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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Remarquable témoignage ! Comment résister à l'enfermement, comment survivre à une arrestation arbitraire, comment inverser les rôles et vaincre ses bourreaux par la force des mots, comment s'évader de prison avec humour et poésie, comment rester libre envers et contre tout... le style est très beau, les instants croqués restent légers malgré l'horreur du réel. Ahmet Altan a écrit en prison où il avait été enfermé, sans fait avéré, suite au coup d'État qui visait Erdogan. Il a été libéré en 2021 après 6 ans d'enfermement. Son livre est très inspirant !
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Gunes, c'est mon ami Kurde.

Il a cinquante ans, des moustaches à la Mustafa Kemal – il n'aime pas quand je lui dis ça – et il est très gentil, même s'il est raciste.

Gunes a fui la Turquie en ‘99 parce que ça puait un peu pour lui.

Il a eu du nez, vu que quelques jours plus tard, Ocalan partait casser des cailloux.

(Pas vraiment, m'enfin, tu vois ce que je veux dire.)

Donc, comme tu t'en doutes, Gunes n'aime pas les Turcs.

Tous, sauf deux.

Le premier, j'ai pas vraiment compris qui c'était. Un camarade de chantier, je crois. « Honnête pour un Turc », selon Gunes.

Le deuxième Turc honnête, toujours selon Gunes, c'est celui qui a écrit ce livre dont je m'apprête à te parler.

Introduction courte pour une fois, mais pour un livre pareil, je ne peux pas me permettre de divaguer et parler comme à mon habitude de feu mon chien Philippe, ou de ma grand'mère docteure ès Scrabble, qui a par ailleurs découvert qu'elle pouvait aussi m'humilier au Trivial Pursuit spécial Pays Guérandais.

(Oui, ça existe.)

- Mais alors, quel est donc ce livre ? me demandes-tu tout de go, car tu en as assez que je m'éloigne du sujet.

C'est un ensemble de textes écrits par Ahmet Altan.

Jusque-là, rien de bien fifou me diras-tu, mais il y a une petite info importante :

Ce sont des textes écrits… en prison.

Rien que ça.

Je vois qu'au fond on fronce les sourcils. Petit rappel historique s'il s'avère que mon lectorat vit dans une grotte.

Je ne t'apprends rien quand je te dis qu'en juillet 2016, une tentative de putsch pas piquée des hannetons a failli évincer Tonton Erdogan du pouvoir.

Tu noteras « failli », hein. Que je n'ai hélas pas mis pour faire joli. Nan mais voilà.

En somme, ça n'a pas servi à grand'chose, sinon de permettre audit Erdogan de rappeler qui c'est qui commande en Turquie.

Suite à cela, on assiste à une vague d'arrestations au sein de l'armée, des profs, des journalistes, et d'autres gens que mon papa salazariste qualifierait de terroristes, mais après c'est mon papa.

Parmi ces infortunés, il y a Ahmet Altan.

Ahmet Altan, c'est un romancier, mais aussi rédacteur en chef d'un journal qui, du coup, n'existe plus.

Il est accusé d'être complice du putsch et d'y avoir incité les populations par, je cite, « messages subliminaux ».

Ridicule ?

Oh, légèrement.

Il est condamné à la perpétuité aggravée.

Pour des « messages subliminaux ».

Et les prisons turques ne sont pas nos prisons françaises.

Tu as vu Midnight express ?

Bah, voilà.

Mais dans son malheur, Ahmet a de la chance. Il est écrivain. Donc il sait rêver.

C'est comme ça qu'il va s'en sortir. En laissant son esprit s'enfuir de sa cellule sordide.

Il médite, il rêve.

Il écrit.

Ses réflexions, elles sont ici, dans ce livre.

Il y a un peu de son histoire, aussi. Mais surtout beaucoup de rêves, de pensées sur la religion, le combat. le courage. La vie.

Et puis il est sorti de prison en novembre 2019. Super nouvelle. Mais c'était partir pour mieux te retrouver, donc il y retourne une semaine plus tard.

Mais finalement, Ahmet en est sorti en avril dernier. Parce qu'enfermer un journaliste, ça fait tache. Donc, pour l'instant, il est libre.

- Bonne nouvelle, me dis-tu.

Oui, c'est certain. Même si ce n'est sans aucun doute qu'un sursis, et qu'à la prochaine incartade, il pourra aller jouer aux billes avec Apo Ocalan.

D'autant qu'il reste encore une bonne partie de personnes détenues dans l'enfer des prisons turques pour des motifs invraisemblables. Quand ils ne sont pas inventés. Et l'ONU ne s'en mêle pas. « Tous des connards de terroristes », me rappelle Papa avec un ton docte.

Cela dit, les libraires se frottent les mains, c'est l'occasion pour eux de vendre de nouvelles éditions des textes de prison d'Ahmet.

Et comme des cons, on achète, parce qu'il faut se cultiver et être à jour sur les actualités, c'est Madame Profdesciencespodemesdeux qui nous l'a dit.

Oui, cette même dadame qui t'explique droit dans les yeux que la Turquie est une démocratie, que les ouvriers ne sont pas à plaindre car ils ont tout de même un bon pouvoir d'achat, et que les indépendantistes sont forcément des terroristes. Ah oui, et que les Kurdes, on s'en soucie comme d'une guigne, après tout ils sont pas nombreux. Et il faut nuancer, hein, ce sont aussi des terroristes.

Pardon, il fallait que ça sorte.

- T'es bien mignonne, la Galette, à pleurer sur le sort des opprimés, mais qu'est-ce qu'on peut faire ? t'enquiers-tu.

Bonne question.

Pas grand'chose.

Un manchot empereur hispanophile de ma connaissance soumet l'idée de boycotter les produits turcs.

J'aime bien l'idée. le boycott est une jolie forme de révolution pacifique. Qui parfois porte ses fruits.

(C'est pas Allende et ses mines de cuivres qui diront le contraire.)

Donc maintenant, je n'achète plus de clémentines turques, et j'ai proposé à Maman de changer le lave-linge, qui est de la marque Beko.

Mais là, elle m'a dit d'arrêter avec mes idées d'utopistes à la mords-moi le jonc.

C'est surtout que le lave-linge fonctionne encore, et qu'elle culpabiliserait d'en prendre un autre, c'est pas très écolo tu comprends. Les reportages alarmistes de Yann Arthus-Bertrand font leur effet, c'est bien.

Enfin voilà. La synthèse de tout ce billet, c'est que ce livre est un très bon livre, un témoignage d'une importance capitale en ces temps incertains. Que tu peux lire quand tu es déprimé, comme ça tu pleures encore un peu et ça fait du bien. Ou alors tu relativises. Ce qui fait du bien aussi.

Gunes me l'a offert en me disant que c'était important que j'aie une autre vision de la Turquie. Dans le sens qu'il faut comprendre qu'il n'y a pas que les Kurdes qui crachent sur le régime en place.

Noble intention.

Je pense l'offrir à la dadame qui fait des amalgames un peu trop rapides entre Kurdes et terroristes.

Quant à toi, tu le liras sur mes bons conseils, et tu en jugeras par toi-même.

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Si un livre doit mener son auteur vers le prix Nobel de littérature (ou de la paix, ou les deux) ce serait bien celui-ci.
Ce recueil de textes de prison, écrits en prison, par un grand lettré, un très grand lettré est juste époustouflant (et son traducteur français a fait fort).
Quelle force de caractère, quelle résilience, quelle grandeur d'âme. Tout est d'autant plus admirable qu'il est condamné sans raison, si ce n'est celle d'un dictateur qui ne tolère pas les opinions divergentes. Mais c'est surtout l'éloge de la littérature, l'amour des plus grands écrivains, qui forcent l'admiration. La passion des livres et des librairies lui ont permis de tenir bon, de résister au néant d'un emprisonnement scandaleux et sans raison et regarder foi en l'humanité. Vraiment, une leçon de vie qui mérite un Nobel de littérature rien que pour ce seul essai.
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Ahmet Altan, écrivain et journaliste turc a été emprisonné en 2016 pour des raisons éminemment politiques, tout comme son père quarante-cinq ans plus tôt, et en même temps que son frère Mehmet. Il a alors 66 ans, et sera condamné à perpétuité. Libéré en novembre 2019 il a été de nouveau arrêté et est incarcéré depuis.
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Au travers de 19 textes réunis par Actes Sud, dans une langue assez poétique et semblant légère, il nous parle de la réalité de l'enfermement et nous replace face à ce qu'est la vraie liberté.
Aucune charge politique ici, juste des instantanés de vie témoignant d'une force de résilience inouïe et nous mettant face à nos ineptes plaintes du quotidien.
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Et puis, tout à coup, apparaît la force de la littérature qui chez cet homme érudit va être comme une porte ouverte pour supporter l'insupportable.
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Contrairement à ce que j'appréhendais, ce livre est profondément optimiste et je ne peux que vous le conseiller.
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On lit dans la presse, on entend à la radio l'arrestation de tel ou tel en Turquie, et puis on oublie.

Ahmet ­Altan, journaliste et écrivain turc, a été accusé de complicité dans le putsch de juillet 2016.
Lors d'un premier procès la cours constitutionnelle avait décrété son emprisonnement inique mais cela importe peu au pouvoir et à Mr Erdogan et le 16 février 2018 il est condamné à la « Perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle » condamnation annoncée par un juge fantoche tel un « personnage de Gogol »
« Nous ne serons jamais graciés, et nous mourrons dans une cellule de prison » a dit Ahmet Atlan
Alors il prend la plume et le titre du livre en forme de prédiction est glaçant et d'une tristesse infinie.
« Je n'ouvrirai plus jamais une porte moi-même »
« Je ne verrai plus la mer, je ne pourrai plus contempler un arbre, je ne respirerai plus le parfum des fleurs…. »
« J'ai observé les murs. On aurait dit qu'ils se resserraient.Et soudain j'ai eu l'impression qu'ils allaient se refermer sur nous, nous broyer, nous avaler comme une plante carnivore. »

J'ai été frappée par l'affirmation de l'auteur qui dit qu'au fil du temps on fini par oublier son propre visage en l'absence de tout miroir.

Comment vivre et ne pas perdre espoir ? Peut-être « s'accrocher aux branches de son propre esprit ».
Communiquer avec ses compagnons de cellule même si c'est à la fois difficile et surprenant. Des hommes très pieux pour certains, d'autres habités par la tentation de la délation qui leur permettrait de sortir

Des hommes qui ne parviennent pas à croire que l'on peut être athée sans être immoral ! Alors Ahmet Altan convoque Pascal et Spinoza à l'aide.
Dans la cour sa marche forcée est prétexte à des « disputes avec lui-même ».
Après l'annonce de sa condamnation, pour supporter l'angoisse il se tourne vers la littérature.
« nous n'écrivons que ce que nous pouvons, comme nous le pouvons ».

Il revient à ses auteurs de prédilection : Tolstoï, Balzac, Dostoïevski.
Il refuse de se réveiller en prison et imagine des contrées lointaines toujours un peu teintées de littérature : la savane africaine, les fjords de Norvège ou la datcha du Docteur Jivago.
Il rend alors hommage à Sénèque, Épictète ou Boèce dont les textes l'aident à se sentir plus humain encore.

Son frère animateur à la télévision a été arrêté en même temps que lui, c'est presque une tradition familiale, le père de Ahmet Altan a lui aussi connu les prisons turques en 1971 et fut à répétition accusé de diffamation contre l'Etat.
Philippe Sands, auteur de l'essai Retour à Lemberg lui a rendu visite en prison.

Libéré il y a une semaine après que le jugement ait été cassé en juillet 2019 , il est de nouveau arrêté le 12 novembre 2019
« Je suis écrivain, Vous pouvez me jeter en prison, vous ne m'enfermerez jamais car comme tous les écrivains, j'ai un pouvoir magique : je passe sans encombre les murailles. »

En lisant ce livre j'ai repensé à tous les condamnés célèbres, Dostoïevski, Chalamov, Soljenitsyne, Mandela.
J'ai eu envie de relire le manifeste d'une liberté par la littérature de Joseph Czapski
Un livre qui est une leçon d'espoir
« Je sais que l'Etat de droit qui a été fusillé, blessé et qui gît inconscient dans son sang, guérira éventuellement et reviendra à lui. »
Lien : http://asautsetagambades.hau..
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L'auteur est essayiste, journaliste et écrivain. Il a été rédacteur en chef du quotidien "Taraf" jusqu'en 2012. Suite à la tentative de putsch contre Erdogan, en juillet 2016, une vague d'arrestations a lieu en Turquie, de manière totalement arbitraire, parmi les journalistes, les enseignants, les intellectuels et tous ceux qui se sont engagés, par leurs écrits ou leurs propos, contre le gouvernement en place.

Ahmet Altan et son frère (journaliste et professeur d'économie) sont arrêtés, comme leur propre père, quarante cinq ans auparavant. L'auteur sera condamné à la perpétuité en 2018, car accusé d'avoir incité la population à la révolte. Un nouveau verdict permettra dans un premier temps de le libérer, mais il sera arrêté à nouveau, quelques jours après.
Dans ces dix-neuf textes, poignants, mais tellement vivants et dignes, écrits du fond de sa cellule en toute discrétion, et sortis des lieux par ses avocats, feuillet après feuillet, l'auteur nous décrit son quotidien, sa solitude, la solidarité qui s'installe peu à peu entre les hommes, tous là pour les même raisons obscures.
Jour après jour, qu'ils soient croyants ou pas, jeunes ou plus âgés, ils font connaissance, ils se racontent et échangent des anecdotes sur leurs vies, leurs familles, leurs croyances, dans une grande tolérance qui est, pour nous, une belle leçon de vie.

L'auteur sait particulièrement bien exprimer ses doutes, partager ses réflexions sur la liberté, la croyance religieuse, l'amour et bien d'autres sujets, et nous faire part de ses espoirs. le lecteur ne peut qu'admirer son courage, alors qu'il vit dans des conditions épouvantables, et qu'il va connaître la torture et l'humiliation.
L'auteur nous parle aussi de ses lectures, et de l'importance de ne jamais cesser d'écrire, pour se sentir vivre en tant qu'écrivain même dans ce lieu. L'écriture pour lui, tient autant de la résistance, que du rêve éveillé, et de l'envie qu'on ne l'oublie pas, lui qui croupit dans cette cellule, loin des siens et du monde.
Il nous décrit ses deux procès avec une pointe d'humour, ce qui rend leur lecture supportable, car comment rester de marbre devant telle injustice. Les droits élémentaires de l'homme sont bafoués, même le juge n'en revient pas d'avoir à s'occuper d'une telle affaire. Tout n'est que mise en scène.
L'auteur nous livre toute une série d'actions simples que nous faisons tous les jours en liberté et que lui ne peut plus faire comme...se regarder dans un miroir, ouvrir une porte tout seul pour sortir, embrasser ceux qu'il aime, regarder le ciel sans barreaux, autant de preuves criantes de la privation de liberté. le pouvoir des mots est terriblement évocateur.
Le lecteur ressent cette détention au fin fond de lui-même, comme s'il était lui-même enfermé.

C'est un livre dont il est très difficile de parler, car tout est dans l'ambiance, dans les mots et le ton employés, tout en pudeur et retenue. L'auteur sait mettre la juste distance entre les évènements vécus et son ressenti. Il reste digne et cela nous touche et nous révolte d'autant plus.
Je ne peux que vous inviter à découvrir ce livre empli d'humanité. Bien que certains passages soient terriblement choquants, vous vous en doutez, il est porteur d'espoir, car l'auteur sait mettre de la légèreté dans ses propos. Il nous invite à rêver, à mettre de la poésie dans notre vie, à croire en la puissance des mots et de la liberté. Personne ne peut nous prendre nos pensées. Pourtant lorsqu'il écrit ces réflexions, du fin fond de sa prison, l'avenir de l'auteur est bien obscurci.

C'est un livre accessible à tous qui n'est pas un livre politique mais un témoignage. Il ne peut qu'inviter le lecteur à vouloir en savoir davantage sur ce qui se passe en Turquie, et il est donc édifiant à ce propos. Il peut être lu dès le lycée afin de susciter des débats en classe, sur l'acte d'écrire, la privation de liberté, les droits de l'homme ou la liberté d'expression.
La Cour Européenne des droits de l'homme a condamné l'Etat turc à cause de la détention injustifiée d'Ahmet Altan. Il a été libéré par les autorités turques le 14 avril 2021. J'avais acheté ce livre en librairie, la veille. Il était temps que je vous le présente.
Lien : https://www.bulledemanou.com..
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Suite à la tentative de coup d'état de 2016 en Turquie, une série d'arrestations arbitraires a été décidée dans différents corps de métiers du pays. Les journalistes et écrivains ont subi le même sort. 

Ahmet Altan a été accusé par le gouvernement turc de diffuser des messages subliminaux. Il décrit son arrestation au petit matin avec son frère Mehmet. Il pense à son père qui quelques quarante-cinq plus tôt aussi un matin a été arrêté. "Ce que je vis n'a rien d'un "déjà vu". C'est la répétition d'une même réalité". (Extrait du livre).  

"Quarante cinq ans d'un seul matin pendant lequel mon père était mort et où j'avais vieilli, mais dont l'aube et ses intrus demeuraient inchangés". (extrait du livre)

Ce livre écrit en prison est un magnifique plaidoyer pour la liberté. Un écrivain peut-il devenir un modèle de courage et de résistance en écrivant des textes, dans des conditions inhumaines ? Il est évident que oui. Il suffit de lire  les textes d'Ahmet Altan pour comprendre ce que veut dire la résistance à l'oppression et la défense des valeurs humanistes.

Le début du livre est un déchirement devant l'injustice de son arrestation, mais Ahmet Altan nous propose une autre façon de la regarder. Page après page, Il nous invite à le suivre dans son cheminement intellectuel. D'abord, il y a son attitude distante face aux policiers qui viennent l'arrêter. A un policier qui lui offre une cigarette, il répond : J'ai secoué la tête en souriant : "Merci, je ne fume que quand je suis tendu". Cette réflexion déroutante et d'une force incroyable qui nous invite à sourire malgré tout. 

Puis, Ahmet Altan nous incite à réfléchir avec lui sur sa condition d'écrivain. Une question va être le fil rouge de ce livre : peut-on mettre un écrivain en prison ? Si on écoute les arguments d'Ahmet Altan, et bien non ! Un écrivain est un homme libre qu'aucune prison ne pourra enfermer. C'est toute la force de la littérature.

J'ai souri au policier qui me regardait à travers les barreaux. Vu de l'extérieur, j'étais un vieil Ahùet Hüsrev Altan aux cheveux blancs, allongé par terre dans une cage sans air et sans lumière, fermée par des barreaux en fer. Mais cela, c'était la "réalité" de mes geôliers. La mienne est tout autre. Moi, j'étais un jeune officier qui mange tranquillement des cerises, un pistolet braqué sur le coeur, j'étais Borges répondant "la vie" au voleur, j'étais César qui fait dresser des murs à Alésia. Parce que moi, il n'y a que quand je suis "tendu" que je fume (Extrait du livre)

"Ma vie serait faite de toutes ces invisibles luttes que livre la conscience entre quatre murs : j'allais être contraint de vivre en m'accrochant aux branches de mon propre esprit, les pieds suspendus au dessus du gouffre, sans pouvoir jamais m'abandonner, ne serais que l'espace d'un instant  de faiblesse, à ces douces ivresses qui font dévier les hommes de leur route. J'étais face au monstre de la réalité" (Extrait du livre)

"J'écris ces lignes dans ma cellule. Mais je ne suis pas en prison. Vous pouvez m'emprisonner mais vous ne pouvez pas me garder ici. Comme tous les écrivains, je suis magicien. Je peux traverser vos murs sans mal." (Extrait du livre)

Ahmet Altan nous raconte aussi comment le système carcéral broie les hommes. Il y a la promiscuité qui empêche toute intimité, les procès de mascarade qui enlèvent tout espoir de justice, les proches à l'extérieur qui attendent...

Des pages qui font réfléchir, des pages qui nous émerveillent de beauté par le style de l'écriture, des pages qui nous horrifient :  "Je ne reverrai plus le monde" c'est tout cela à la fois.

Ahmet Altan est un immense écrivain, qui nous montre le chemin de la liberté. Un écrivain que nous devons lire pour qu'il ne meurt pas. 

 Ahmet Altan a été libéré le mercredi 14 avril 2021. 
Lien : http://ecriberte.over-blog.c..
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Un grand écrivain turc injustement emprisonné réussit à ne pas sombrer dans le désespoir grâce à la force de ses pensées et de ses rêves.
Il nous raconte une série d'anecdotes édifiantes sur sa vie passée et actuelle, ainsi que sur celle de ses compagnons d'infortune, pour lesquels le souvenir d'une journée heureuse ou encore le refuge de la prière permettent de survivre.
Cette belle leçon de courage n'est pas à la portée de tout le monde...
C'est l'histoire de la torture (psychologique) ordinaire, des petites mesquineries d'un absurde système judiciaire et carcéral et de certaines personnes.
Quel magnifique exemple de résilience (pour employer un terme à la mode, mais je n'ai pas trouvé de synonyme) !
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Par définition , l'indicible permet difficilement de s'exprimer en espérant partager nos ressentis . presque tous les écrivains ayant vécu en camp de concentration , au Goulag ou en prison politique ont connu la difficulté de partager leur vécu . Je pense à Kertész , Primo Levi et d'autres .

Vous avez du quitter une vie somme toute confortable , entouré de l'affection de vos proches , jouissant d'une liberté qui vous semblait naturelle , vous étiez quelqu'un parmi votre entourage . Et soudain , à l'improviste , le confort , l'affection , la liberté ordinaire , la reconnaissance se sont effacés de votre vie : Vous vous retrouvez enfermé dans un univers inconnu .

Ahmet Altan , vous parle de cela avec un grand réalisme , au travers de ses mots , de son style personnel . C'est le contenu de ce livre .

Il est poignant ! bien d'autres furent arrêtés et enfermés dans les mêmes conditions après le " putsch " contre Erdogan . Membres de ce putsch ou pas , ils ont connu le même sort . La force d'un romancier tel qu'Altan est d'avoir le ressort nécessaire pour dire ce qu'il vit . D'autres sont aussi auteurs d'écrits de prison ( Victor Serge , Jean-Marc Rouillan etc... ) , il y a de fortes chances pour qu'en Turquie d'autres " intellectuels " nous disent dans l'avenir leur vécu sous le régime dictatorial d'Erdogan . Souvenons nous qu'Öcalan , l'ex leader du PKK est enfermé dans une geôle turque depuis 1999 , qu'il est toujours emprisonné malgré ses 71 ans . La romancière Asli Erdogan , qui n'est nullement apparentée au dictateur est en prison depuis 2016 . On ne peut énumérer tous les emprisonnés tant ils sont nombreux . La " critique" de ce livre n'a que pour but de ne pas les effacer de nos mémoires .

Lisez Ahmet Altan , un grand auteur , un intellectuel sincère autant que courageux et faites le maximum pour boycotter tous les produits turcs , ce qui contribuera à affaiblir le roitelet turc vis à vis des industriels de son pays qui suivent sa voie par opportunisme financier et le lâcheront si la monnaie turque dégringole sérieusement .
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Au-delà des réflexions personnelles qui magnifient le travail de l'écriture, ce livre précieux est un formidable plaidoyer pour tous ceux qui en Turquie et partout dans le monde sont emprisonnés, torturés, supprimés alors qu'ils luttent pour la liberté d'opinion et de la presse.

Dans ce récit, nous accompagnons Ahmet Altan lors de son arrestation qu'il a anticipée de longue date sans en connaître le moment. Il conjure l'angoisse qui l'étreint alors par la réponse spontanée qu'il fait au policier dans la voiture où ce dernier lui propose une cigarette : "Merci, je ne fume que lorsque je suis tendu".

Puis nous partageons sa cellule, ses sentiments, ses réflexions, avec une pudeur, une profondeur, une intensité qui nous bouleversent jusqu'au vertige.

"Vous pouvez me jeter en prison, vous ne m'enfermerez jamais. Car, comme tous les écrivains, j'ai un pouvoir magique : je passe sans encombre les murailles".

Dans ce petit livre, on retrouve avec toute la force de conviction d'un écrivain lucide et respecté l'argumentaire mi-philosophique, mi-humouristique que seuls ceux dotés d'une force d'âme savent utiliser pour faire face à l'adversité. Ahmet Altan n'est certes pas le premier --ni hélas le dernier-- à retourner son emprisonnement contre ses geôliers et à se déclarer plus libre dans sa cellule qu'en dehors. Mais l'actualité de son propos, la justesse des termes employés et l'envergure de sa vision renforcent l'impact de son propos.

L'information suivante, parue en novembre 2019, souligne encore plus l'intérêt du cri poussé par Ahmet Altan : libéré en novembre 2019, il a déclaré : « Même si je suis heureux d'être parmi les gens que j'aime, ce n'est pas le moment de jubiler. Il est difficile de recevoir la nouvelle de sa propre libération quand des milliers d'innocents restent injustement détenus ». Il a été de nouveau arrêté quelques jours après sa sortie de prison...

Si ses juges risquent de l'oublier (ou de faire comme s'ils pouvaient l'oublier), ses lecteurs, eux, ne l'oublieront pas. Paradoxalement, la "sombritude" de sa cellule donne encore plus d'éclat à son message.

Voltaire, Camus, Garcia Marquez et tant d'autres auraient apprécié, c'est assez dire la force de ce court mais grand livre !
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