Le petit oiseau blanc existe en plusieurs instants et revêt plusieurs formes. C'est bien sûr le titre du roman tenu entre nos mains. Un homme, le capitaine W., fait le récit d'une histoire. Observateur des choses, des humains et de ses propres rêves. Il s'adresse au lecteur comme le ferait un metteur en scène. Mais il brouille les pistes, les identités. le narrateur parle d'un certain David. Au début, celui-ci est un oiseau, comme le sont tous les enfants avant leur naissance. Ensuite, l'auteur "organise", en quelque sorte, le mariage d'une femme admirée et aimée, plus jeune que lui, et autour de laquelle il va tenter d'exister. La famille est voisine. David devient un bébé. le capitaine W. s'immisce dans l'espace vacant au milieu de ces êtres dont il est le témoin depuis ses fenêtres. Il se voit accorder le privilège d'accompagner David dans des promenades qui aboutissent toutes aux portes des Jardins de Kensington, là où réside
Peter Pan depuis son évasion.
A partir de ce moment, l'histoire se concentre sur les lieux et les personnages du jardin. Autour du bassin rond qui trône au centre du jardin, circulent les enfants sages ou espiègles avant de céder la place aux créatures de la nuit, après la fermeture. Les deux sociétés ne doivent jamais se rencontrer. Mais rien n'est impossible sous la plume de Barrie.
Le capitaine W. et David inventent les aventures fantastiques dans lesquelles ils jouent les premiers rôles et où se glissent parfois de nouveaux personnages, réels ou imaginaires. David grandit, il va avoir 8 ans et bientôt, il devra quitter les jardins et l'enfance et apprendre à être grand. Bientôt il aura une soeur, ou un frère. Il avoue au capitaine W., qu'il appelle "père", que sa mère nourrit l'intention d'écrire un livre qui aura pour titre "le petit oiseau blanc". Au lieu de cela, elle conçoit une fille.
Le capitaine W. décide alors d'écrire le livre à sa place, de lui offrir, souligné d'une émouvante dédicace. Ce livre, nous le tenons entre nos mains. La boucle est fermée. Chaînon fulgurant d'un amour assez fort pour rester secret. Matérialisation de l'ombre d'un désir, ou d'un désir qui sort de l'ombre. Comment savoir ? Car Barrie illustre dans ce roman sa vie à lui, ses sentiments. Tout est dit.
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Il est des livres impossibles à commencer. Non pas qu'ils soient hermétiques ou pires inintéressants. Non, ce qui m'a retenue quelques temps est plus délicat. C'est une sorte de vénération de ce livre estimé avant la lecture. Il est là, et je n'ose l'entreprendre. Il faut attendre le moment déclencheur, comme un départ à perdre haleine. Patiemment. Parce que l'échauffement doit parfois être lent. Lenteur désirée inconsciente. Préface en tour de piste recommencé à épuisement. Encore et encore.
…il vola tout droit jusqu'à la fenêtre, qui était toujours ouverte pour lui. Mais la fenêtre était fermée et il y avait des barreaux et, à travers eux, il vit sa mère qui dormait paisiblement, les bras enlacés autour d'un autre petit garçon.
Avant ce livre je n'avais jamais prétendu m'intéresser au nom du traducteur, imaginant que n'importe quel érudit maîtrisant la langue originale de l'auteur fabriquerait de manière égale le livre considéré. On pourra bien sûr me taxer de délit d'initiée parce que je ressens un profond attachement à la traductrice, cependant, elle ignore encore au moment où je rédige ce billet, ce que j'ai pensé du livre et n'a certes pas besoin de mon avis pour savoir à quel point Barrie est un auteur d'exception.
Céline-Albin Faivre connaît l'univers de l'auteur, qui se développe autour de l'auteur lui-même, auquel elle voue une très grande affection, au point d'avoir l'énergie de lui consacrer un site délicatement présenté, rédigé dans une prose qui n'appartient qu'à elle et qui est sa signature, et c'est ce qui rend la lecture encore plus sincère.
... il n'y a pas de seconde chance, pas de seconde chance pour la plupart d'entre nous. Quand nous atteignons la fenêtre, l'Heure de la Fermeture a sonné. Les barreaux en fer sont mis pour la vie.
Certains passages m'ont émus jusqu'aux larmes. Je suis sûre qu'il n'en aurait pas été de même avec une autre traduction, sans pouvoir me l'expliquer. Car il y a de l'âme qui passe au moment de choisir le mot. Un transfert imperceptible, une rencontre irrationnelle, semblable à la trajectoire suivie par deux oiseaux qui s'envolent de deux terres séparées et glissent au gré des vents avant de se rencontrer. Frôlant leurs ailes, produisant une diffraction de mille couleurs en un arc hyperbolique, arc en ciel généreux d'une osmose intemporelle. Un dernier regard avant de repartir chacun dans son univers, son époque, vibrant hommage d'un chaste attachement.
Pour en savoir plus, sur la richesse de l'univers de Barrie, sa vie et ses élans, je vous conseille la préface de ce livre, intensément riche de détails, images et références.