Un témoignage bouleversant dans un style épuré, direct. La vérité toute simple, sans artifice.
Nous sommes catapultés dans le drame dès l'ouverture du livre en rencontrant Saliha, la maman, en Syrie.
Les 70 pages suivantes consacrées à l'histoire de la famille de Saliha, m'ont rendue quelque peu impatiente. J'avais plutôt envie que le témoignage s'attarde sur le départ en Syrie annoncé en quatrième de couverture.
Mais, au fil de ma lecture, j'ai compris qu'il ne fallait pas faire l'impasse sur les annéees passées, indispensables pour appréhender le ressenti de cette maman et de son entourage. Page après page, je me suis ici attachée au personnage de Saliha et mon empathie n'a fait que croître. Tous ces arrêts sur image sur la vie de plusieurs générations de familles musulmanes sont très éclairantes pour tout européen n'ayant jamais côtoyé de près ces familles. Je pense, entre autres, au mariage forcé de la mère d'Islam, la soumission de cette mère aux décisions de sa belle famille, le rejet d'une épouse non conforme, les émigrés considérés au bled comme des privilégiés qui ont le devoir d'aider la famille. Et aussi les débuts du salafisme, le mouvement Tabligh dans les années 80, les mères interdites d'aller au marché, le port du voile exigé, la musique moderne interdite etc etc.
Par delà ces marqueurs qui n'ont pas tous évolué depuis, les difficultés à s'intégrer en Belgique étaient bien réelles et le racisme sournois et cruel partout. Bien différente toutefois, l'attitude du grand père tunisien comparé à de nombreux immigrés à l'heure actuelle: « Nous ne sommes pas chez nous. Il faut faire profil bas ». Il ne portera d'ailleurs pas sa djellaba et restera persuadé que vivre en musulman porterait préjudice.
Dans la deuxième partie de ce témoignage, le lecteur essaiera tous de repérer les failles, les indices qui auraient fait ce jeune Sabri basculer dans l'islam radical. Un enfant solitaire et affectueux, impatient et épris de justice, avec un rapport fusionnel avec sa mère jusque l'adolescence, attaché à son frère. A ce stade on s'interroge juste un peu sur ces débuts d'accès de bégaiements non expliqués.
Au collège, tout se compliquera, en partie à cause du racisme de certains professeurs. Sabri sera considéré comme un rebelle par ces derniers et un justicier par les élèves. En 1999 Saliha sera ouvertement exclue du monde des parents d'élèves et ignorée par l'administration dans un collège néerlandophone.
La cruauté de certains professeurs, comme le jour où il a été forcé à boire le vin pendant un cours à l'école hôtelière, aura raison de sa détermination à obtenir un diplôme. Il abandonnera ses études, de plus en plus soucieux du regard des autres, découragé par les nombreux contrôles d'identité chaque jour.
Nous voyons bien que c'est à ce moment qu'il est le plus fragile. Les moqueries redoubleront lorsqu'il deviendra éboueur pour gagner un peu d'argent. Et c'est là qu'il annonce ne plus vouloir « ramasser la merde des kouffar (non croyants)». Les indices de radicalisation probables se multiplieront mais la population n'est pas encore assez alertée à cette époque sur les nombreux départs de jeunes en Syrie. le changement de comportement sera pourtant brutal, tout deviendra haram ou halal. Plus de short, plus de musique qui est assimilée à de la pornographie sonore, la charia doit être instaurée partout. le nouvel ami de Sabri détourne le regard lorsque Saliha veut lui faire la bise car elle ne porte pas le voile...
Je retiendrai aussi de cette lecture le lien puissant et presque ésotérique qui relie à jamais une maman à son enfant. Je me suis reconnue dans cette maman fusionnelle qui déclare: « Mes tripes me disent quand il va bien, quand il va mal ». Et ce malaise foudroyant et inexpliqué, ces douleurs intenses accompagnées d'un torrent de larmes ...On apprendra plus tard que c'est à ce moment précis que Sabir a perdu la vie en Syrie. « ce n'était pas un simple pressentiment. C'était lui en train de quitter mon corps pour la deuxième et dernière fois . Il est mort ce jour-là, à cet instant précis où ce mal inconnu et si intense m'a envahie. Je le sais. Je l'ai su au moment où c'est arrivé ».
Un témoignage poignant et éclairant. Une lecture à conseiller.
Commenter  J’apprécie         30
L’ouvrage que vient de publier Saliha Ben Ali (Maman, entends-tu le vent ?) sort du lot car il raconte l’histoire de cette famille aux origines marocaine et tunisienne, son parcours à Bruxelles, ses rêves et ses déconvenues, tandis que l’enrôlement du fils dans le djihad n’occupe que les derniers chapitres.
Lire la critique sur le site : LaLibreBelgique
ce n'était pas un simple pressentiment. C'était lui en train de quitter mon corps pour la deuxième et dernière fois . Il est mort ce jour-là, à cet instant précis où ce mal inconnu et si intense m'a envahie. Je le sais. Je l'ai su au moment où c'est arrivé.
Mes tripes me disent quand il va bien, quand il va mal
Saliha Ben Ali, mère d'un djihadiste mort en Syrie: «On n'est pas seul à élever nos enfants»