souviendra jamais
Jamais, jamais, jamais
Ne se souviendra jamais
Paroles: Norge
Musique: Michel Philippe-Gérard
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