J'habite à 40 kilomètres de Genève, ville agréable, cossue, un peu surannée parfois. Genève, ses cafés cosy, ses bâtiments majestueux, ses galeries commerciales luxueuses, hélas fermées le dimanche...
Héritière de la pensée de Calvin, cité des banquiers, Genève demeure de nos jours attachée à l'idéal de tempérance et d'ordre. Ainsi, lorsqu'en décembre 2018 les citoyens genevois se prononcent en faveur du (suivez bien) contre-projet du Grand Conseil qui autorise l'ouverture des commerces le 31 décembre (jour férié) ainsi que trois dimanches par an, c'est sous condition expresse de préserver la paix sociale : pour la population il est inimaginable que "l'extension des heures d'ouverture se fassent sur le dos des employés" avec le risque fâcheux d'un désordre.
Nous voici immédiatement raccord avec « Une histoire du luxe à Genève », dont la lecture débute au XVIe siècle par la longue histoire des lois somptuaires – tentatives de modération des dépenses – et s'achève au XVIIIe siècle, ancrage du mythe de l'austérité calviniste (or, on verra que Calvin était un peu plus réaliste qu'on ne le pense généralement).
Dans la seconde moitié du XVIIIe en effet, le luxe est remis sur la sellette par les représentants de la République qui prônent à leur tour égalité et simplicité pour tous (la simplicité étant considérée une vertu cardinale). S'appuyant sur ces principes fondateurs républicains, les représentants demandent alors vigoureusement des mesures d'austérité pour lisser les clivages (on verra que ce n'est pas si simple).
Au fil des pages, nous faisons la connaissance d'un tailleur nommé Delachanaz, lequel s'indigne véhémentement de la mode des faux-cheveux et mène une guerre sans pitié contre les perruques ; nous croisons Jean-Jacques Rousseau qui vient de renoncer aux signes ostentatoires de richesse comme les dorures et les bas blancs ; nous nous étonnons de Voltaire, incorrigible architecte, maître d’œuvre et paysagiste talentueux. Et que dire de la mise en scène iconographique des grandes familles, instagrammeurs avant l'heure.
Luxe de l'espace de vie, des déplacements, des festivités (naissances, mariages), des rituels (décès et signes de deuil), des bijoux, dentelles, ornements, arts de vivre (table, concerts)… tout est ratissé et codifié au fil des époques par le Consistoire, les ordonnances, la Chambre de la Réformation, les règlements divers et variés.
Cela donne le tournis, et sous la plume de Corinne Walker, c'est enchanteur comme un tour de valse sur un parquet genevois. Passionnant, instructif, documenté, d'une beauté discrète (comme il se doit pour son sujet), écrit avec une verve gouailleuse, je recommande vivement ce livre. Il vous donnera envie de visiter Genève.
(Masse Critique. Je remercie Babelio et les Éditions La Baconnière pour la découverte de ce bel ouvrage).
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Il s'agit d'un ouvrage d'histoire accompagné d'illustrations et de portraits. le livre est documenté et complet et rédigé d'un langage aisé. Ce n'est pas un livre que le lecteur lit en une seule traite, il faut savoir y revenir au goût de ses envies et réflexions.
Le lecteur peut se replonger dans une époque qui n'a plus grand chose à voir avec la nôtre, cela permet de se rendre compte de l'évolution du luxe, de l'architecture, de la décoration d'intérieur, des articles de la table et d'habillement, de l'usage des portraits et de la dentelle.
Il reste quelques traces de tout cela actuellement mais la globalisation a fait son chemin et le monde moderne a déjà balayé pas mal de détails de cette époque.
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j'ai la chance de travailler régulièrement à Genève. C'est une très belle ville, un peu froide dont j'avoue, je ne connaissais, que ce qu'elle laisse facilement apparaitre.....Ses boutiques de luxe, ses palaces, la haute horlogerie et ses banques....Bref, tous les clichés !!
Ce livre est une mine d'informations, d'histoires, d'explications. On s'y plonge régulièrement et on en apprend un peu plus à chaque fois.
Je ne savais pas du tout à quoi m'attendre avec cet ouvrage mais je suis conquise....et ma prochaine visite à Genève, sera vraiment différente.
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"Un des plus cruels abus du luxe qui nous a longtemps dévoré, était la manie des riches de promener leur inutilité dans de vastes appartements", proclament les révolutionnaires genevois en août 1794. Au-delà de leur caractère outré, caractéristique du régime de Terreur qui règne alors sur la ville, ces mots sont particulièrement significatifs du privilège que représente le fait de disposer d'un large espace. C'est bien un des premiers signes de richesse, un luxe d'autant plus manifeste dans une cité étroitement enserrée dans ses remparts. Pourtant, jusqu'à la fin du XVIIIe siècle aucune restriction n'est mise à l'appropriation de l'espace.
"Plus nos enfants et notre peuple s'accoutumeront à une vie frugale et modeste, plus ils seront contents de leur état, et plus ils se montreront dociles à vos ordres". C'est dans ces termes qu'est justifiée, en 1725, la critique du luxe exprimée par le Consistoire à l'adresse du Petit Conseil, gouvernement de la République de Genève. Dans cette perspective, la simplicité des mœurs apparaît comme garante de la soumission à l'autorité et les dépenses excessives sont perçues comme une source de désordre.
(Les lois somptuaires ou le rêve d'un ordre social).
Le luxe est un concept flou qui varie dans le temps et dans l'espace. Bien que couramment employé, ce mot échappe à toute définition tant il mêle les questions morales, politiques, sociales et économiques dans un amalgame vague et parfois contradictoire. Le terme lui-même n'apparaît dans les dictionnaires de la langue française qu'au début du XVIIe siècle, comme synonyme de superfluité.