Vous avez dit :
Mise en scène ?
En mai 1981 se produisit, en France, un événement étrange et comique, mais dont la valeur de symptôme n’échappa à personne. Valéry Giscard d’Estaing, président de la République sortant, battu par François Mitterrand et voulant faire aux Français des adieux publics, s’adressa à eux à la télévision. Le dispositif adopté était simple : assis face à la caméra, le président disait, les yeux dans nos yeux, le texte de son allocution, baissant seulement parfois le regard pour consulter ses notes. Cadré d’abord à la poitrine, il arrivait peu à peu en gros plan, puis, au moment de l’exorde final, le cadre s’élargissait d’un coup de zoom, et on le découvrait assis derrière une table sur laquelle on apercevait les micros, les feuillets écrits de sa main, et un petit bouquet de fleurs bleues, blanches et rouges. Giscard se tut un instant, toujours fixant la caméra et le téléspectateur, puis dit sobrement : « au revoir », se leva, sortit du champ par la gauche et vers le fond. Cette sortie, en soi, était déjà étonnante, puisqu’elle obligeait l’homme politique à nous tourner le dos. Mais en outre, après son départ, la caméra continua de cadrer la table, le siège, le bouquet de fleurs et les micros, tandis que retentissait l’hymne national, durant près d’une demi-minute – durée en soi brève, mais, dans les circonstances, interminable. Cette sortie fut abondamment commentée dans les médias, chacun se demandant si ce champ et cette chaise vides étaient intentionnels et à lire symboliquement, s’il fallait y voir le geste de sabotage d’un technicien résolu à ridiculiser le président sortant, ou simplement un accident, dû à l’insuffisante préparation de l’émission.
Jacques Aumont, L'Absence, l'Oubli.