Des millions d’hommes, ordinairement indifférents
et pacifiques, à peu près trois à quatre millions en tout – que l’on
mesure bien ce chiffre ! – ont été pendant quatre années habitués
à nourrir et à affronter davantage de haine et d’hostilité qu’en
situation ordinaire. Puis est venue la paix et soudain cette incitation
à la haine et au meurtre a dû être stoppée du jour au lendemain
comme on coupe un robinet. Cela non plus n’est pas une situation
normale. Quand un organisme s’est habitué aux narcotiques et aux
stimulants – café, morphine, nicotine –, il ne peut pas être sevré
brutalement ; le besoin de se renforcer militairement, de haïr et de
combattre l’ennemi ne s’est pas éteint dans cette génération. Il a
pris simplement d’autres formes. On ne hait plus le même ennemi
du pays comme en 1914. Mais l’on continue de le haïr et de le
combattre avec la même passion dangereuse. C’est désormais
une haine entre régimes politiques, entre partis, entre classes,
entre races, entre idéologies.
Stefan Zweig, auteur à succès, se voulait citoyen d'un monde qu'unifiait une communauté de culture et de civilisation. Il n'a pas survécu à l'effondrement de ce «monde d'hier» qu'incarnait la Vienne impériale de sa jeunesse.
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