Makina, une jeune mexicaine, est chargee par sa mere de partir chercher son frere de l'autre cote de la frontiere et de lui transmettre un message.
Pour cela elle recoit l'aide de trois chefs de gangs, monsieur Doubleve pour la traversee, monsieur Hache pour pouvoir retrouver son frere, monsieur Q (devinez pourquoi ce nom n'est pas epele) pour l'aider a revenir. Une fois de l'autre cote, chez les “Gavaches”, elle aura droit a l'aide d'un quatrieme, monsieur Pe, et de celle de nombreux subalternes.
C'est donc une histoire d'emigration clandestine et de toutes ses difficultes et ses deboires? Oui, mais racontee par Herrera, l'affabulateur, le debiteur de fables, le vehiculeur de mythes. le periple de Makina est articule en neuf chapitres, dont les titres sont ceux des neuf passages, ou niveaux, que doivent parcourir les defunts pour se liberer completement de leur energie vitale et atteindre l'inframonde, selon le mythe azteque de Mictla: le passage de l'eau, la montagne d'obsidienne, le lieu ou flottent les etendards, le lieu ou l'on mange le coeur des gens, etc.
Mais qu'a a voir Makina, l'heroine, avec ce mythe? Elle n'est pourtant pas morte? C'est une femme forte, pleine de recours, respirant la sante. C'est alors vu comme mythe de passage de contree en contree? Mais Makina veut revenir dans sa petite ville perdue une fois qu'elle aura transmis le message a son frere. Elle ne veut pas rester en Gavachie, comme elle nomme les USA. C'est peut-etre du changement qui va s'operer en elle qu'il s'agit?
Beaucoup de questions, beaucoup trop, et moi je n'ai comme reponse que ce peut etre la reponse a l'une, ou a l'autre, ou a toutes ensemble. le passage physique, ou le mental, ou meme la mort, une certaine forme de mort.
La mort, vu que le livre commence quand Makina risque de s'engouffrer dans un trou qui s'est creuse au milieu de la chaussee et se dit: “Je suis morte”, et se termine quand on lui donne de nouveaux papiers et une nouvelle identite et elle balbutie: “On m'a depouillee”, pour finalement accepter, s'accepter, et se dire: “Je suis prete puisque toutes les choses du monde sont desormais silencieuses”.
Le passage physique, parce qu'on l'a fait passer au pays des ganaches et elle a vu a quoi il ressemble, combien different est-il de sa petite ville et comment y vivent ses compatriotes qui s'y sont installes.
Le passage mental parce qu'apres tout ce qu'elle a vu, qu'elle a compris que son frere a change et qu'elle ne le ramenera plus a sa mere, il est possible qu'elle aussi ait decide de rester. La fin est ouverte: elle recoit de nouveaux papiers mais on ne sait pas si c'est pour pouvoir rester sur place ou pour pouvoir revenir legalement.
Le voyage de Makina doit etre, selon le mythe, un periple vers le monde souterrain, “el inframundo”. Mais est-ce un voyage reel pour decouvrir le monde du travail clandestin, souterrain, de ceux qui ont passe la frontiere? Est-ce la transformation identitaire de Makina, sa mue, laissant derriere elle son ancienne peau? Est-ce l'abandon de l'objectif premier du voyage, pour se laisser glisser vers quelque chose de nouveau? C'est bien ce que le mythe requerait, l'oubli de toute la vie anterieure pour arriver au but: une autre vie, completement differente, dans l'inframonde, dans un monde inconnu.
Je finis le livre m'avouant que malgre la belle prose de Herrera, toute cette mythification est un peu exageree. J'aurais prefere plus de retenue. de plus, il en rajoute, avec des allusions a Alice au pays des merveilles (dans une des maisons ou elle entre, apres avoir descendu un escalier en colimacon, elle se trouve devant une porte avec l'inscription: va-t'en), et au poete
Cavafis (a un policier qui les arrete, elle et d'autres clandestins, elle tend un billet ou elle a ecrit: “Nous sommes responsables de cette destruction, nous qui ne parlons pas votre langue et ne savons pas nous taire […]
Nous, dont personne ne sait ce que nous attendons […] Nous, les barbares”).
Bref, j'ai trouve que l'auteur s'est laisse emporter par sa plume. J'ai beaucoup moins aime que
Les travaux du royaume. Mais bon, c'est un texte si court…il ne donne pas le temps de lasser.