A la même heure, il y avait au fond d'une province française, à Caen, l'une des villes principales de la Normandie, une jeune fille de la plus noble naissance et du plus beau visage; une héroïne, une petite-fille de Corneille, mademoiselle Charlotte de Corday, qui prêtait chaque jour une oreille indignée, une âme attristée, aux bruits misérables qui venaient sans cesse, et sans fin, du fond de ce Paris des échafauds et des meurtres. La jeune fille hésitait, se troublait, et dans son âme et dans sa conscience. en songeant à Marat, elle se disait:« Cet homme est un crime, une honte, un monstre; il est le crime en personne; cet homme absolument doit mourir ! »
Quoique sa beauté et ses airs de souveraine eussent marqué sa place au milieu des grandeurs royales, Marie-Antoinette les regardait comme un poids; elle s'en débarrassait avec délices. Elle aspirait aux douces et libres causeries de l'amitié, aux tranquilles images de la vie des champs. La reine avait fait de Trianon son univers, un univers paisible et familier où l'idylle helvétique se mêlait aux enchantements de l'esprit.
Si un grand ministre s'était rencontré pour diriger les intentions droites et généreuses de Louis XVI, jamais Marie-Antoinette ne se serait mêlée de gouvernement; mais elle savait ce qui manquait au roi et ne voyait autour de lui personne pour diriger son profond amour du bien.