Qui mieux que
Jean Favier, longtemps aux commandes des Archives de France, pouvait nous donner cette Guerre de Cent Ans (1337-1453), sujet qui n'avait pas été traité avec la même ampleur de vue depuis des décennies ? Longtemps, ce fut Édouard Perroy qui fit autorité. Puis, en 1980, Fayard qui avait déjà publié le
Philippe le Bel de Favier, combla les lecteurs passionnés par le Moyen Age avec ce nouvel ouvrage.
La Guerre de Cent Ans de Favier n'est pas que le récit d'une guerre. Derrière ce conflit, qui a des racines lointaines et qui semble démarrer comme un simple conflit féodal entre un roi d'Angleterre qui prête hommage au roi de France pour ses possessions continentales de Guyenne et un roi de France trop heureux de voir un autre roi prêter un serment devant lui, il y a autre chose qui se joue, et cela conduira un siècle plus tard les deux pays à séparer nettement leurs destinées propres. Dans les troisième et quatrième décennies du XIVe siècle, les souverains d'Angleterre et de France n'étaient pas des rois ordinaires : le premier, Édouard III, parce que petit-fils de Philippe IV le Bel par sa mère, devenue épouse du roi d'Angleterre Édouard II, se permit de changer la donne et se promit de défier un jour ou l'autre le roi de France en titre ; le second, Philippe VI de Valois, parce qu'en 1328, la lignée des Capétiens directs s'était éteinte, avait accédé au trône de France alors qu'il n'était que le fils de l'un des frères de Philippe IV le Bel, et cette situation inédite pouvait justement faire naître les prétentions de deux autres personnages, Édouard III d'Angleterre et Charles le Mauvais roi de Navarre. le seul hic pour ces derniers était que la France exigeait de ses monarques qu'ils fussent en mesure de récupérer cet héritage non par la descendante féminine d'un roi mais seulement par voie masculine. Désormais, seule la solution armée permettait de régler ces différends ou tout au moins de bouleverser le jeu. Et, pour l'heure, c'était Édouard III qui avait le plus d'atouts dans sa manche. Il avait fait celui qui voulait empêcher les ateliers de tissage flamands de recevoir la laine des moutons anglais, matière première pour faire du drap et des vêtements. Il espérait ainsi entraîner les Flamands à se révolter contre leur duc, qui tenait pour le parti français, au motif que le roi d'Angleterre était mécontent du roi de France, comme ils l'étaient eux aussi. La combine marcha à merveille. Et ce n'est pas un hasard si le premier grand engagement du conflit, une bataille navale, eut lieu à L'Ecluse (Sluys), dans l'estuaire de l'Escaut, en 1340.
Cette défaite française sera suivie par bien d'autres : Crécy en 1346, où l'armée de Philippe VI fut humiliée, et Poitiers-Maupertuis en 1356, où le nouveau roi Valois, Jean II le Bon, fut fait prisonnier par le fils d'Edouard III, le Prince de Galles, appelé le Prince Noir. Un règne de sagesse sembla effacer tous ces désastres :
Charles V, tirant les leçons des échecs de son grand-père et de son père, refusa d'engager le combat en terrain découvert avec les armées du roi d'Angleterre et de ses lieutenants et préféra, avec l'aide de son connétable breton Bertrand du Guesclin, reprendre ville après ville et château après château toutes les places que les Anglais avaient conquises ou qu'ils conservaient en France, à l'exception de Calais et de Bordeaux.
A la mort de
Charles V, qui avait su aussi désamorcer un début d'insurrection bourgeoise dans la capitale avant même de monter sur le trône (révolte conduite par le prévôt des marchands, Étienne Marcel, qui voulait un contrôle rigoureux de l'emploi des fonds collectés par voie d'impôt pour que la royauté obtînt de meilleurs résultats sur le plan militaire que tout ce à quoi on avait pu assister), le royaume semblait pouvoir repartir d'un bon pied.
Mais le nouveau souverain, Charles VI, commit l'erreur d'inaugurer son règne en allant se battre contre les Flamands : ceux-ci conçurent contre les Français une haine qui n'allait pas s'éteindre de sitôt. Puis après de longues trêves avec les Anglais, l'arrivée d'un nouveau venu ambitieux, un membre de la famille des Lancastre, sur le trône d'Angleterre, connu sous le nom d'Henry V, nous valut la réouverture des hostilités et un nouveau désastre militaire à Azincourt (25 octobre 1415). Tout cela sur fond de querelle de plus en plus envenimée entre le duc d'Orléans, Louis, et le duc de Bourgogne, Jean Sans Peur, qui fit assassiner son rival en novembre 1407. Immédiatement, le comte d'Armagnac releva le gant au nom du duc lâchement abattu par une troupe de sicaires. Cette lutte acharnée se déroulait autour de la personne du roi Charles VI, qui avait par moments des accès de folie, et chacun, Armagnac ou Bourgogne jouait à etre son protecteur. le roi d'Angleterre s'était engouffré dans cette brèche pour battre les Français et leur imposer les dures conditions du traité de Troyes (1420) : le fils de Charles VI et d'Isabeau de Bavière, le Dauphin, était déshérité, Henry V épousait la fille du roi de France et il devait devenir le successeur de ce dernier à la mort de Charles VI. Henry V décéda peu avant Charles VI, mais cela n'empêcha pas Bedford, frère du défunt anglais, de gouverner en tant que régent, dans l'esprit du traité de Troyes, en attendant le couronnement et la majorité politique d'Henry VI, fils d'Henry V et de Catherine de France.
Et c'est alors que Jeanne la Pucelle vint secourir le dauphin Charles, qui vivait sur les bords de la Loire et de la Vienne, et qui se voyait menacé dans son royaume de Bourges par l'arrivée d'une armée anglaise sous les murs d'Orléans. Jeanne écarta cette menace en mai 1429 et mena Charles jusqu'au lieu de son sacre, Reims, où il fut couronné le 17 juillet de la même année.
C'est ensuite que les chemins de Jeanne et de Charles divergèrent : il voulait effacer une faute politique, le meurtre du duc de Bourgogne, Jean Sans Peur, sur le pont de Montereau, un événement survenu dix ans plus tôt et auquel il avait assisté, et il cherchait à se réconcilier avec le fils de Jean Sans Peur, Philippe le Bon. Jeanne ne comprenait rien à tout cela, elle voulait d'abord vaincre les Anglais et les Bourguignons, devenus provisoirement des alliés, et elle cherchait à leur reprendre Paris, tentative qui échoua en septembre 1429. Faite prisonnière par Jean de Luxembourg à Margny en mai 1430, alors qu'elle tentait de venir en aide à la ville de Compiègne que le duc de Bourgogne voulait assiéger, elle sera un peu plus tard livrée aux Anglais, et envoyée à Rouen, où ceux-ci avaient installé le centre de leur pouvoir en France, pour la faire juger par un tribunal ecclésiastique afin qu'elle fût condamnée comme hérétique et sorcière, elle qui se disait prophétesse et bénéficiaire de l'audition de voix célestes et qu'elle fût brulée sur un bûcher, ce qui lui arriva en mai 1431.
Charles VII trouva toutes les solutions pour tirer le royaume de la situation catastrophique dans laquelle il s'était trouvé : payante, une fois de mauvais conseillers comme La Trémoïlle écartés, sa stratégie de paix avec les Bourguignons conduisit au traite d'Arras en 1435, à la reprise de Paris en 1436 puis à la reconquête de la Normandie (reprise de Rouen en 1449, puis victoire de Formigny remportée par le peu aimé mais indispensable connétable breton Arthur de Richemont), et enfin à l'entrée en Aquitaine, à la reprise de Bordeaux et à la victoire décisive de Castillon en 1453, tout cela étant rendu possible par la création de forces militaires permanentes (au lieu de ne compter que sur les levées du ban seigneurial) et par une véritable reforme fiscale pérennisant les levées d'aides.
La guerre de Cent Ans était enfin achevée sur le plan militaire. Il fallut plus de temps pour récupérer Calais, qui pouvait toujours servir de tête de pont aux Anglais ou de point d'appui pour réembarquer s'ils tentaient de revenir. Mais, trop occupés par leurs affaires intérieures et la guerre fratricide des Deux Roses, qui opposa York et Lancastre, les espoirs de reprendre les hostilités sur le sol francais finirent par s'évanouir.
C'est tout cela que nous conta avec brio
Jean Favier, disparu en août 2014.
François Sarindar, auteur de :
Lawrence d'Arabie. Thomas Edward, cet inconnu (2010)