Extrait 2
Faut-il grimper un à un les barreaux de votre échelle de Jacob ?
Ou la descendre, comme on descend en soi-même, par seuils
successifs au long de la vie, en voyage depuis l’humus brun des
origines vers ce blanc éblouissant qui mange les paroles, dissout les peurs et les spectres.
Blanc chauffé à blanc, ouvrant sur… ?
Échelle ou marelle ?
Une marelle inversée, la terre à la place du ciel, le lourd au
sommet, pesant son poids de chair avec son fracas familier,
tandis qu’à l’étage inférieur, des fenêtres ou reflets de fenêtres
appellent, appellent.
Peut-être suffit-il de sauter ?
D’une case à l’autre, à cloche-pied, en toute innocence ?
Jouer ?
Jouer à en perdre haleine ?
Jouer très sérieusement.
Monter descendre monter descendre, de haut en bas et de bas en
haut, vite, de plus en plus vite, de plus en plus abandonnée, de
plus en plus confiante, comme un derviche cherchant l’extase,
comme le poète Rumi chantant les atomes de l’univers, ivre du
« Soleil de Tabriz ».
Votre tableau est un « Soleil de Tabriz ».
J’attends qu’il me consume.
Trois petits tours et puis s’en vont....
Trois petites vieilles trottinantes
Trois silhouettes noires bonnets blancs
lancées
sur le toboggan du monde
sur la pente descendante du temps
Où glissent-elles avec leurs invisibles patins de feutre ?
Sur quel plancher sans fin, lisse et sans écharde, balayé
d’un coup d’ocre beige, négligemment, comme pour les
aider à quitter la scène ?
Circulez, circulez
Ne sentez-vous pas mugir le vent sous vos jupes gonflées
d’automne sur vos chairs cuites vouées au trou
sur vos visages de feuille de vigne inclinés vers le sol
sur vos mains dérisoires qui ont prié en vain
Circulez circulez(...)
Extrait 1
Faut-il me jeter tête en avant dans votre toile en feu ?
Choisir la plus rouge, la plus incandescente, la plus haute ?
Traverser des parois de coquelicots des gorges de salamandres
des pépins de grenades des gouttes de sang frais ?
Devenir torche ou tornade ?
Qu’enfin tombe en cendres le trop qui m’entrave.
Qu’enfin s’ouvre l’au-delà caché derrière l’iris.
Approcher, ne serait-ce que d’une largeur de paume, la calme
vibration de ce qui brûle, là-bas derrière les pigments, dans un
tout près insaisissable, dans un sans cesse habité par la joie —
oui, la joie, je veux le croire.
Séjour de la lumière, comment te rejoindre ?