1789 : Les Français ont la parole de
Pierre Goubert
En fait, deux grandes « sociétés » — et une foule de petites — se méprisent, se jalousent ou se haïssent dans ce royaume vétuste. Deux « races » coexistent, et la race noble est au fond persuadée qu’un sang exceptionnel coule dans son système artériel : qui n’est pas noble est ignoble. Au noble seul, l’épée, la girouette, le droit de chasse, le droit de litre et de tombeau à part dans l’église familiale. Seul, le noble est véritablement « né ». Les roturiers se contentent d’exister, comme une race un peu spéciale d’animaux, assez inférieure au cheval. Seul, le noble est naturellement « apte », d’abord à combattre et à commander, ensuite à savourer toutes les délices de la vie noble, de la fainéantise brute aux plus hautes spéculations de l’esprit — pour quelques-uns tout au moins. Seul, le noble est apte à bien juger, et les parlements se ferment désormais à tout ce qui sent la roture ; à bien prier Dieu, et l’épiscopat tout entier est noble d’« extrace » ; à bien commander à la guerre, et les cadres de l’armée sont interdits aux roturiers, sauf dans quelques spécialités où le talent, même ignoble, est cependant requis ; à bien commander auprès du roi, et il faudra l’astuce financière d’un banquier roturier, étranger et mécréant (Necker), pour rompre le cercle aristocratique qui tentait, auprès du monarque, noble d’entre les nobles, de gouverner seul la mosaïque routinière et particulariste…
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