Emile et les menteurs

L'auteur, Alain Besançon né à Paris en 1932, est ce qu'on appelle un grand intellectuel : historien et politologue réputé, ancien directeur d'études à l'EHESS, enseignant à plusieurs universités en Angleterre (Oxford) et aux États-Unis (Princeton, Stanford, Washington et New York), membre de l'Académie des sciences morales.

Des quelque 25 ouvrages pour la plupart fort académiques qu'il a écrits, "Emile et les menteurs" de 2008 constitue indéniablement un cas spécial, ce que les Allemands qualifierait de "Spielerei" (dérivé de "Spiel" ou jeu) et ce qu'on pourrait appeler en Français une fantaisie criminelle.

Est-ce que l'auteur s'est inspiré pour le titre des Émile célèbres tels Durkheim, Verhaeren, Zola..., ou s'est-il laissé guider par "Émile, ou, de l'éducation" de Jean-Jacques Rousseau de 1762 ou du plus récent "Emile et les détectives" d'Erich Kästner de 1929 ? Je l'ignore.
J'ai cependant lu quelque part que ce soit le trader français, Jérôme Kerviel né en 1977 dans le Finistère, reconnu responsable pour la perte de 4,9 milliards d'euros à son employeur la Société Générale, qui aurait servi comme modèle à son Émile.
Ce qui m'a rappelé les prouesses du trader britannique, Nick Leesom, qui a réussi à causer la banqueroute de la plus prestigieuse banque d'Angleterre, la Barings en 1995.

L'Émile d'Alain Besançon, s'appelle Fouzillon et est né à Béziers d'un père gagne-petit à la belote, au barbu, bridge ou Vaca et n'ayant ainsi pas le temps de s'occuper de l'éducation de son rejeton. Sa mère a disparu lorsqu'il avait 12 ans.
Le jeune Fouzillon reconnaît qu'il n'a pas fait des études brillantes, à cause de sa passion pour le billard. Par après, le billard a été remplacé par du poker et du rami avec des "garçons pas bien", ce qui lui a valu des pépins avec la police.

Comme il fallait bien gagner sa vie et qu'il en avait marre d'être plagiste l'été à Valras tout proche et "de passer l'ambre solaire sur des nénettes belges" et marre de tirer les pédalos sur la plage, il entame des études de commerce par correspondance.

Émile a 27 ans lorsque sa vie change de fond en comble en rencontrant la belle Muriel Destremeau, qui travaille pour le directeur des ressources humaines du groupe LCNH. Ce que ce sigle signifie exactement n'est pas dit, mais le groupe fait penser à Société Générale ou la BNP Paribas. La débrouillarde et astucieuse Muriel s'arrange pour faire entrer Émile au LCNH en arrangeant légèrement son cv et en lui procurant un MBA bidon ("Master of Business Administration" ou une maîtrise en administration des affaires).

Grâce à la dynamique Muriel, Émile, en un temps-record, est nommé à la tête d'une nouvelle unité du groupe, la SC 49 Suffren, responsable pour les produits dérivés financiers. Dans son luxueux bureau notre bonhomme n'a strictement rien à faire, sauf signer ce que l'éternelle Muriel lui prépare comme papiers. "Je signais, je signais à en avoir le poignet fatigué". Seulement sans comprendre quoi exactement

Un jour le nouveau directeur est convoqué par un certain Sorensen, qui représente une fiduciaire basée aux îles Caïmans et qui entretient des liens avec LCNH par l'intermédiaire d'une petite société luxembourgeoise, la Banque Haffner. Selon ce Sorensen 75 millions de dollars et des poussières se sont égarés du compte du SC 49 et se trouvent peut-être au Grand-Duché. Un billet d'avion lui est remis pour le Luxembourg.

Et c'est là que commencent les vrais soucis pour notre héros. À la Banque Haffner il est reçu par Kurt Wolfgang qui l'accuse d'escroquerie et le menace d'une arrestation par la brigade financière. Wolfgang est tellement en colère qu'il en perd l'équilibre, bute contre l'angle de son gros coffre et tombe raide mort. Émile en panique, prend le portefeuille et le passeport du mort, ainsi qu'une carte de visite d'un établissement bancaire à Nassau, la capitale des Bahamas.

Rester à Luxembourg est impossible car trop dangereux. Suit alors un voyage qui le conduira en camion à Zeebruges et de là en bateau à Bergen en Norvège, Inverness en Écosse, un long séjour à Miami en Floride, puis à Nassau, et plus tard à Paris et Moscou, toujours à la recherche éperdue des 75 millions dollars manquants. Qu'une telle somme attire des voyous dangereux n'a rien de surprenant, ni de rassurant.

En somme, une péripétie dans le milieu de la haute finance, parfois loin d'être bien orthodoxe ! Une série d'aventures où les clins d'oeil culturels pourtant ne manquent nullement, allant du sociologue Max Weber à l'infortunée Marilyn Monroe.