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EAN : 9782228906760
144 pages
Payot et Rivages (05/10/2011)
3.94/5   8 notes
Résumé :
Derrière les trois célèbres textes réunis dans ce recueil – « Expérience et pauvreté » (1933), « Le conteur » (1936) et « La tâche du traducteur » (1923) –, un thème revient, dont le philosophe Giorgio Agamben s’est fait l’écho dans Enfance et histoire (PBP nº 387) : la perte de l’expérience, le fait que ce que l’on a vécu ne soit quasiment plus transmis, ou très difficilement, d’une génération à l’autre. Au centre de cette transmission, il y a la langue, qui permet... >Voir plus
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Citations et extraits (5) Ajouter une citation
VIII
[…] Raconter des histoires est en effet toujours l’art de les re-raconter, et cet art se perd quand les histoires ne sont plus conservées. Il se perd parce qu’on ne tisse plus et qu’on ne file plus en les écoutant. Plus l’auditeur est dans un état d’oubli de soi, plus ce qu’il écoute s’imprime profondément en lui. Quand il est pris par le rythme du travail, il écoute alors les histoires d’une façon telle que le don de les raconter lui échoit naturellement. C’est ainsi qu’est faite la maille de la toile où repose le don de raconter. C’est ainsi qu’elle se défait aujourd’hui de toute part après s’être nouée il y a des milliers d’années dans le cadre des formes les plus anciennes de l’artisanat.
     
IX
[…] Le tableau spirituel de cette sphère artisanale d’où provient le conteur n’a peut-être jamais été peint d’une façon aussi significative que par Paul Valéry. Il parle des choses parfaites de la nature, des perles immaculées, de vignes pleines et bien mûries, de créatures vraiment développées et il les nomme ‘‘l’oeuvre précieuse d’une chaîne de causes semblables’’. »* L’accumulation de causes de ce genre n’atteint sa limite temporelle qu’avec la perfection. « L’homme jadis imitait cette patience. Enluminures ; ivoires profondément refouillés, pierres dures parfaitement polies et nettement gravées ; laques et peintures obtenues par la superposition d’une quantité de couches minces et translucides […] – toutes ces productions d’une industrie opiniâtre et vertueuse ne se font guère plus, et le temps est passé où le temps ne comptait pas. L’homme aujourd’hui ne cultive point ce qui ne peut point s’abréger. »* De ce fait, il est parvenu à abréger même le récit. Nous avons vécu le devenir de la short story qui s’est dégagée de la tradition orale et n’a plus permis cette lente superposition de couches fines et transparentes – superposition qui fournit l’image la plus exacte du mode par lequel vient au jour le récit parfait en traversant les couches des nombreuses réitérations de sa narration.
     
     
¨*Paul Valéry, « Les broderies de Marie Monnier », Pièces sur l’art, in Oeuvres, tome II, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1960, p. 1244.
     
     
LE CONTEUR – 1936
     
Notes de la Préface d’Elise Pestre : « La première version de l’essai de Benjamin a été publiée sous le titre Der Erzähler par le directeur de la revue, Fritz Lieb. Les traductions françaises de ce titre oscillent entre les termes « conteur » et « narrateur » (dans la version traduite par Benjamin lui-même et parue en 1952 dans le Mercure de France). Cette seconde dénomination implique une dimension interne au discours, représentant en quelque sorte l’auteur dans le récit. Le « conteur » exprime surtout l’idée de récits d’histoires imaginaires, définition qui se rapproche davantage du sens que lui confère Benjamin. »
     
(Traduit de l’allemand par Cédric Cohen Skalli | p. 70, 73-4)
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Que vaut en effet tout ce patrimoine culturel s’il n’est pas lié pour nous justement à l’expérience ? Le méli-mélo des styles et visions du monde au siècle passé nous a rendu trop évident où ce patrimoine peut conduire quand l’expérience est feinte ou accaparée pour ne pas attribuer une valeur au fait de reconnaître notre pauvreté. Oui, avouons-le : cette pauvreté d’expérience ne concerne pas seulement nos expériences privées, mais aussi celles de l’humanité en général. Et c’est en cela une forme nouvelle de barbarie.
Barbarie ? En effet. Nous disons cela pour introduire un concept nouveau et positif de barbarie. Car la pauvreté d’expérience, où mène-t-elle le barbare ? Elle le mène à recommencer à nouveau, s’en sortir un peu, reconstruire avec peu, sans regarder ni à droite, ni à gauche. […]
Et c’est ce même acte de recommencer depuis le début que les artistes avaient à l’esprit, quand, comme les cubistes, ils ont suivi l’exemple des mathématiques et ont construit le monde à partir de formes stéréométriques, ou bien quand, comme Klee, ils se sont appuyés sur l’exemple des ingénieurs. Car les figures de Klee semblent ébauchées sur la planche à dessin, et, de même qu’une bonne voiture obéit avant tout aux nécessités du moteur, y compris dans sa carrosserie, elles obéissent avant tout, dans l’expression de leurs mines, à l’intérieur. À l’intérieur plus qu’à l’intériorité : c’est ce qui les rend barbares.
     
     
EXPÉRIENCE ET PAUVRETÉ – 7 décembre 1933
(Première publication dans la revue Die Welt im Wort).
     
Notes de la Préface d’Elise Pestre : Avec l’avènement d’une technique extraordinaire qui a décharné les corps et les âmes de « l’humanité en général », cette nouvelle forme de guerre industrielle a considérablement appauvri les gens en « expériences communicables ».
C’est le monde dans sa totalité qui a été défiguré, donnant naissance à une nouvelle barbarie. Pourtant, cette barbarie évoquée par l’intellectuel n’est pas seulement négative. Faisant « table rase », recommençant « tout au début », elle possède des aspects positifs. Benjamin semble revendiquer « deux manières d’être barbare : l’une qui appelle le désastre, l’autre qui le conjure » * Bruno Tackels, Walter Benjamin. Une vie dans les textes, Actes Sud, 2009.
     
(Traduit de l’allemand par Cédric Cohen Skalli | p. 40-42)
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Mais nous voyons ici, de la manière la plus claire, que notre pauvreté en expérience n'est qu'un aspect de cette grande pauvreté qui a de nouveau trouvé un visage - un visage aussi net et distinct que celui du mendiant au Moyen Age. Que vaut tout notre patrimoine culturel, si nous n'y tenons pas, justement, par les liens de l'expérience ?
Avouons-le : cette pauvreté ne porte pas seulement sur nos expériences privées, mais aussi sur les expériences de l'humanité tout entière. Et c'est donc une nouvelle espèce de barbarie.
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L’existence de Mickey Mouse est ce rêve de l’homme d’aujourd’hui. Cette existence est pleine de miracles qui non seulement surpassent les miracles de la technique, mais se moquent d’eux. Car ce qu’il y a de plus curieux en eux, c’est justement qu’ils se produisent tous sans machinerie, de façon improvisée, à partir du corps de Mickey Mouse, de ses partisans comme de ses persécuteurs, des meubles de la vie de tous les jours tout comme ‘un arbre, d’un nuage ou de la mer. La nature et la technique, le primitif et le confort sont devenus entièrement un ; aux yeux des gens fatigués des complications sans fin du quotidien, pour qui la finalité de la vie ne surgit plus que comme le point de fuite le plus lointain d’une perspective infinie de moyens, une existence qui, à chaque changement, se suffit à elle-même de la façon la plus simple et en même temps la plus confortable, une existence dans laquelle une voiture ne pèse pas plus lourd qu’un chapeau de paille et dans laquelle le fruit sur l’arbre s’arrondit aussi vite que la nacelle d’une montgolfière, une telle existence apparaît comme libératrice. Et maintenant, prenons un peu de distance, faisons un pas en arrière.

Nous sommes devenus pauvres. Nous avons sacrifié bout après bout le patrimoine de l’humanité ; souvent pour un centième de sa valeur, nous avons dû le mettre en dépôt au mont de piété pour recevoir en échange la petite monnaie de l’« actuel ». (pp. 47-48)
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dans "La tâche du traducteur"
Nul poème n'est destiné au lecteur, nul tableau à l'amateur, nulle symphonie à l'auditeur.
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Videos de Walter Benjamin (31) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Walter Benjamin
Par Delphine Minoui, grand reporter, lauréate du Prix Albert Londres 2006 Tout public, à partir de 10 ans
« Lumières pour enfants », c'était le titre donné par Walter Benjamin aux émissions de radio destinées à la jeunesse qu'il assura avant la montée du nazisme. Ce titre, Gilberte Tsaï l'a repris pour les Petites conférences qu'elle programme depuis 2001 dans différents établissements culturels. Elles reposent sur le pari que ni les grandes questions, ni les espaces du savoir, ne sont étrangères au monde des enfants et qu'au contraire elles font partie de leur souci, formant un monde d'interrogations restant trop souvent sans réponses. La règle du jeu en est la suivante : un spécialiste d'une matière ou d'un domaine accepte de s'adresser à un public composé d'enfants mais aussi d'adultes, et de répondre à leurs questions. À chaque fois, il n'est question que d'éclairer, d'éveiller : en prenant les sujets au sérieux et en les traitant de façon vivante, hors des sentiers battus.
Programme de la Petite conférence #2 – « Raconter la guerre, dessiner la paix, 25 ans de reportages au Moyen-Orient » par Delphine Minoui :
Rien ne prédestinait l'enfant timide, née à Paris d'une mère française et d'un père iranien, à devenir reporter de guerre. Quand elle s'envole pour Téhéran, en 1997, c'est avec l'envie d'y raconter le quotidien des jeunes de son âge, épris d'ouverture. Mais l'après 11-septembre 2001 chamboule tout. Elle se retrouve en Afghanistan, puis en Irak, pour suivre l'invasion américaine et ses conséquences sur la région. Depuis, les soubresauts s'enchaînent : révolutions du printemps arabe, attentats de Daech, crise des réfugiés syriens, putsch raté en Turquie, retour des Taliban à Kaboul. Mais Delphine ne perd jamais espoir. Sensible à l'humain au milieu du chaos, elle navigue entre ses articles et ses livres pour faire parler la paix, encore et toujours, en racontant le combat des héros anonymes croisés sur son chemin.
Entre anecdotes et confidences, la conférence donnera à voir les coulisses du reportage, où le journaliste n'est ni un super héros ni un agent du « fake news » au service d'un grand complot, mais un témoin d'exception, porteur de lumière, même au coeur de l'obscurité.
Le terrain est la colonne vertébrale de son écriture. Correspondante au Moyen-Orient pour France Inter et France Info dès 1999 puis pour Le Figaro depuis 2002, Delphine Minoui a consacré la moitié de sa vie à cette partie du monde synonyme de révolutions, coups d'État et conflits.
À lire – « Les petites conférences » sont devenues une collection aux éditions Bayard. Delphine Minoui, L'alphabet du silence, l'Iconoclaste, 2023 Les Passeurs de livres de Daraya, Seuil, 2017 Je vous écris de Téhéran, Seuil, 2015
Conception et programmation : Gilberte Tsaï – Production : l'Équipée.
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