The New York Times Book Review annonce sur la couverture de l'édition à ma disposition « Banville reprend les codes d'un
Agatha Christie avant de les faire voler en éclats d'une main de maître ».
Agatha Christie n'ayant jamais été ma tasse de thé – je n'ai pas pu me retenir -, ce sont mes plaisirs de lecture préalables de
John Banville/Benjamin Blake qui m'ont incitée à lire
Neige sur Ballyglass House. Mais, à mon grand désespoir, durant de nombreux chapitres, j'ai craint de regretter mon choix, car l'auteur charge le début de l'intrigue de tout ce qui a fait la notoriété de son illustre consoeur : une grande demeure dans la campagne irlandaise, délabrée, où vit une famille désargentée dans le déni de son déclassement financier, politique ou social ; une bibliothèque pourvoyeuse de cadavre ; des habitants tous un peu dingos vivant en vase clos ; un policier – Strafford – asocial, qui limite ses contacts avec les communs des mortels et plus encore avec les femmes : « Il n'était tout de même pas en train de tomber amoureux d'une femme qu'il n'avait vue que quelques minutes ? Amoureux ? Voilà qui l'obligerait à revoir à la baisse la haute idée qu'il se faisait de lui-même »..... Et puis cette météo : il neige, il neige, il neige... Sans discontinuer .. du Agatha pur jus. D'ailleurs, l'un des personnages ne dit-il pas : « Encore un peu et Poirot en personne va entrer en scène ». Comme lui, je n'étais pas loin de le penser.
A ce stade, je m'ennuyais en contemplant Strafford hocher la tête au cours de conversations au coin du feu, faisant office d'enquête, ou commentant la blancheur hivernale, quand au décours d'un chapitre,
John Banville évoque en deux phrases le Docteur Quirke. Immédiatement, j'ai levé un sourcil, voire les deux. Quirke, héros de
Benjamin Black, alias de l'auteur, interprété par
Gabriel Byrne dans une mini-série de Rté One. Quirke/Byrne, l'un de mes héros littéraires et télévisuels... Gabriel, si tu me lis, veux-tu m'épouser ?
Quelques éléments du récit ont commencé à me turlupiner. D'une part, pourquoi un écrivain, sauf erreur de ma part, irlandais, rendrait-il un hommage à une romancière anglaise, possiblement ennemie héréditaire ? D'autre part, j'ai bien noté que la bibliothèque d'une famille protestante, parpaillotte si l'on veut être péjoratif (huguenote dans mes Cévennes), n'abrite pas un cadavre susceptible d'exciter le colonel Moutarde ou les insupportables cellules grises de Poirot, mais un curé, catholique de son état. Or,
Agatha Christie ne se serait jamais mêlée de politique ou de conflits religieux, ce que fait
John Banville avec beaucoup de subtilité. Page après page, il perfuse dans son roman, d'abord au goutte à goutte, les soubresauts historiques des guerres civiles qui ont embrasé l'Irlande. Il décrit sans avoir l'air d'y toucher un pays où les deux parties ont des motifs d'amertume ; où le Bushmills est censé être le whiskey des protestants, et le Jameson celui des catholiques ; où en 1967 les préservatifs étaient illégaux ; où l'on propage l'idée que le protestantisme n'est pas une religion mais une réaction à la religion ; où les membres du clergé sont intouchables, au nom de quoi ? Je m'enflamme mais il fait chaud, alerte canicule en cours.
Et puis le nom du prêtre assassiné « Lawless », sans foi ni loi dirait-on en français, ne contient-il pas un message explicite ? Impossible d'aller plus loin sans spoiler car ce serait dommage d'écornifler le plaisir des futurs lecteurs. Je me contente donc de dire que
Neige sur Ballyglass House doit infuser avant de lâcher tous ses arômes. En conclusion, il m'est venu une idée car j'aime vivre dangereusement : et si ce roman n'était pas un hommage ou même une parodie affectueuse d'Agatha mais tout au contraire la dénonciation de ses idées lénifiantes, de son monde ouaté dans lequel l'insupportable Poirot astique sa moustache, pendant que dans la vraie vie des guerres fratricides ont lieu.... Sans confession, pas d'absolution.