Karine Bernadou livre avec
Canopée le récit muet d'un apprentissage. Tout en bichromie rouge et noir, l'album donne à voir au travers de courtes séquences les différents écueils qui vont jalonner le chemin de la petite
Canopée, de sa naissance dans une maison forestière à sa découverte de l'homme, d'une masculinité autre que celle de son père. Quitter le foyer, dans le cas de
Canopée, se faire abandonner au milieu d'une nature hostile, voilà ce qui semble guider de prime abord le travail de
Karine Bernadou sur cet album. Il y a cependant beaucoup plus à voir dans ces pages.
La
canopée est ce qui affleure au sommet de la forêt, c'est l'étage supérieur, en liaison avec le ciel. Mot anglais désignant le ciel de lit, tiré du grec kounoupi, la moustiquaire. Voilà pour l'étymologie. Et que fait-on de ça ? Nous avons un personnage qui ne s'exprime que par la violence (manger, boire, baiser, courir, taper, etc, la liste est longue) dont le nom signifie ciel de lit, sommet des arbres, ce que vous voulez, le tout dans un album muet tout en bichromie rouge et noir. Débrouillez-vous donc avec ça !
Oui, que faire de tout ça ?
Karine Bernadou s'applique à disséquer ce qui relie
Canopée à la découverte du masculin, toute la violence qui s'exprime dans ce rapport. On nage ici en pleine psychanalyse, même si la poésie semble avant tout guider le récit. Nous n'apprenons rien ici, toute cette violence nous est connue, quitter le foyer parentale pour vivre ailleurs, cet ailleurs symbolisé par ces bois inconnus, découvrir l'autre dans ce qu'il a de plus barbare, de plus différent de vous. Qui n'a jamais ressenti une gène en reniflant pour la première fois l'odeur de la personne que l'on s'apprête à embrasser. Bernadou envisage toute cette refléxion dans cet ouvrage, s'appropriant la pensée de
Sartre sur autrui, celle qui explique en quoi autrui est d'abord constitutif de moi, son "je est un autre".
Très bel album dont la difficulté de lecture, la violence des scènes n'entâme en rien la richesse du sujet exploré. Une réussite à rapprocher de l'Icare de
Manuel Fior ou du
Des chiens, de l'eau d'
Anders Nilsen pour la propension à explorer différents niveaux de lectures.