Je tiens tout d'abord à remercier Babelio et les Éditions Turquoise pour l'envoi de ce livre remarquable dans le cadre de la dernière opération de masse critique. Surtout l'éditeur qui a ajouté un joli marque-page et m'a gentiment dédicacé l'ouvrage.
J'ai déjà lu bon nombre de livres sur le génocide arménien, que la plupart des Turcs - à commencer par leur sympathique président éclairė - continuent obstinément à nier. Pas tous, heureusement, comme l'a prouvé l'historien turc
Taner Akçam dans son excellent opus "Un acte honteux: le génocide arménien", qui a été pour moi une véritable révélation. Tout comme l'ouvrage de base "
The History of the Armenian Genocide" par
Vahakn N. Dadrian. L'ouvrage qui m'a ouvert pourtant les yeux et fort impressionné est celui de l'auteur autrichien
Franz Werfel (1890-1945) "
Les 40 jours du Musa Dagh". Par après ont suivi : de
Daniel Arsand "Un certain mois d'avril à Adana" et d'
Antonia Arslan "Il était une fois l'Arménie" et plus littéraire : d'
Arménouhie Kévonian "Les noces noires de Gulitzar" et d'
Elif Shafak "
La Bâtarde d'Istanbul". Il y a également du grand
Jean Jaurès "Il faut sauver les Arméniens", que je n'ai pas (encore) lu.
Et malgré toutes ces lectures, il faut que j'avoue que j'ignorais que l'auteur de cette oeuvre,
Avétis Aharonian, a été, en 1917, le président du Conseil Arménien National, et ipso facto, le numéro un de la première République arménienne, devenue indépendante le 28 mai 1918. Avant, le peuple arménien était divisé entre les empires russe et ottoman. C'est lui qui a signé le Traité de Batum avec l'Empire ottoman et celui de Sèvres avec les autres puissances, en 1919, comme chef de la délégation arménienne à la Conférence de la Paix de Paris, pour réorganiser "légèrement" le monde après la première boucherie mondiale.
Avétis Aharonian est né en 1866 à Iğdir, aujourd'hui en Turquie (avant en Russie), au pied du magique et mystique Mont Ararat. Encouragé par sa mère qui lui apprit à lire et écrire, il poursuivit des études d'histoire et de philosophie à l'université de Lausanne et littérature à la Sorbonne. En 1902, il rentra au bercail, devint directeur d'école et éditeur du magazine "Mouri" (marteau), ce qui lui valut un passage dans les tôles des tsars. Moyennant un charmant pots-de-vin, il fut libéré en 1909, et s'exila. Et c'est là que démarre le récit : "
Le village suisse".
L'ouvrage est préfacé par Sévane Haroutunian, au moment de sa publication, doctorante en langue et littérature arméniennes de l'université de Genève. À l'heure actuelle, très probablement docteure, à en juger par la qualité de son introduction. Et ce n'est pas juste un compliment en passant, car, en l'espace d'à peine 5 pages, elle a le don de poser les questions essentielles. Comme : "Quel est le but (de l'auteur) de noircir ainsi la vie de son village natal ?" Et pourquoi idéalise-t-il la Suisse et déprécie-t-il l'Arménie ? Il ne faut pas beaucoup de fantaisie pour s'imaginer la différence colossale, à l'aube du XXième siècle, entre un paisib
le village suisse super bien organisé et un autre perdu quelque part aux confins du Caucase.
La carrière d'
Avétis Aharonian, résumée ci-dessus, constitue évidemment la réponse. En patriote arménien, il a dû souffrir de l'écart entre les conditions de vie de son peuple dans ce coin reculé du globe par rapport à ceux des citoyens helvétiques. Mais justement sa carrière démontre ses énormes efforts pour combler cet effarant retard. On ne peut qu'admirer son parcours et regretter qu'à l'âge de 68 ans, en 1934, il fût terrassé par une crise cardiaque, qui l'a condamné à une existence de plante jusqu'à sa mort, en 1948 à Marseille.
L'ouvrage vaut la peine d'être lu parce qu'il nous dépeint un monde, que nous ne connaissons pas, par un homme de grande valeur. Comme bonus, nous avons droit à une traduction superbe par Mme Haroutunian, qui, en notes de bas de page, nous explique patiemment plein de termes, us et coutumes arméniens. En fermant ce livre, il vaut mieux ne pas penser aux souffrances de ce peuple causées par un régime turc écoeurant.
Bien que ce soit vite dit ! Il y a quelques semaines, je suis tombé sur un article de presse qui relatait les protestations véhémentes des ultra-nationalistes turcs de l'ASIMIDER (Organisation turque de lutte contre les allégations arméniennes), parce que le maire de Tuzluca avait eu l'audace d'afficher des souhaits de bienvenue dans sa ville en arménien. Deux petites remarques : ces mots de bienvenue étaient également inscrits en langues anglaise, turque et kurde, et Tuzluca se trouve à 50 km de Iğdir où
Avétis Aharonian est né exactement 150 ans avant !