Argenteuil marquait une phase capitale dans la première période de sa vie. Il cessait d'être nomade, ne s'étant guère fixé un moment qu'en campement à Fontainebleau en compagnie de Renoir et de Sisley. Combien de fois Renoir m'a-t-il conté ce moment d'anxieuse insouciance de trois jeunes peintres inconnus, dénués de ressources et résolus à n'en pas acquérir par les formules qui avaient alors le succès. Sisley représentait la gaîté à toute épreuve, lui devenu plus tard si sombre ! Renoir ingénieux, spirituel, sensible, moqueur, recourant à l'occasion, pour le gagne-pain commun, à l'exécution au compte d'un marchand spécialiste, de faux Théodore Rousseau qu'il réussissait suffisamment. Monet, lui, personnifiait la volonté, la volonté concentrée et inflexible. Lorsqu'il fut enfin fixé à Argenteuil, chez lui, la vie put présenter encore des heures difficiles, mais la nature se découvrait à lui plus vaste, on pourrait dire plus respirable.
Les oeuvres de Carriès ne sont pas anecdotiques ; elles dépassent toujours les titres qui leur ont été donnés, et elles suggèrent chez le spectateur des idées plus générales et plus complexes que ne feraient un réel portrait, contemporain ou rétrospectif, une figure dans une action déterminée; elles provoquent des émotions plus vives et qui vont jusqu'à une sorte d'inquiétude.
Johan Barthold Jongkind est un peu comme un de ces arbres poussés tout seuls dans un sol qui a déjà produit beaucoup, mais qui se trouve redevenu fertile en faveur de ce providentiel intrus. Il était instinctif, un peu braque, doué d'une extraordinaire faculté graphique. C'était l'arbre à dessin.
Il est des peintres qui, au contraire, sont aussi séparés de nous que l'on peut l'être par une photographie; d'autres enfin qui nous surprennent par leur habileté, ou par leur maladresse, et ceux-là dépassent le but, ceux-ci ne l'atteignent pas.
Il arrive ainsi qu'en dernier ressort, dans un beau paysage, le principal personnage, ce n'est pas la nature, c'est nous-mêmes.