C'est un livre que j'ai reçu par Babélio lors d'une masse critique et je remercie chaleureusement cet organisme passionné comme moi de lecture.
C'est un roman historique qui a mis plusieurs années à voir le jour tant les auteurs
Jean-Marc Berlière (professeur émérite d'histoire contemporaine) et
Franck Liaigre (historien) ont voulu être précis. Ils ont fait le tour des archives, les ont comparées afin d'être les plus fidèles possible à cet épisode effrayant d'après-guerre. Je ne suis pas férue d'histoire et j'ai choisi ce livre car la quatrième de couverture m'avait attirée. Je ne regrette pas cette sélection car les auteurs ont écrit ce livre comme un roman et ont su capter et conserver mon attention tout au long des pages.
Quatrième de couverture : «À l'Institut dentaire du square de l'avenue de Choisy [...] on allait, durant un mois ou deux, jouer les émules de la Gestapo... ceux qui se réclamaient du bon droit... des meilleurs principes» (
Alphonse Boudard,
Les Combattants du petit bonheur).
En septembre 1944, on repêche dans la Seine une trentaine de corps : l'ensemble des victimes, tuées d'une balle dans la tête, portent, attaché au cou par le même cordon soyeux, un pavé de grès. Qui sont-elles ? Qui sont leurs tueurs ? Quels sont leurs mobiles ?
Cette affaire particulièrement macabre n'a jamais été pleinement élucidée.
Jean-Marc Berlière et
Franck Liaigre ont repris l'enquête et dépouillé des centaines de cartons d'archives pour retrouver les identités des victimes... et celles des bourreaux. Tous les chemins les ont conduits à l'Institut dentaire, sinistre centre clandestin de séquestration et d'exécution, où plus de deux cents personnes furent incarcérées et beaucoup d'entres elles torturées et assassinées entre le 20 août et le 15 septembre1944.
Un livre d'histoire implacable qui se lit comme un roman noir.
Dès le départ, on nous place dans le contexte : une carte sur laquelle sont placés les lieux de découvertes de cadavres et les endroits où les victimes ont été repêchées. Il y en a eu beaucoup, trop quand on sait que c'est une histoire vraie. Et quelle histoire terrible ! Comment cela a-t-il pu se produire et perdurer pendant de nombreuses semaines sous les yeux de tous ? Pourquoi personne n'a-t-il réagi ? Que faisait la police ? Et bien c'est simple, elle était débordée par les crimes et les vols en tout genre qui se sont multipliés après la libération de Paris.
Les premières pages du roman sont réservées aux victimes comme pour leur rendre hommage. On nous raconte leur vie brièvement puis leur arrestation et les raisons parfois absurdes (un simple témoignage suffisait), parfois plus légitimes qui ont permis cela. Ensuite on les place dans leur enfer à l'Institut dentaire où ils ont subi ou vu des atrocités. On se croirait dans un bon thriller mais sans cesse la réalité nous ramène à la surface et cela nous dégoûte.
Pour finir on nous raconte la vie des bourreaux et des responsables de ces monstruosités, leurs témoignages (bien sûr ils n'ont rien fait ou si peu mais toujours sous des ordres de plus hauts qu'eux) puis leurs procès. On croit rêver surtout quand on nous rappelle que l'Institut dentaire n'était pas le seul lieu de tortures et que les autres centres de détention ont parfois fait pire.
Je vous recommande ce roman, ne serait-ce que pour honorer la mémoire des victimes mais aussi des survivants dont les témoignages précieux ne peuvent être oubliés.
Quelques extraits :
Page 24 : La Seine a reçu un nombre important de cadavres de la fin du mois d'août à décembre 1944. Beaucoup ont disparu pour toujours. D'autres, noirs, gonflés, sont rendus méconnaissables par un état de putréfaction avancée et un séjour prolongé dans l'eau. Notés « inconnus » sur les registres de l'IML, ils ne seront jamais identifiés.
Page 34 : […] se préparent les nécessaires règlements de compte contre les vendus, les traîtres et les collabos. Contre les profiteurs du marché noir aussi, les commerçants du quartier, des concierges, des flics… Des noms sont jetés, des accusations à peine formulées prennent corps et consistance, se précisent, enflent, circulent, les rumeurs courent, les appétits s'aiguisent. Les temps sont venus de se débarrasser, au nom du patriotisme, de tout ceux qu'on déteste, on trouvera toujours un prétexte et puis… il y a forcément quelques juteux profits à tirer du renversement des rôles.
Page 44 : L'Héveder l'a compris, et la suite des évènements contribuera à le lui rappeler, il est inutile d'argumenter, de tenter de justifier une phrase, de remettre un mot, une attitude dans leur contexte devant des juges partiaux, des auteurs de faux témoignages, une foule cruelle et avide de sang.
Page 156 : En entrant dans la salle de projection de l'Institut dentaire, passé le premier choc devant le spectacle de ces prisonniers aux regards angoissés et vides, silencieux, immobiles, tendus comme pétrifiés sur leur siège, Château l'a immédiatement remarquée. On ne peut guère l'éviter. Elle s'étale sur le grand tableau noir, sous l'écran, au fond de l'estrade, derrière le bureau où trônent une partie des gardiens. En lettres d'écolier appliqué, énormes, dominateurs, agressifs, ces vers, que les internés savent par coeur et qui hantent, interminablement, leurs jours et leurs nuits au point que ceux qui ont pu griffonner quelques notes que l'ont retrouvera sur leurs cadavres les ont recopiés :
« Oh ! Vous qui êtes ici
Méditez bien les paroles que voici :
Vous êtes ici devant la justice des ouvriers
Qui depuis longtemps sont vos prisonniers
Dans cette salle plane le respect de nos morts
Que vous avez assassinés toujours à tort
Faites un compte-rendu de votre conscience (sic)
Vous comprendrez que nous avons de la patience
Car pour la plupart de ceux qui sont ici
La mort seule, les délivrera de leurs soucis. »
Des vers maladroits qui prennent de terribles résonances dans le contexte d'exécutions, de violence et de sévices que vivent les prisonniers terrorisés.